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Je n'ai pas pu faire ou dire grand-chose après que nous avons appris la mauvaise nouvelle. Ils sont ici, elle est ici. Je sais qu'à notre arrivée, elle sera en arrière tout en étant suffisamment près de nous pour parler. J'ai vu ses lèvres bouger sans avoir à reconnaître le reste de son visage. Sa lèvre inférieure tressaute de la même manière à chaque fois qu'elle est en crise, qu'elle perd pied. J'espère qu'aujourd'hui elle perdra la tête.

Je ne me suis pas vu une fois dans les visions, dès que je tentais de voir mon futur, tout était opaque, vide. C'est probablement un tour de Drorena, elle m'a déjà dit que je ne pouvais pas tout avoir. J'ai réussi à prédire une énorme quantité d'avenir jusqu'ici, c'est pour ça que je ne peux pas voir le mien. Je ne peux pas voler la rose sans me couper les doigts. Je le sais bien, pourtant une idée s'est glissée en moi et me rend tellement anxieuse. Je ne sais pas si elle vient de moi ou bien de cette déesse qui aime les situations dramatiques, dès que j'y pense et je n'ai que ça à faire sur la route, mon estomac se noue.

Et si je ne voyais rien de mon futur, car je n'avais tout simplement aucun avenir après demain matin ?

Il se pourrait que forcer mon don au service des autres l'ai transformée en toxine. Je suis mon propre poison. Mais tout ira bien, j'ai moi même choisi cette issue. Je sais pourquoi je l'ai fait et, s'il le fallait, je recommencerais.

Parce que j'aime Merikh. J'aime sa mère, les habitants de Graivell. J'aime ces paysages verts, la chaleur du soleil et l'humidité de la grotte. J'aime regarder les réniens sourires, j'aime même les voolish et les voir si tendres avec Merikh. Je le fais parce que j'aime ce peuple à qui j'ai été volée.

J'avale ma salive, retiens mes larmes et continue d'avancer avec les autres. Merikh et moi avons été séparés dès l'annonce de leur présence. Ils se sont mis en route plus vite que prévu, mais comme nous sommes partis au début de la nuit plutôt que de l'aube nous devrions arriver en même temps qu'eux. Le visage de Lyssa me revient. Je n'oublie pas que tout ceci est à cause d'elle. Ce qu'elle m'a volée avant que je ne puisse en connaître l'existante. Je me demande ce que je vais faire, ce qu'elle va faire, comment nous allons finir toutes les deux à la fin de cette guerre. Une chose est sure, l'une de nous deux va mourir.

Je trébuche à cause de l'épuisement, un des chevaliers me rattrape par le bras, m'aidant à reprendre mes repères. Je lui dis que tout va bien mais par la force des choses, je m'écroule presque sous ses pieds cinq minutes plus tard. Le contre-coup de mon don tente de me mettre à terre, de m'endormir. Mais je ne peux pas fermer ne serait-ce qu'un œil durant plus d'une seconde. Si je m'endors, personne ne pourra me réveiller, je ne sais pas non plus quand est-ce que je pourrais reprendre connaissance. En poids mort, je ne serais d'aucune utilité en plus de leur donner comme mission de protéger une vie en plus de la leur. Je dois rester debout jusqu'à la fin, ils auront besoin de moi. Même si je ne sais pas me battre, que je n'arriverais pas à tuer, Merikh et les autres m'ont appris quelques astuces pour au moins blesser l'ennemi pour les aider dans le combat.

Le chevalier qui m'aide depuis un moment m'aide à monter sur le cheval d'un autre chevalier après qu'il a insisté pour que je le fasse, suivi d'un autre qui se porte volontaire pour guider le cheval sans que je n'ai rien à faire. J'ai beau refuser, contre trois hommes, je n'ai pas pu faire grand-chose pour refuser leur aide et me voilà assise sur la bête marron tachetée de points blancs. Rizelis, qui était sur le cheval se retourne de temps en temps pour s'assurer que je vais bien, Nyfia tient parole et guide le cheval avec le reste du rang que nous formons pour que je ne fasse rien et Rlik qui m'aide depuis le début me gêne en demandant aux gardes alentours s'ils n'ont pas de quoi me donner pour que je n'ai pas froid alors que le soleil est déjà couché depuis un moment. Nous n'avons allumé aucune torche, pas même une allumette en prévention pour que personne ne nous voie. Ils sont adorablement bienveillants. Ils renforcent ma décision de sacrifice.

Une larme coule de mon œil, une vision est venue à moi en l'observant, je l'essuie avant que Rlik ne s'inquiète d'autre chose.

— Rlik. Ton frère a été le plus courageux, du début à la fin. Il a été incroyable.

Il se retourne, un sourire fané se dessine sur son visage avant qu'il ne cache ses larmes en se tournant.

Je le sais, Alric était le meilleur d'entre nous. Et s'il a choisi de vous suivre jusqu'à la fin, je ferais la même chose.

Je renifle en pensant à ce que lui ai arraché. Désormais, une bonne partie de leur avenir est figée, mon choix se concrétise, lui et ses conséquences, à chaque foulée du cheval qui nous pousse plus loin dans la pleine. J'aperçois Merikh au loin, il est en tête de rang, lui aussi sur un cheval. Son épée est dans son dos et prend presque toute la surface de sa peau, je repense à la première fois où j'ai vu sa puissance, cette aura bleue émanant d'elle. On dit que le bleue inspire la loyauté, je suppose que le forgeron qui a fabriqué cette épée pour lui savait exactement à qui il avait à faire. De loin ou de près, j'ai toujours vu que Merikh était particulier, attentionné avec les yeux qu'il aime, dévoué à leur cause. Peut-être que le pouvoir qu'il m'a dit insuffler dans son épée quand il l'utilise est un reflet de son vrai lui. Une âme pure.

Comme s'il avait senti mes yeux posés sur sa nuque, il se retourne, je vois ses yeux se plisser, ses lèvres se retrousser. Il me sourit. Puis elles bougent. J'ai du mal à lire sur ses croissants de chair à cette distance.

— On. Se. Retrouve. Demain. Matin. Je. T'aime.

Je souris davantage.

— Moi. Aussi. De. Tout. Mon. Cœur.

C'est lui qui sourit plus fort.

— De. Toute. Mon. Être.

— De. Toute. Mon. Être.

Tout va bien se passer pour eux.

Le ciel s'éclaircit lentement, les étoiles disparaissent et laissent place aux tout premiers rayons de soleil qui eux-mêmes laissent apparaître une ombre. L'ombre est mouvante, se rapprochant de nous comme nous nous rapprochons d'elle. Elle s'étend à gauche, puis à droite avant de prendre des couleurs. Rouge.

Nous arrivons en même temps, comme prévu. Quand j'arrive à distinguer les premiers traits de visages des hommes en première ligne, tout le monde s'arrête en position, prêt à débuter le combat d'un instant à l'autre. Nyfia lâche les rênes du cheval, me regarde et incline la tête dans un silence tordant. Personne ne prononce un mot, je n'entends pas un seul homme respirer, comme si le moment était sacré, à gravé dans leur mémoire parce qu'ils ne sortiront pas tous indemnes.

Alors que je rencontre de plus en plus de regards de réniens qui inclinent la tête en ma direction, une porte qui grince me sort de la bulle protectrice dans laquelle ils m'ont confortée depuis le début. Ma gorge me brûle.

La porte du carrosse royal retentit jusqu'à mes oreilles, rebondit sur la surface boisée tant elle s'est ouverte brutalement. Puis une jambe apparaît, suivie d'un corps. Elle est habillée de sa robe préférée, comme si tout ceci n'était rien qu'une plaisanterie, que d'ici un jour ou deux elle serait rentrée parce qu'elle est convaincue qu'elle sortira victorieuse de cet affront. Si elle croit que c'est juste un caprice de ma part, elle ne se doute pas à quel point elle se fourvoie.

Quand mes pupilles se posent sur son visage, je sens le mien raidir. Elle est méconnaissable. Entièrement ridée, le front, les paupières, les joues et la peau de son cou pendent visiblement vers le bas. On pourrait attraper sa peau et l'étirer tant il y en a, elle semble avoir pris une quarantaine d'années depuis mon départ. En réalité, elle a vraiment pris quarante ans de plus en quelques semaines. Elle aussi, subit le contre coup de ses choix. Sans zektry, elle redevient une simple mortelle puisqu'elle fait partie de ces réniens à la durée de vie limitée.

— Arweny.

Sa voix a changé.

— Ici. Tout de suite.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant