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 — Quelque chose ne va pas ?

J'étais tellement distraite par mes propres pensées que je n'ai pas dit un mot depuis que nous avons quitté notre campement éphémère. Ça doit faire bien deux heures que je reste silencieuse en regardant le paysage vert sur notre cheval.

— Je réfléchissais.

— À propos de tes visions ?

Ce n'est pas une surprise qu'il le sache, tous les chevaliers me méprisaient à cause de mon don, il n'en a juste jamais parlé.

— Oui et non.

Le sujet maintenant abordé, je me souviens d'une phrase qu'il m'a dit quand nous étions sur Scald.

— Tu savais ce que c'était depuis le début. C'est pour ça que tu ne m'as pas obligé à manger ?

— Je me suis rendu compte qu'il y avait de l'aleam dans ta soupe à l'instant où on m'a donné ce plat. Je ne pouvais pas te le donner tout en sachant les effets que cette pierre procure. Je ne me serais pas pardonné d'agir comme celui qui ne sait rien alors je suis censé te protéger.

Le fait qu'il parle encore au présent en énonçant son ancienne mission me fait sourire.

— Comment tu connais son existence, à l'aleam et qu'est-ce qu'elle fait ?

De ce que je sais, quand j'en mangeais je ne me sentais que mal alors que le simple fait d'en avoir contre ma peau de manière brute m'a presque tué.

— Ce n'est pas une pierre pour commencer, c'est un champignon séché puis brûlé, c'est pour ça qu'il s'effrite comme de la terre. Et il est vénéneux. Pour les effets tu les connais déjà, migraine, vomissements, vertige....

Je devine déjà la fin de sa phrase.

— Seulement à petite dose.

— Exactement. Le brûler concentre son poison dans chaque particule plus intensément, ils mettaient quelques miettes dans tes repas. Parce que l'aleam a aussi une autre vertu. Elle annihile les capacités particulières.

Particulière, est-ce comme ça qu'il me voit ?

— C'est pour ça que tu étais en si mauvais état quand je suis venu te chercher, tu aurais pu résister au froid sans problème mais le poison était déjà en train de te contaminer comme tu en avais une énorme charge au niveau du cœur, il est très intrusif.

J'ai l'estomac dans la gorge en pensant au fait que je me fais empoisonner depuis plus de dix ans et que je pensais que c'était pour mon bien. Je me suis bien fait avoir.

— Tu en sais beaucoup. C'est une chose commune dans ton village ?

— Pas vraiment, mais je me dois de savoir ce qui pourrait nuire à mes hommes sur le terrain.

Attentionné et cultivé. Et très charmant. À quoi je pense tout à coup ?

— Tu fais des expéditions comme Godric, avec tes hommes ?

— Ne nous compare à ce qu'ils font, les miens valent tellement mieux que ton petit chef et ses agissements miteux.

L'atmosphère légère se brise à ma question, le sujet est controversé pour lui et je m'en veux de ne pas avoir tourné ma langue dans ma bouche avant de parler. Bien sûr qu'il ne lui est pas favorable, c'est son ennemi, et actuellement otage.

— Il ne fait qu'obéir aux ordres tu sais.

— On a tous le choix. S'il est devenu chef c'est qu'il adhère parfaitement aux idéaux de sa reine.

Je ne sais pas pourquoi je m'entête à vouloir défendre Godric tout en étant du côté de Merikh, je ne peux choisir entre mon ami et mon... mon... Bref, j'entends au son de sa voix que le sujet l'agace alors j'arrête de poser des questions.

— Quand tu sauras ce qu'il fait, tu me comprendras.

Ses mots sur les voolish me reviennent en tête, j'ai peur de ce que je pourrais découvrir.

— Chef, droit devant !

Je cherche l'élément que Vick vient d'annoncer et je vois au loin un petit cours d'eau. Nous nous en rapprochons, galopant par la suite en longeant le long de l'eau pour ne pas perdre de vue la petite rivière. Merikh m'a soufflé que ses autres compagnons d'armes avaient établi leur campement le long de cette fameuse rivière et qu'il nous suffisait de la suivre pour les rejoindre, nous serons donc dans peu de temps réunis à eux.

En plissant les yeux, je vois tout un tas de tâches s'élever les unes à côté des autres, les mêmes tâches qui se multiplient un peu plus à chaque foulée faite. Finalement c'est toute une armée qui s'étend avec des tentes et des chevaux formant des allées entières d'hommes et d'armes.

Je me sens tout à coup gêné d'être au milieu d'eux, notre petite équipe entre directement dans la masse qui nous a vu arriver et s'agglutine pour nous accueillir. Merikh est comme un poisson dans l'eau, parlant et marchant comme s'il était chez lui partout où il va. Ils ont tous l'air ravis de le voir, mais les regards sur moi commencent à me mettre mal à l'aise, ils deviennent plus nombreux et commencent à s'accompagner de murmures.

— Ils ont réussi à la ramener.

— Elle est moins imposante que ce que je pensais.

Je préfère penser qu'il parle de ma condition physique.

— C'est vraiment elle, mais elle ne leur ressemble pas...

À qui ça ? À qui je ne ressemble pas ?

Malgré ma curiosité j'essaye de ne pas faire attention à leurs mots parce que de toute manière, leur regard change quand ils voient mon ami derrière moi. Ils passent tous sans exception de la neutralité au dégoût, l'un d'entre eux crache au sol pendant qu'un autre formule une insulte osée.

— Il est notre prisonnier mais interdiction de le toucher, c'est un ami de Arweny, c'est clair ?

Il a une manière singulière de dire mon prénom comme s'ils le connaissaient tous.

— Oui, chef !

Leurs paroles sont bien moins motivées qu'auparavant et Merikh leur ordonne de retourner à leur poste et de dégager le passage. Je dois lui demander plus tard quel est ce campement au milieu de nulle part, il n'y a pas de village dans les environs.

Il m'invite à le suivre à travers ce monde qui continue de m'observer curieusement. Me cacher derrière mes longs cheveux blancs ne servirait à rien, leur couleur attire encore plus l'œil. Un homme différemment habillé apparaît devant nous, Merikh se rue vers lui et lui chuchote de longs mots à l'oreille.

Je présume que c'est un médecin, il n'a pas du tout l'air d'un soldat, il n'a aucune arme sur lui en plus d'avoir des petits pochons le long de sa ceinture, son visage n'est pas marqué d'une seule cicatrice comme les hommes que j'ai sous mon nez. C'est au médecin de parler un moment à son oreille, puis ils s'écartent l'un de l'autre, entendu.

— Bien, je ferai ça cette nuit alors. Je passerai dans votre tente à la tombée du soleil.

Pourquoi venir la nuit alors qu'il peut se faire soigner maintenant, nous venons de rentrer et il est blessé. Hier soir je voyais bien qu'il souffrait même s'il ne l'a pas dit, et à cette heure il agit comme si de rien n'était, comme s'il n'avait pas deux crocs de serpent géant dans le bras et l'autre entièrement noir à cause de son contact avec l'aleam. La situation est-elle si dramatique pour qu'il agisse comme si tout allait parfaitement ? Oh... c'est peut-être ça, la raison de cette tranquillité.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant