Chapitre 29.2 - Mary

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J'aperçois rapidement Big Ben, le London Eyes, la Westminster Abbey, mais aussi le Buckingham Palace, la Westminster Cathedral et le Tower Bridge. De l'autre côté, le Kensington Palace se dresse et je souris en pensant à la Princesse Diana. Nous n'avons jamais su ce qu'il lui était réellement arrivé, mais je serai toujours de ceux qui pensent que la Famille Royale n'y est pas pour rien.

— Tu aimes la vue ? m'interroge Cayden.

— J'adore. Londres est une si belle ville. Je suis contente d'être ici. Ça change de Glasgow.

— Tu vivais ici avant, non ?

Je fronce les sourcils. Je ne pense pas avoir déjà parlé de ça avec lui, mais ma mémoire est affectée. Ce n'est pas impossible que je ne m'en souvienne pas. Même si les médecins disent le contraire, je suis certaine que ça a rendu ma tête défectueuse, j'oublie toujours tout.

— Oui. Quand j'étais jeune.

— Pourquoi tu as déménagé à Glasgow si tu aimes Londres ?

Je me mords la lèvre inférieure. Suis-je capable de lui dire ? Je suis largement remise de mon accident, mais c'est toujours difficile pour moi d'en parler. Peut-être par peur de me sentir jugée, incomprise. Mais je me suis promise de ne pas avoir peur avec Cayden, de le laisser entrer dans ma vie. À quoi bon aller en date ensemble si je suis incapable de m'ouvrir à lui ?

— J'ai eu un accident de voiture à mes dix-sept ans. J'en suis ressortie avec une amnésie. Ça a fait un déclic dans la tête de mes parents et ils m'ont envoyée aux États-Unis pour faire mes études de droit. Ils savaient que c'était mon rêve depuis un moment. J'ai subi du harcèlement pendant longtemps, c'était l'occasion de m'éloigner de ça pour toujours. Quand je suis revenue au Royaume-Uni, je suis directement allée à Glasgow. C'était une ville qui m'attirait parce qu'elle n'était pas loin de Édimbourg, et moins onéreuse. Je ne voulais plus que mes parents paient tout pour moi, je leur ai coûté cher pendant plusieurs années.

Cayden hoche la tête, silencieux.

— Je suis désolé que tu aies vécu de telles choses, ça doit être difficile, lâche-t-il après un moment de réflexion.

Ma tête est posée contre la vitre de la cabine, la ville défilant devant mes iris. Mes souvenirs des dernières années que j'ai passées loin de mes parents. Tout ce temps où je ne me suis jamais sentie à ma place alors que je vivais mon rêve, alors que j'ai pu avoir une deuxième chance quand le chauffeur de taxi ne s'en est pas sorti.

— Je vais bien aujourd'hui, c'est le principal.

— Tu te souviens de ton passé ? Avant l'accident, je veux dire.

Je secoue la tête.

— Pas vraiment. J'ai quelques flash parfois, comme le jour où nous étions à la patinoire. Je me souviens surtout de l'accident. Les sensations... Mais c'est tout. Je pense que ça ne reviendra jamais, ça fait plus de dix ans.

— Dix ans où tu n'étais pas à Londres. Ça n'aide pas la mémoire à se débloquer, si tu ne la stimules pas.

— Tu n'as pas tort. J'ai l'impression que je me remémore plus clairement depuis que je suis ici. Mais c'est peut-être une coïncidence.

— Je ne pense pas. Même si je ne sais rien de ta situation, c'est quelque chose qui se produit souvent.

— Tu crois que je pourrais recouvrer la mémoire ? Même après autant d'années ?

— Oui. Le flash que tu as eu à la patinoire, il était clair ?

J'opine du chef avant d'ajouter une précision.

— Il l'était, mais j'étais perdue. J'étais à la patinoire, mais je ne comprends pas. Mes parents ne m'ont jamais parlé d'avoir fait du patin dans le passé. Je me demande si je ne faisais pas partie des spectateurs. Ce serait plus logique.

Cayden ne répond pas, mais semble pensif. Je n'avais pas prévu de faire l'étude de mon cas avec lui durant notre date. C'est sûrement un sujet qui le passionne, lui qui est médecin.

