Chapitre 16.2 - Mary

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Je raccroche et dépose mon téléphone à quelques centimètres de moi. Je regarde ma petite valise qui fait sincèrement pitié tant je ne sais pas quoi mettre dedans. Cela fait deux heures que je tente de m'en occuper, mais je n'y parviens pas. En réalité, je me demande si ce n'est pas parce qu'en la faisant, ça rend l'enterrement plus réel. Si je ne fais pas ma valise, je repousse le moment et me laisse l'impression que je n'ai pas à retourner à Glasgow pour un tel événement. Égoïstement, j'aimerai que ce soit déjà fini, que ce soit déjà derrière moi pour que je n'y pense plus jamais alors même que cela hantera Aimee et John toute leur vie.

Je me force malgré tout à la faire car je dois être forte, à la fois pour Aimee et John que pour moi. Si j'en suis incapable, comment pourrais-je être réellement prête à faire face à mon passé ? Si j'en crois mes parents, c'est bien pire que tout ce que je pourrais imaginer. Si c'était la mort de quelqu'un, mes parents me l'auraient dit. N'est-ce pas ? Un frisson remonte mon échine à l'idée qu'ils aient pu me cacher une chose pareille pour me protéger. Je deviens peut-être un peu folle, cette douleur qui s'intensifie dans ma poitrine me dit pourtant que quelque chose n'est pas clair. Pourtant, ma mémoire refuse de s'ouvrir à moi, refuse de me donner la moindre réponse. J'ai peur, mais plus le temps passe, plus je veux savoir ce qu'était ma vie avant mon accident, peu importe à quel point cela pourra-t-il être douloureux. Je suis prête, tant pis si cela signifie souffrir.

Une fois ma valise bouclée, je la fais rouler jusqu'à l'entrée de ma chambre et me glisse dans mes draps, mon ordinateur sur les genoux. J'ouvre mon manuscrit, mais je suis incapable de sortir le moindre mot. Rien ne me vient, mon esprit est vide, du moins il l'est pour cette histoire fictive. Après cette dernière heure compliquée, j'ai besoin de vider mes émotions. J'ouvre alors un nouveau document, quelque chose que je n'avais pas fait depuis bien longtemps, quelque chose qui, je le réalise à présent, m'avait bien trop manqué.

Sufferre.

Souffrir en latin. Je ne sais pas ce que ce recueil racontera, si ce n'est que je ressens le besoin de l'écrire. J'ai besoin de parler de ma douleur dans sa version la plus brute. Je réfléchis un instant, et les mots me viennent aussitôt. J'en écris déjà le premier poème.

Je suffoque.

Mon âme crie sa douleur, mais ma tête l'ignore.

Une bataille intérieure est menée.

Je ne veux plus respirer.

Je veux ressentir.

Aussitôt, j'y ajoute son titre, ressentir. J'ai laissé parler mon cœur et celui-ci a laissé couler ses larmes contenues depuis trop longtemps. Naturellement, il se serre dans ma poitrine alors que je relis les mots encore et encore pour m'en imprégner. Mes yeux deviennent humides jusqu'à ce que le premier sanglot dévale ma joue. Je l'efface d'un revers de la main et attrape ma couverture dans laquelle j'enfouis mon visage en reniflant. Je pleure et laisse tout s'échapper, sans même savoir exactement pourquoi autant de larmes s'échappent de mes yeux. C'est comme si mon inconscient se réveillait pour ouvrir les vannes qui débordent depuis le temps que mon cœur souffre seul sans me laisser le savoir.

Cela paraît fou de parler de son cœur à la troisième personne comme s'il était un être indépendant de mon âme, mais c'est l'impression que j'ai. C'est comme s'il était complètement déconnecté de ma tête, comme s'il souffrait en silence sans m'en informer. C'est le cas, je le sais au fond. Il crie assez fort pour me le notifier. J'ai mal, mal sans en connaître la raison. Et c'est ce qui me motive à en découvrir plus. Je dois trouver un moyen de débloquer mes souvenirs, d'accéder à ma mémoire perdue. Je sais qu'elle est quelque part, dans un recoin de ma tête, bien cachée à l'abri de tout ce qui pourrait encore lui faire du mal.

Je replace mon ordinateur face à moi, lui qui avait glissé sur le côté tandis que je me vidais de mes larmes, et cherche des solutions sur Internet pour recouvrer la mémoire. Je clique sur le premier lien qui me paraît à peu près fidèle et lis ce qui s'affiche. Je soupire alors que je réalise que tout ce qui est conseillé tombe simplement sous la logique. Consulter un spécialiste, se faire hypnotiser, discuter avec ses proches, examiner des photos, aller sur les lieux de son passé... Je ne m'attendais pas à une solution miracle, mais au moins à quelque chose qui pourrait me donner une réelle piste à explorer. Consulter n'est pas quelque chose qui a été concluant à la suite de mon accident, bien que je n'ai, jusqu'ici, pas vraiment chercher à récupérer les souvenirs de mon passé, je ne crois pas que cela fonctionnera. L'hypnose me fait sincèrement peur et je ne suis pas prête à être si vulnérable auprès d'un inconnu, mais pourquoi pas en dernière solution, si je n'arrive à rien. Les deux suivantes sont particulièrement compliquées à réaliser lorsqu'on veut me tenir éloignée de ce passé, comment avancer si personne ne souhaite m'aider ? La dernière semble être la seule que je peux tenter à l'heure d'aujourd'hui, et par chance, je le réalise en ce moment-même, alors que je me trouve à Londres. Si j'ai détesté Aimee pendant un instant lorsqu'elle m'a annoncé que je n'avais pas le choix que de venir à Londres pour m'occuper de son client "VIP", c'est à présent tout l'inverse. Je la remercie de m'avoir mise sur le chemin de la guérison dont j'avais déviée par peur de ce que je pourrais y trouver.

Je me fais alors une promesse que j'espère garder en tête. Dès que je rentre de Glasgow dans trois jours, je trouverai le moyen de récupérer ma mémoire perdue depuis des années. Je ferai tout pour y arriver et utiliserai tout ce qui est à ma disposition pour le faire.

Je dois trouver un moyen de m'introduire dans ma maison d'enfance, n'en déplaise à mes parents.

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant