Mes yeux se ferment, puis s'ouvrent à nouveau. Sans pause. Sans pause. Sans pause. Et trois jours passent sans que je relève dans lequel je me trouve. Je tire sur ma fine couverture pour conserver l'air chaud qui s'en échappe. Je veux rester ici. Si je ne peux pas apprécier le réconfort d'une longue nuit de sommeil, je veux à minima profiter de l'état de transition entre le repos nocturne et le réveil matinal que je devine être l'état de tout le monde après s'être réveillé.
Je ne suis jamais reposée. Enfin, jamais totalement. Ma tête n'est pas un instant à froid. La nuit est un temps que je ne connais pas. Seuls mes yeux et mes oreilles le comprennent, par le changement de luminosité, l'absence de présence, par l'installation du silence dans le château. Les vibrations des pas des servantes se stoppent pour quelques heures. Je n'ai pu rencontrer ce silence que par mes nuits blanches, les soirs où je suis incapable de faire le vide et que mes pensées font le bruit d'une armée entière réunie dans ma boite crânienne.
Si je ne l'avais pas découvert par ces deux sens, je n'aurais certainement jamais pu apprendre l'existence du calme. Le vrai calme qui, si silencieux, en devient soit une source de réconfort ou de danger. Cet état de tranquillité, de paix et d'absence d'agitation est un espace dans lequel règne la sérénité. Grâce à l'absence de tumulte, je me repose un temps. Pas de cri, pas de gardes, pas d'appel semainier. Rien. Quand le calme s'installe, il fait signe aux perturbations extérieures de lui laisser la vedette durant un temps. J'apprécie ce temps.
J'aime penser que ce temps de vide est le repos que je n'arrive pas à atteindre avec le sommeil. Mes nuits n'existent pas, je ne les ressens pas. Pas un seul instant. La nuit tombée, quand je vais me coucher, je ferme les yeux et quelques secondes après, le matin est déjà à ma porte et m'ordonne un jour par semaine que je dois m'entretenir avec la reine. Mes nuits, ou plutôt l'absence de nuits, créent un étrange paradoxe dans ma vie. Le sommeil semble se jouer de moi, se fondant dans une routine entre la fermeture de mes yeux le soir et l'aube qui me surprend. Le matin se lève sans que je puisse discerner le passage du crépuscule, comme si mon cerveau avait décidé de laisser mes nuits en suspens. Comme si je défiais le temps de m'en voler le plus possible.
Je ne rêve pas non plus, je n'ai droit à aucune escapade. Je ne me souviens presque plus de la sensation de rêver toute une nuit. D'avoir eu l'impression de laisser mon corps à l'abandon toute une nuit pour m'évader ailleurs.
Pas un seul rêve, pas une seule sensation de plonger dans les abysses du sommeil. Mes rêves, s'ils existent, restent soigneusement cachés dans les recoins de mon cerveau scellé de la plus solide des manières. Je me demande parfois si mes heures de sommeil sont une parenthèse ou une illusion élaborée par mon esprit pour me permettre de tenir le coup.
Je ne comprends pas pourquoi je ne rêve pas. Je vois uniquement le noir quand mes paupières se referment. Et pourtant, j'ai le souvenir d'avoir rêvé par le passé. Mais c'était il y a des années et maintenant je me demande si rêver n'est pas aussi un autre privilège dont il faut hériter pour en toucher les contours. L'interrogation persiste, et avec elle, grandit le sentiment étrange que mes nuits sont peut-être un fragment d'une réalité qui ne m'appartient pas. Tout est fatiguant et vide de sens de toute façon.
Je me laisse emporter par le mystère de mes nuits sans nuits, prêt à accueillir chaque aube avec la certitude que je ne pourrais pas créer un laps de temps assez conséquent pour me convaincre que ma situation s'arrangera, que mon environnement évoluera. Je sais pertinemment que c'est un autre de mes fantasmes impossible.
Mon esprit n'est jamais détendu, à mon réveil, j'ai parfaitement conscience de mon entourage et je peux reprendre le fil d'un sujet sans problème de la même manière dont on reprend son souffle. Au réveil, je suis immédiatement immergée dans la clarté de mes pensées, reprenant le cours là où elles s'étaient interrompues. C'est comme si le sommeil, ou son absence, n'avait aucun pouvoir sur la cohérence et la continuité de mes réflexions. Mais ces derniers temps, cette constante vigilance mentale m'épuise bien plus que d'ordinaire, je commence à ressentir le besoin d'une pause. Une vraie pause. Je veux tomber dans un puits sans fond et me réveiller comme si j'avais été absente une centaine d'années. Goûter ce que tout le monde déguste sans effort.
Au détour d'un couloir pour rejoindre l'extérieur, mon garde de la journée échange son rôle avec un autre simplement en prenant sa place derrière moi. Je ne sais pas qui il est, ou bien si je l'ai déjà eu comme escorte. Je ne prends plus l'habitude de les reconnaître. J'ai tenté toute mon enfance de leur être agréable, aucun n'a été sensible à cette attention et seul le dégoût m'a répondu. Un rapide coup d'œil en arrière me laisse apercevoir ces six pas d'écart entre nous. Pas de doute, c'est bien un habitué des tours de garde.
Je remarque parfois de nouveaux arrivants, ils fixent trop longtemps mes cheveux ou ne laissent que quatre pas entre nous avant d'être conseillés d'en rajouter davantage. Lui, c'est bien un garde qui fait partie des murs. Et depuis longtemps. Mais certainement moins que moi. Je suis l'oiseau aux ailes d'or favori de la reine. Les gardes viennent et partent, ils protègent et meurent. Ils sont dévoués et braves, une génération en entraînera une autre avec la même dévotion.
Pour moi, c'est bien différent. Si ce garde fait partie des murs, moi, j'en suis le ciment, je ne partirai jamais. Je demeure et j'obéis, telle est ma mission. Mon châtiment.
Mes jours s'écoulent sans fin, dans une répétition perpétuelle. J'attends, je donne, je suis chaperonnée, je tourne en rond et je recommence. Encore. Je pense même être capable d'énumérer le nombre de buissons et de rosiers dans le jardin tant que je les regarde chaque jour que je viens, comme si je ne savais pas qu'ils étaient là. Tout est d'un ennui sans nom. Je me demande comment je ne cède pas à la folie depuis toutes ces années.
En fait, il y a vingt buissons le long du chemin, en double pour créer une entrée, une marche à suivre agrémenter d'un type de fleur qui n'éclot jamais. Je ne l'ai pas vu une fois sous une autre forme que sèche et morte. Je serais curieuse de savoir pourquoi c'est seulement celle-ci, et qu'en plus le jardinier se démène à venir en planter à chaque fois. Je deviendrais peut-être folle à essayer de résoudre ce mystère mais c'est ma seule distraction sérieuse. Par contre, pour les rosiers, je ne sais pas.
Penché vers une rose, j'ai presque mis mon nez à l'intérieur pour sentir la douceur des pétales rouges sur ma peau. Je pose mes doigts autour de la tige pour capturer entre mes mains la fleur, mais cela me fait piquer la paume de la peau. Je serre le poing en retirant ma main.
— Tu as entendu ce qui se dit pour les gens de dehors ?
Je tends l'oreille en fixant la fleur rouge. Je perçois la voix de mon garde journalier qui est resté en retrait pour me laisser gambader entre les plantes sans se forcer à m'accompagner.
— Quoi ? Qu'ils essayent encore de se rebeller en réclamant une vie à l'intérieur des murs ? Rien de nouveau, si ce n'est que ça.
Que ça.
Je me demande combien de personnes n'ont pas eu la chance d'être à l'abri. Même si j'ai tout oublié de la vie là-bas, je devine bien que la misère les embrasse chaque jour.
— Non, ça ils le font tous les mois. Récemment le groupe de nuit y est allé faire une expédition et pour une fois, ils n'ont presque rien eu à faire.
— Comment ça ?
— Ils sont quasiment tous partis vers le sud.
J'ouvre ma main, du sang sort par gouttelettes.
L'épine m'a coupé.
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D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]
FantasyArweny est une jeune femme dotée d'un don de clairvoyance depuis l'enfance. Ses parents étant pris entre deux feux la vende à la reine du royaume qui est obsédée par l'immortalité et la richesse, elle est donc parfaite pour les épargner en tant que...