Jusqu'à la fin du tour de roue, nous restons silencieux, chacun se concentrant sur l'extérieur. C'est comme si cette discussion avait instauré une gêne, quand bien même il n'y a aucune raison. Je ne veux pas qu'il ait pitié de moi ou se mette à m'analyser et se comporter comme l'un des médecins qui me suivaient.

— Je ne t'ai pas dit ça pour que tu m'aides, lui précisé-je alors que nous mettons enfin un pied à terre.

— Je sais, ne t'inquiète pas. Je sais faire la différence entre mes proches et mes patients. J'adore la médecine, mais je me bute déjà à trop de cas compliqués pour essayer de déchiffrer ceux qui ne m'ont rien demandé. Sauf si tu le veux ?

Je secoue négativement la tête.

— Non. Je crois que je veux y aller au feeling. Je n'ai jamais essayé de récupérer ma mémoire, ce n'est pas aujourd'hui que je vais le faire. Si ça doit revenir, ça reviendra. Je n'ai pas envie de pousser mon cerveau à lever le voile.

Une part de moi pense réellement ces mots, mais une autre a peur que je me souvienne soudainement de ce que j'ai vécu avant mon accident. J'ai peur d'avoir mal pour la jeune Mary, peur que ce soit bien plus douloureux que ce que je peux imaginer, même dans mes pires cauchemars.

— Tu aimerais que ça revienne ? me questionne-t-il alors que nous évoluons naturellement vers une nouvelle attraction.

— Oui et non. Je suis curieuse, mais j'ai aussi peur de découvrir quelque chose qui changerait la vie que j'ai aujourd'hui.

Cayden acquiesce, comprenant tout à fait ce que je dis. C'est comme s'il avait vécu quelque chose de similaire, quelque chose qui signifie qu'il sait ce que je traverse. Mais je m'emporte, c'est sûrement une déformation professionnelle, quelque chose qu'il fait sans même se rendre compte. Après tout, les médecins apprennent à être compatissants, à au moins en avoir l'air. Savoir tout sur l'amnésie l'aide forcément à avoir une idée de ce que je vis.

Rapidement, nous nous retrouvons face à un manège qui tourne à une centaine de kilomètres par heure avec des nacelles non fixées, renversant la tête à ceux qui s'y aventurent.

— Tu penses que tu vas te pisser dessus ? le défié-je.

— Jamais, je m'inquiète pour toi ! se moque-t-il.

Nous rions et rejoignons la file d'attente. Une dizaine de personnes sont devant nous, mais nous ne patientons que le temps d'un tour ou deux. Très vite, nous sommes installés dans les sièges et attachés avec fermeté. Nous sommes loin de la sécurité de la grande roue qui consiste en un simple loquet sur la porte. Cette fois, un harnais en plastique épais nous recouvre et nous maintient contre le fond de notre siège. Une fois que tout le monde est bien harnaché, les sécurités enclenchées, le manège monte doucement pour nous suspendre à de nombreux mètres au-dessus du vide.

— Oh putain ! s'exclame Cayden.

Je tourne la tête vers lui et découvre son air stressé. Il ne paraît pas être à l'aise à une telle hauteur, les jambes dans le vide, la nacelle basculant légèrement vers le sol. La gravité semble nous attirer vers le bas, mais la sécurité tient bon et nous empêche de tomber.

— Jamais, hein ?

— Je déteste être bloqué en haut.

— Tu n'étais pas obligé de monter dans le manège si tu ne t'en sentais pas capable, tu sais.

— Quand on prendra de la vitesse, ça ira mieux.

Je ne le crois pas vraiment, il est paniqué. Mais il est adulte et je ne vais pas lui faire de leçon de morale, il est libre de ses décisions et s'il a peur, c'est sa faute.

L'attraction s'actionne de nouveau et nous prenons de la vitesse. Très vite, la nacelle bascule d'avant en arrière jusqu'à faire des tours complets sur elle-même. Nous avons la tête en bas à plusieurs reprises et je ne peux retenir mes cris d'excitation. De son côté, Cayden est plutôt silencieux. Ses yeux sont grands ouverts et je remarque facilement qu'il n'est pas aussi rassuré qu'il a voulu me laisser croire. C'était prévisible.

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant