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— Winnie, tu as écouté ce que j'ai dit ?

— Quoi ?

Je me branche de nouveau à la réalité en entendant sa voix. Il est à genoux devant moi, le groupe qu'ils avaient formé s'est dissipé. Leur plan définitif est sûrement terminé. Depuis combien de temps sont-ils tous parti ?

— Va te reposer, depuis ce matin tu t'épuises.

— Je vais bien, c'est bon.

Il passe sa main dans mes cheveux, masse mes genoux affectueusement.

— Tu es assises ici depuis quatre heures, ma mère et Gilt sont venues te voir, tu n'as pas cligné d'un œil. Qu'est-ce que ton père t'a dit ?

Malgré le chaos autour de nous, il prend le temps de me demander comment je vais, alors que ça devrait être l'inverse. C'est tout ce que je voulais éviter, détourner son attention alors que tout un village place ses espoirs sur ses épaules. C'est aussi de ma faute, depuis mon retour, dès que je tente d'avoir une vision les images fondent les unes sur les autres pour donner forme aux visions du passé que je devine être les moments que mon père m'a confiés.

Son visage me revient en boucle, encore et encore, va t-elle être mon bourreau pour le reste de ma vie même quand elle n'est pas avec moi ? Cette expression qu'elle avait enfant m'est si familière que je l'ai reconnu malgré sa petite taille, sa corpulence fragile et ses cheveux en pétard. Son visage lui, n'a jamais changé, il est le même depuis toujours. C'est de nature qu'elle est tout ce que je hais. Mais je ne suis pas la seule à la détester du plus profond de mon cœur. La famille de Merikh en a aussi fait les frais, son père que j'aurais tant aimé rencontrer n'est plus ici pour l'épauler. Il a besoin de toute l'aide qui est disponible pour supporter cette guerre. Je ne dois pas fléchir.

— Ce n'est rien, des histoires déterrées du passé .

Je retrouve mes sens rapidement et sens dans ma main le stylo que je sers si fort que mes doigts ont blanchis. Je le laisse sur le tronc d'arbre qui fait office de banc, feuilletant à la va vite le carnet. Je devrais le passer à Merikh. J'ai écrit le maximum de possibilités de futur que j'ai vu dans son armée, ça le concerne. Ce ne sont pas tous des éléments décisifs, mais collés les uns aux autres, je crois bien que tous ces futurs pourraient finir par peser dans la balance.

Nous partons demain à l'aube, il aura le temps de consulter personnellement les personnes que j'ai citées pour en parler après avoir lu ce que j'ai écrit la dedans. Je lui tends le carnet, certaines pages sont remplies de gribouillis, d'autres sont recouvertes d'écritures dans tous les sens, mais il devrait comprendre ce que j'ai écrit. Puisque j'écrivais en temps réel, je n'ai pas fait attention à l'esthétique de mes phrases, parfois elles ne contiennent que quelques mots en abordant le problème au sens large, alors que les autres sont très précises. Chaque vision est aléatoire et plus j'en faisais, plus j'avais du mal à les retranscrire.

— J'ai écrit tout ce que j'ai réussi à exploiter de mon don. Ça devrait bien t'aider pour aiguiller tes hommes.

— Je t'avais dit de ne pas trop forcer, combien de temps tu as passé à faire ça alors que je pensais que tu te reposais ? Tu nous as déjà apporté la meilleure aide dont nous aurions pu espérer.

— La guerre n'a même pas commencé. Ton armée va devoir donner tout ce qu'elle a en réserve. C'est un coup de pouce que j'offre.

— Notre armée. C'est notre armée, tu la commandes autant que moi, tu as autant de poids que moi dans leur opinion. Ne vois tu pas qu'ils sont prêts à tout pour toi ? Tu leur as donné une étincelle d'espoir au milieu des cendres. Peu importe ce que tu fais, cette armée est tout autant à toi qu'à moi. N'oublie pas qui tu es. Pour eux, pour moi.

Je le tire par le col, je l'enlace et le sers fort dans mes bras. Ses mains trouvent leur place dans mon dos, il sert sa prise sur ma peau, le cuir de son uniforme rencontre ma peau chaude. Ça me rappelle cette nuit où il m'a donné sa cape pour que je n'attrape pas froid.

— C'est toi et moi ? Je chuchote à son oreille.

— Toi et moi. Il chuchote aussi.

Cette promesse à peine dissimulée, je compte l'honorer.

— Je t'aime.

S'il le faut, je prédirais sur le champ de bataille son avenir proche pour encore savourer la chaleur de son corps, ne jamais oublier le contact de sa peau quand il se lève et que son odeur ne reste que sur les draps.

— Je t'aime.

Je dépose un baiser sur sa joue, il sert davantage ma cuisse. J'avale ma salive quand je sens la chaleur grimper en moi. Ce n'est pas le moment ni l'endroit d'agir de cette façon, pourtant l'électricité dans mes doigts ne cesse de revenir. J'ai un pressentiment. Il ne me plaît pas.

— Nous aurons tout le temps qu'il nous faudra pour que tu prédises ce que je compte te faire une fois terminée.

Son murmure à peine perceptible quand il se relève en caressant mon oreille me fait brûler. Je baisse la tête en souriant. Parce que je sens les larmes monter.

— Bien, regardons ce qui nous attend.

Il ne prête attention qu'à ce carnet désormais, temps mieux, il ne verra pas ma panique. Pourquoi mon cœur se met à frapper de toutes ses forces mon fort intérieur. Je me sens mal. Mon intuition ne cesse de me lancer des épines.

— Jonnat – front – trois hommes – gauches - lances. Bon, j'ai l'idée principale, trois ennemis à sa gauche bien armés. Il ne les verra pas arriver. Merry abattra un homme avant qu'un n'arrive dans son dos avec une...

Pendant qu'il lit à haute voix les prédictions, la température continue de monter en moi. Il va se passer quelque chose, je me prends des petites décharges depuis quelques minutes. Je ne prête plus attention à Merikh et cherche d'où va venir le problème que je ressens. Il est tout prêt de moi.

— L'effort me tuera six mois.

Cette phrase. Il l'a prononcé si gravement qu'elle m'a sorti de ma recherche.

— L'effort me tuera six mois. Me, pas de il ou de nom. De qui tu parles dans cette prédiction ?

Il retourne le carnet pour que j'en vois les pages. Six mots, trois par page, écrits en long en large et recouvrant tout l'espace. J'ai écrit ces mots plusieurs fois sur la même page, pourtant ils ne me disent rien, je n'ai rien vu de semblable dans mes visions.

— Je ne sais pas je-

— De. Qui. Est. Ce. Que. Tu. Parles ?

J'ai écrit me tuera. Moi.

J'ai à peine le temps de mettre mes idées en place qu'un des chevaliers arrive en courant vers nous, s'arrêtant tout essoufflé. Il peine à reprendre son souffle, il a du mal à dire ce qu'il amène, pourtant, sa phrase à beau être saccadée, nous avons parfaitement compris ce qu'il vient de nous dire.

— L'armée d'Azearia est en route. Ils sont à une demie journée de nous. 

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant