Vingt minutes plus tard, je passe mes jambes dans un collant polaire de couleur chair qui m'aidera à affronter le froid de cette soirée hivernale. Je veux être belle, mais je refuse d'avoir froid. De toute façon, je n'ai pas prévu d'être déshabillée ce soir, voulant passer du temps avec Aedlin uniquement. J'ajoute alors ma robe et retourne dans ma chambre pour me maquiller légèrement. J'adopte un eyeliner smoky et un rouge à lèvre rouge, le tout agrémenté de quelques tâches de rousseur qui imitent celles qui se cachent sous mon fond de teint.
Aedlin toque à ma porte et je l'invite à entrer.
— Wow. T'es encore plus belle que ce que j'espérais, commente-t-elle.
Elle aussi s'est préparée, le temps que j'aille à la douche. Elle porte à présent une robe rouge et des talons assortis, avec un marron nude sur ses lèvres et des faux cils.
— Et toi, t'es juste magnifique, comme à ton habitude.
— Ça, je suis bien d'accord, acquiesce-t-elle.
C'est exactement son personnage : ne pas dire merci à quelqu'un qui lui dit qu'elle est belle parce qu'elle considère qu'on ne peut pas complimenter ce qu'on ne peut pas changer. En l'occurrence, son physique n'est pas une chose objectivement modifiable, même si elle peut modeler son corps grâce au sport. Aedlin aime les commentaires positifs, mais seulement si ceux-ci concernent ce qu'elle a accompli.
— Ton maquillage est vraiment bien fait. Il fait ressortir tes yeux.
— Merci !
Elle se tait une seconde.
— On devrait y aller avant que je meure de faim.
— On mange là-bas ?
— Oui. Ça te va ?
— Oui, oui.
Aedlin m'adresse un sourire et rejoint l'entrée de son appartement où elle attrape des chaussures plateforme à talons qu'elle enfile. Je fais de même avec mes Docks plates bien qu'elles me réhaussent de quelques centimètres grâce à la semelle épaisse des bottines. Nous attrapons toutes les deux un manteau et un sac à main pour finalement sortir de l'immeuble par l'ascenseur. En quelques secondes, nous pénétrons dans la station de métro la plus proche et montons dans le premier train qui passe.
— Le bar n'est pas loin, crie-t-elle pour que sa voix passe au-dessus des crissements du métro, on va à Soho. Il y a trois arrêts.
— Seulement ? Je pensais qu'on irait loin.
— Pourquoi aller loin alors que je me suis installée ici spécifiquement pour être à côté du quartier le plus festif de la ville ?
— Je te l'accorde.
J'avais effectivement vu sur Internet que Soho était le quartier dans lequel aller si on veut faire la fête. J'avais prévu d'y aller au moins une fois, même de journée, pour m'imprégner de ce quartier original dont une partie est consacrée à l'Asie. C'est une attraction que je pourrais rayer de ma liste en rentrant, même si je pense retourner à Chinatown pour goûter des spécialités venant des quatre coins du continent voisin.
Déjà, nous arrivons à l'arrêt de métro et affrontons le froid pendant quelques minutes, le temps de rejoindre le bar. Dès que nous entrons dans celui-ci, la mélodie de la musique mêlée aux discussions agresse mes oreilles. La musique n'est pas encore poussée à son maximum, laissant place aux papotages autour d'un repas. Nous commandons chacune une bière et un burger-frites avant de rejoindre une banquette vide.
— J'avais presque oublié cette sensation ! lancé-je à Aedlin en haussant la voix pour qu'elle m'entende malgré le bruit ambiant.
— Tu ne sors pas à Glasgow ? s'étonne-t-elle.
Je secoue la tête.
— Je suis trop crevée par le boulot, j'ai le temps de rien. Le soir, je dors ou je bosse.
Je tais que je ne travaille pas toujours sur des dossiers et qu'il m'arrive souvent d'écrire. Personne ne le sait, pas même Aimee, pas même mes parents. Pour une raison inexpliquée, je prends l'écriture pour mon jardin secret, celui que je ne partage avec personne d'autre que moi-même. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai peur ou parce que je souhaite le garder pour moi, mais je n'ai aucune envie de partager cette information avec qui que ce soit de mon entourage. C'est une activité si individuelle que je trouverai ça étonnant de la révéler à quelqu'un, comme si on pénétrait dans mon intimité la plus profonde.
— Je comprends, mais tu devrais prendre du temps pour toi. À quoi sert une vie où tu ne fais que bosser sans jamais être heureuse ? Je préfère encore vivre à la rue que de bosser sans jamais penser à moi.
Je hausse les épaules en croquant dans une frite. Il y a une époque où je pensais ainsi, où je ne me voyais pas vivre sans m'amuser, mais j'ai été prise dans la spirale du travail et suis tombée dans un cercle vicieux qui ne me laisse pas m'échapper. Peut-être que ce déplacement à Londres est ce qui débloquera enfin ma situation et qui m'offrira enfin la chance que je n'ai jamais eu depuis que Hayes & Bennett a été lancé.
Aedlin et moi dévorons nos repas avec famine, discutant du passé – bien qu'elle soit la seule à s'en souvenir. Même si ma mémoire a effacé tous ces moments, ils sont encore là dans mon cœur, derrière ce voile qui s'est installé des années plus tôt. Un instant, j'espère que les récits de mon amie m'aideront à le faire se lever, mais je comprends rapidement que rien ne me revient, pas la moindre image. Je ne peux que les imaginer à travers les mots de Aedlin.
Si seulement quelque chose me revenait.
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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
RomanceLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...