Ouvrir cette porte me procure tout un tas d'émotions que je ne pensais pas ressentir à nouveau. Je me sens prise au piège entre ses murs que je ne connais pas, mais qu'on me force à longer à cause d'un lien parenté. Aucun garde ne me suit mais ce n'est pas pour autant que je ne suis pas surveillé. Ou bien contrainte de rester.
Personne ne m'empêche d'aller où bon me semble mais je ne suis pas dupe, la psychologie inversée ne marchera pas sur moi. J'en ai fait les frais par le passé. Ce n'est pas parce que je suis libre de mes mouvements que j'ai pour autant le droit d'en dépasser une certaine frontière. Je le vois au nombre élevé de gardes devant l'entrée par laquelle je suis entrée. Je devais m'en douter que ça se passerait de cette manière, mais je ne pouvais pas me résoudre à rentrer avec lui après ce qu'il m'a fait.
Ce que je vois à l'autre bout du couloir me coupe le souffle, je me fige un instant. Il ne m'a pas vu. Il est de dos dans une pièce ouverte, donnant des indications, tape sur une carte, fait de grands mouvements de mains. Parce que Merikh est le chef de l'armée, l'homme le plus fort de leur troupe et le meilleur atout de mes parents. Eux aussi, ils l'utilisent ?
Je ne peux pas les appeler de cette façon, un parent, c'est... la mère de l'homme que j'aime, douce et ferme à la fois, qui donne des conseils et rassure son enfant sans en connaître les tenants et les aboutissants. Pas des personnes qui récupèrent un objet sur la commode parce qu'il a de nouveau de l'utilité. J'ai été un objet toute ma vie, je ne me laisserais plus faire.
— Arweny ! Te voilà enfin, nous te cherchons depuis une éternité.
Il se retourne. Je croise son regard. Il est noir. Vide. Distant. Inconnu. La porte se ferme avec un coup de pied.
— Ma chérie, comment vas-tu ce matin ?
Ils se rapprochent tous deux de moi, la mine intéressée. Qu'ils sont bons comédiens. Malheureusement pour eux, j'ai joué le rôle de l'enfant docile en toutes circonstances dans l'autre château. Un château reste un château, peu importe l'endroit. Le rôle sera le même.
— À vrai dire, je ne me sens pas très bien, l'air ici est trop sec. Peut-être que celui de dehors serait plus... respirable.
— Et bien, c'est que... Tu ne connais que peu ces terres, nous avons peur que tu te perdes.
— Je suis votre fille.
— En effet, et nous sommes si heureux de te retrouver.
Le roi me prend par la main, les yeux faussement larmoyant.
— Cela fait donc de moi la princesse de ce pays. Quelle princesse ne connaît point ces terres ?
— Cela est un peu tôt, tu viens tout juste d'arriver, nous avons des souvenirs à retrouver, tu ne penses pas ?
J'ai envie de croire leur volonté, leur enfant chéri perdu, pourtant, chaque mot, chaque battement de cils me paraît calculé, faux. Je n'arrive pas à leur faire confiance, il y a cette aura qui plane au-dessus de leur tête qui m'incite à reculer. Ma vision se brouille, une vision s'empare de mes yeux, me forçant à regarder. Je l'ai déjà vu quelque part, c'était il y a bien des mois. Pourquoi la vision de la reine Lyssa avec sa couronne me revient-elle maintenant ? Elle possède quelque chose de plus claire, les contours sont plus nets. Ses cheveux sont bruns et pourtant ils me semblent terriblement livides...
— Chérie ?
— Ne m'appelez pas de cette façon.
Mon ton sec les fait tiquer, mais je ne suis plus d'humeur. Mon jeu d'actrice a trop duré, je suis fatigué de voir les efforts qu'ils déploient pour m'empêcher de vivre alors que c'est eux qui m'ont arraché ma liberté.
— Je veux sortir d'ici.
— Je le sais bien, ma belle, tout s'arrangera.
Elianore essuie la larme qui coule le long de ma joue. Ma chambre est le seul endroit où je peux me réfugier, avec elle comme servante, l'endroit devient même plaisant.
— Merikh ne veut plus me parler.
— Tu en es sûre ?
— Non. Mais... je l'ai senti.
Il ne m'a jamais autant repoussé qu'avec ses yeux qui me faisaient chavirer auparavant.
— Alors tu ne sais pas. Mais connaissant mon fils, il ne viendra pas te voir. Maintenant que vous êtes ici, il ne le peut plus.
— Pourquoi ? Pourquoi il m'a fait espérer alors ?
— Oh ma belle...
Elle revient vers moi, s'agenouille devant le fauteuil où je me suis installé depuis le début de l'après-midi.
— Je pense qu'il n'a tout simplement pas pu résister. Regarde toi, tu es belle, courageuse, maligne, et je pense que je ne vois pas la moitié de ce qu'il a perçu en toi comme ce que tu perçois en lui. La-bas, les choses devaient être plus simples, mais ici...
Elle caresse affectueusement mon épaule, ça me fait sourire, cette délicatesse désintéressée.
— Ici il est redevenu ce qu'il a été destiné à devenir. La force de Graivell. Il ne peut plus se permettre les écarts qu'il a eu avec toi. Notre reine et notre roi l'ont commandé de t'emmener à eux. Imagine ce qu'il ressent maintenant qu'il a réussi et que par conséquent, il ne peut plus t'approcher. Tu es la princesse des réniens, lui le chef de l'armée.
Je comprends ce qu'elle me dit, je sais qu'à Azearia les nobles se marient aux nobles, les roturiers aux roturiers. Mais pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas continuer ce qu'on a à peine commencé ?
J'allais lui demander davantage de choses sur son fils quand je sens que je dois me taire. On toque à la porte. Elianore se redresse, retrouve une position bien plus professionnelle, comme si nos échanges étaient secrets, inconvenables. La reine rénienne pénètre la chambre puis me rejoint.
— Arweny, il faudrait que je te parle.
— De quoi ? De la somme que vous avez récupérée en me vendant ? J'espère que ça vous a permis de faire construire tout ceci.
Derrière la reine, je vois le regard choqué de la mère de Merikh, visiblement, elle n'était pas au courant de pourquoi la fille de ses souverains avait disparue.
— Justement, je voudrais te parler de ton enfance.
— Je ne veux rien entendre.
Cette journée m'a épuisée, je suis à fleur de peau depuis deux jours, je sais que je ne pourrais pas continuer de jouer les impertinentes bien longtemps avec ce genre de discours. Parce qu'ils sont la raison de tous mes malheurs, j'ai beau les ignorer et les refouler, y penser me fait toujours du mal. Alors si c'est la personne qui en est à l'origine qui me le conte, je ne sais pas dans quel état je serais.
— Bien, mais si tu as besoin de moi pour parler...
J'endormirais tes doutes.
— ... te confier...
Donne-moi des informations.
— ou te réconforter...
Je t'amadourais.
— ...je suis là pour toi, maintenant.
J'ai besoin de toi, maintenant.
— Tu m'es précieuse, bonne nuit, ma fille.
Tu m'es utile.
Un je t'aime aurait pu me faire vaciller. J'aurais pu y croire. Toutes ces tentatives de dialogue me donnent l'impression qu'elle tente des manœuvres désespérées pour nous rapprocher. Pas en tant que mère, en tant qu'espion. De garde. Elle veut que je lui sois utile.
C'est maintenant que je réalise que la trahison de Merikh n'était pas une épine en plus qui se loge dans mon cœur. Merikh est la fleur qui se tient au-dessus des épines. Il n'a rien voulu de tout ça, il a toujours été sincère dans ses sentiments envers moi. Mes parents sont les épines qui nous écorcherons quand les pétales tomberons, ils nous ferons faner pour servir leur dessein.
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D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]
FantasyArweny est une jeune femme dotée d'un don de clairvoyance depuis l'enfance. Ses parents étant pris entre deux feux la vende à la reine du royaume qui est obsédée par l'immortalité et la richesse, elle est donc parfaite pour les épargner en tant que...