Je cours dans le sens opposé de ce que je voudrais. Après l'alarme lancée de la part de notre campement pour annoncer l'arrivée de l'ennemi, tout s'est accéléré. La division menée par Dixon n'a pas réussi son effet de surprise puisque j'ai prédit leur position, et dès cet instant, il a lancé l'assaut. Les deux groupes ennemis sont partis s'affronter en courant, l'arme à la main. Les hurlements de guerre les ont accompagnés sur leur route. Au milieu de ce chaos et de mes tentatives pour rester où je l'étais, une lumière apparaît. Elle est bleue. C'est Merikh. Il est le seul à avoir ce genre d'épée et je commence à être trop loin de lui pour le distinguer nettement dans cette masse. Je ne peux le retrouver que grâce à la lueur de son arme.
Alric ne me laisse aucun répit, il obéit parfaitement à l'ordre qu'il a reçu. M'écarter le plus possible du danger. Je ne veux pas m'en écarter, certainement pas avec ce que je viens de voir. Je n'ai pas eu le temps de le prévenir qu'il était déjà parti.
Son baiser est encore chaud sur mes lèvres, j'ai peur qu'il soit le dernier auquel je puisse goûter. Ça, je ne pourrais pas me le pardonner, parce que je sais ce qu'il va se produire et que je n'aurais rien fait pour l'en empêcher.
Malgré tout, je le suis en courant, sans aucune idée de la destination. Je ne vois pas où l'on pourrait aller. Dans un arbre ? Il n'y en a pas assez pour être caché entre eux. Je trébuche et tombe par la suite, m'écorchant bras et genoux. Je me relève comme je le peux, tiré des deux côtés par le jeune garde et l'envie de voir ce qu'il se passe derrière moi, parce que leurs cris se sont intensifiés, les bruits métalliques de leurs armes se font entendre jusqu'à moi sans diminution.
Pourtant, la division Butor n'est pas si massive, je suis persuadé de n'avoir vu qu'un faible effectif. Merikh et les siens ne devraient pas avoir de difficulté, mais là ne réside pas le problème ; cette vision me préoccupe. Dixon n'a qu'une épée sur lui, je n'ai pas vu d'arc. Je n'ai pas non plus vu d'arc chez les trois divisions, pas une fois.
Nous dépassons le campement en nous dirigeant vers un autre attroupement d'arbres, ils forment des petits tas ici et là, je pense qu'il va nous faire passer entre eux suivant l'évolution du combat derrière nous. Mon genou me fait mal, je ralentis malgré l'urgence de la situation. Alric passe derrière moi pour me soutenir par l'épaule pour m'aider à aller de l'avant. Et comme ça, mon souffle se fait surprendre quand je tombe à nouveau, mes pieds s'emmêlent, je plonge contre le sol, l'entraînant dans ma chute. Cette fois, ce n'est pas de ma faute, mon cœur saute un battement, je sens quelque chose sur ma cheville. Un fil. Un fil de fer y était tendu, dissimulé entre les arbres, je sens qu'il m'a coupé la peau avec le sang qu'il en sort.
— Mais qui voilà ? La chienne de traîtresse.
La voix d'un des azérians me remet les idées en place, je tente de me lever, mais le fil est enroulé autour de ma cheville et se resserre à ma tentative. Derrière moi, je vois Alric se redresser sans problème, il n'y a que moi dans ce piège. Les autres azérians rigolent, je me rends compte à ce moment qu'ils étaient tous cachés dans ce bout de verdure, cachés et tendant guet-apens. Parce qu'ils sont en deux groupes, le premier est sur le champ de bataille, le deuxième, ici. Nous ne sommes que deux contre une trentaine.
— À ton avis, on va toucher combien en plus après l'avoir ramené ?
Ces porcs mettent encore un prix sur ma tête. Il a toujours été question de paris sur moi et ma condition après avoir vu la reine quand je les écoutais. Ils n'ont pas changé, ils sont tous comme ça.
— Un bon pactole. Elle nous a dit de la récupérer vivante, mais bon, si elle est un peu abîmée, on n'y peut rien.
Il s'avance vers moi. J'imagine très bien l'état mental de mon garde. Ils sont une bonne trentaine et il est désormais seul, je suis cloué au sol. Plus j'essaye de me défaire du fil, plus il s'enfonce en moi.
— On dira qu'elle s'est fait malmener par ces monstres, voilà tout.
— Les seuls monstres que je vois sont devant moi.
Ma prise de parole fait cesser leur rigolade tranquille. Le dédain les anime, et celui qui a pris l'avantage dans le groupe s'accroupit à ras de moi avant de tirer violemment sur mes cheveux en secouant ma tête avec eux. Je commence à en avoir marre qu'on maltraite cette partie de mon corps à chaque fois que je dois me faire taper sur les doigts.
— C'est qu'elle parle en fait, cette gamine. Tu ne te tenais pas aussi droite quand tu étais avec nous.
Son sourire me dégoûte, il me force à le regarder en continuant de tirer sur mes cheveux.
— Aller, on n'a pas que ça à faire. Tu vas nous suivre gentiment et retourner avec la reine pour qu'elle arrête de nous esclaver à toute heure de la nuit, ça, c'est ton boulot.
Il tire sur ma jambe, par pur sadisme, avant de rompre le fil pour me tirer à lui, me forcer à les suivre, pour le plaisir de m'entendre crier de douleur. Pourtant, il tombe une seconde plus tard, raide mort. Grand silence, tout le monde se retourne vers le propriétaire de la flèche qui s'est plantée entre les deux yeux de cet azerian, son expression satisfaite est encore inscrite sur lui tant il n'a pas vu le coup venir.
Alric n'avait pas dit un mot, et je comprends pourquoi, au moment de notre chute, il a réussi à se cacher, peu importe la façon, personne ne l'a vu. C'est pour ça qu'il n'était occupé que par moi, ils n'ont pas pensé que j'étais accompagné. Mon garde sort de sa cachette avant de me hurler un unique mot que mes muscles interceptent avant mon cerveau.
— Cours !
Je serre les poings si fort que mes ongles me font mal, mais ce n'est rien comparé à ce que je ressens. Il ne me doit rien, pas même une salutation, et il s'est sacrifié, seul contre tous, armé d'un pauvre arc et d'une épée qu'il n'aura pas le temps de dégainer.
Je cours à en perdre un poumon à l'est, le nord est occupé, tout comme le sud où je me tenais il y a seulement quelques secondes. Je n'ose pas me retourner, je ne peux pas voir le massacre qu'il l'attend. Je ne veux pas voir, je ne veux pas voir... Je m'arrête, caché entre des arbres bien inoccupés cette fois. Pourquoi j'ai l'impression d'avoir du sang sur les mains ? Parce qu'il était perdu et qu'il le savait parfaitement en me protégeant.
Je ne veux plus voir toutes ces choses, je veux me débarrasser de l'horreur que j'inhale sur cette terre. Je tombe sur mes genoux, j'ai du mal à reprendre mon souffle, j'appuie ma tête contre le tronc rugueux tout en posant mes mains sur ma poitrine. Qu'est-ce que je dois faire pour effacer cette culpabilité, retirer ce spectacle d'épouvante de ma mémoire ? Une vision se présente à moi, j'écarquille mes yeux, surprise de voir cette idée se former. Respire. Respire.
Respire.
Je dois réfléchir intelligemment, Godric m'a montré que mon don n'est pas infaillible. Pourquoi, que savait-il dessus que j'ignorais moi-même ? Il ne me répondra pas, je dois trouver par moi-même. Je pensais que Godric était la solution à mon problème alors qu'il était. Est-ce que je dois en déduire que mon propre esprit se joue de moi ? Probablement, je l'ai malmené toute ma vie, il ne doit pas vouloir m'offrir sa vertu sur un plateau d'argent.
Ma perception de ma vision n'était pas la bonne ce soir, ça veut dire que je ne dois pas interpréter ce que je vois comme ce qu'il va se passer. Je dois voir plus loin, voir les possibilités que mon don me refuse pour comprendre ce qu'il me montre. Il ne me montre qu'un fragment de ce qu'il va se produire, pas l'élément déclencheur et sa solution. Je reprends une dernière inspiration avant de partir du côté nord avec la vision de mon corps inanimé sur le champ de bataille, en pariant sur le fait que ce n'est qu'une... possibilité.
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D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]
FantasyArweny est une jeune femme dotée d'un don de clairvoyance depuis l'enfance. Ses parents étant pris entre deux feux la vende à la reine du royaume qui est obsédée par l'immortalité et la richesse, elle est donc parfaite pour les épargner en tant que...