39

17 4 0
                                    

Mes cheveux blancs sont trop voyants, si je veux parvenir à exécuter mon plan correctement, je dois passer inaperçue. J'ai beau être la seule femme, dans tout ce chaos, ils ne feront pas immédiatement la différence. J'ai attendu que les hommes qui nous sont tombés dessus s'éloignent de la zone qu'ils avaient utilisée pour y retourner. Mon estomac se retourne rien qu'en faisant cette action. Et si l'un d'entre eux y était encore ? Il y a plus important, la vie de Merikh l'est.

Je m'avance prudemment de l'endroit où j'étais retenue. Je remarque les tâches de mon sang et le fil qui en est recouvert. Le corps de cet azerian, couché définitivement sur le ventre. Je m'avance jusqu'à lui, le touche du bout de pied, juste pour vérifier qu'il est bien mort avant de retirer la flèche de son crâne d'un coup sec. Le coup me fait prendre du recul, mais au moins j'ai récupéré la flèche. Je retiens la nausée qui grimpe en moi en cherchant autour de moi.

Lui non plus, n'est pas très loin. Je rejoins Alric, dans la même position que lui. Sa tête est tournée vers moi, les yeux grands ouverts. Son épée est posée à quelques centimètres de lui, son arc n'est plus là. Je mets toute ma force pour le retourner sans abîmer davantage sa peau ouverte en deux et enlever la veste de son uniforme. Je ne peux pas m'empêcher de détailler le visage de mon sauveur, je referme ses paupières et embrasse son front.

Excuse-moi, pour ton sacrifice que je ne respecte pas et le fait que je sois en train de te dépouiller.

Je l'enfile, elle est à la bonne taille, recouverte de moitié par son sang et mes jambes sont à demi nues, mais ça devrait le faire avec le pantalon de l'autre cadavre et sa ceinture serrée au maximum. L'important est que Dixon me voit sans me voir. Je dois juste être une personne en plus, pas Arweny. J'attache mes cheveux de façon à pouvoir mettre le tissu que j'ai récupéré sur l'azerian sur ma tête, camouflant mes cheveux un maximum. Ça commence maintenant.

Je traverse le camp, les combats s'en sont rapprochés et s'étendent sur toute la longueur. Je plisse les yeux en m'accroupissant entre les dernières tentes, à la recherche de la flamme bleue de Merikh. Je ne tarde pas à le trouver, sa flamme est dense et traverse le décor à une vitesse incroyable, ses ennemis ne résistent pas longtemps avant de s'écrouler un à un comme des mouches.

Pour autant, ce n'est pas une bonne nouvelle, s'il fait le ménage d'un coup d'épée en fendant l'air, ses hommes ne sont pas aussi puissants. Peu importe où je pose mon regard, je vois plus de personnes de notre côté s'effondrer que l'ennemi. Je suis impuissante, je ne peux que les regarder et espérer qu'ils s'en sortiront indemnes.

Je vois de moins en moins de vestes rouges, Merikh fait le plus gros du travail en passant d'un homme à un autre sans interruption, ils les enchaînent à une vitesse qui commence à m'inquiéter. Il va s'épuiser, je sais qu'il est fort, mais il n'est pas invincible. Je me fais pousser en avant, quelqu'un me mettant une frappe dans le dos, je m'élance en courant pour n'être ni reconnu, ni attrapé.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? On ne retournera pas là-bas, vivant ou mort, il faut se battre pour nos vies ! Donne tout pour ne rien regretter. C'est notre revanche à nous.

Il me parle en criant, sans même me regarder, je me lance dans la bataille sans savoir ce que je vais faire pour passer entre les mailles du filet, moi et ma flèche. Mais son discours m'a donné du courage, pour cet homme et tous les autres je vais faire mon maximum pour réussir à sauver leur chef d'une mort incertaine. Je cours à travers tous les duels à mort, passant entre eux et évitant les coups perdus quand je les frôle.

Ils s'entrechoquent avant de changer de cible et je me demande comment faire pour rester au milieu de tout ça. Tout droit, je vois un azerian avec un arc accroché dans le dos. C'est celui d'Alric. Je reconnais l'homme qui était proche de celui qui s'est fait abattre, il est en train de se battre avec deux hommes en même temps, il est dépassé. Comment je vais récupérer l'arc ? Je ne peux pas attendre qu'il meurt pour aller la chercher, si je reste immobile je vais finir par me faire couper en deux. Je me force à regarder droit devant moi sans jamais m'arrêter de courir pour ne pas voir ce que je piétine de ferme et large. Merikh passe devant moi, et je n'ai même pas eu l'impression de le voir bouger, seule la traînée bleue derrière lui me laisse le savoir. Quatre hommes tombent une seconde après lui, me permettant de me rapprocher de l'homme que je cherche.

Je ne le trouve plus. Nul part. Je tourne autour de moi jusqu'à m'en donner le tournis parce que je ne le trouve plus alors qu'il y a de moins en moins d'hommes sur leurs deux pieds, nous ne sommes plus que quelques-uns à être encore debout. Dixon apparaît devant moi, je me retourne pour qu'il ne me reconnaisse pas et tombe en glissant sur un corps. Je reste au sol, immobile, je l'entends s'approcher, s'arrêter puis repartir. Je remercie la quantité folle de sang sur mon uniforme pour l'avoir berné, je le regarde du coin de l'œil s'éloigner.

Couché entre les corps, je me rends compte que je suis entouré de rouge, d'uniforme rouge, il n y a presque que ça autour de moi. Les hommes de Merikh ont pris le dessus, ils sont en train de gagner. Je me relève et observe l'horizon. Il ne reste plus que trois azérians, deux sont en train de se faire transpercer à une centaine de mètres, le troisième est Dixon.

Quand je tourne la tête de l'autre côté, je vois Merikh, ma satisfaction s'efface quand il tombe sur ses genoux, son épée l'aide à ne pas s'écrouler au milieu des corps. Il pense que tout est fini, qu'ils ont gagné, alors il se laisse aller, mais je sais que ce n'est pas le cas, et que Dixon s'est dissimulé tout comme moi ce qu'il a empêché de mourir jusqu'à maintenant. Je ne peux pas crier pour le prévenir, à quoi servirait mon plan, comment réagirait-il tous les deux ? Trop de questions qui n'ont pas le temps d'être étudiées.

Je suis dans le dos de Dixon, je le vois se prendre la tête entre les mains avant de donner des coups de pieds dans les corps de ses camarades. Puis une voix s'échappe d'entre eux alors que je vois des hommes de Merikh se diriger vers lui pour l'abattre à son tour, le dernier ennemi. Ils sont trop loin. Merikh est à cran, il n'a toujours pas bougé d'un centimètre.

— Chef...

Je reconnais l'homme.

— Sauvez... sauvez...

Parce que c'est celui qui a volé l'arc et qui maintenant se le fait voler à son tour comme s'il n'était pas encore en vie, pas à l'agonie. C'est maintenant que je ne dois plus réfléchir. D'ici une seconde, il bandera l'arc contre Merikh qui, j'ai peur, ne le sentira ni ne l'entendra arriver.

Je m'élance vers lui, passant dans la ligne de mire de Dixon. Quand j'arrive à son niveau, que j'ai dissimulé la flèche sous mon aisselle et que je suis même capable de distinguer ses belles mèches de cheveux en me jetant devant lui sur les genoux, je me retourne.

La flèche rentre dans mon bras avant que je puisse faire quoi que ce soit, je hurle de douleur et son visage passe de la haine à la surprise. Il croyait tuer Merikh, mais il m'a blessé à la place. Il m'a reconnu, il baisse l'arc, le garde abaisse son épée et Dixon tombe au sol, toujours vivant. Le dernier azerian après lui est mort.

Je me laisse tomber à mon tour, plaçant ma main autour de mon bras. Je me recroqueville, toute l'adrénaline s'évacue de mon corps, je ressens toutes mes blessures à nouveau. Mes genoux, mes mains, ma cheville et mon bras. Mais j'ai sauvé Merikh, je l'ai sauvé.

— Winnie ?

Il me retourne, constatant que c'est bien moi.

— Bon dieu mais qu'est-ce que tu fais là ?

Il attrape mes joues entre ses mains, puis me redresse en position assise.

— Merikh.

— Ne parle pas, tais-toi, dit-il en posant sa main sur ma bouche.

— Ce ne sont que des égratignures, rien de plus.

Je vois ses lèvres bouger pour autant je n'entends rien de ce qu'il me raconte, le son est absorbé par quelque chose d'autre, capté ailleurs. La douleur me tient en éveille et malgré tout, m'empêche d'y voir clair. Et même si je n'entends plus l'extérieur, je sais que j'ai correctement formée ma phrase.

— Je peux changer le futur.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant