Chapitre 19.2 - Mary

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J'attrape mon livre du moment – Heart Racing de Célia Blomgren* – et reprends ma lecture. J'en suis au moment du bal, celui durant lequel Dylan aide Megan à calmer sa crise d'angoisse. J'espère rencontrer un homme comme lui, prêt à m'aider alors même que je lui déverse toute ma haine. Je souris devant la scène et continue à lire jusqu'à ce que ma station soit annoncée. Je range alors mon bouquin dans la poche avant de mon sac et me relève, prête à affronter le froid extérieur pour rejoindre l'appartement de Aedlin.

Quelques minutes plus tard, je jette enfin mes Converse dans un coin de l'entrée. Je profite que Aedlin ne soit pas là pour ne pas tout ranger au carré – mon bordélisme maladif a besoin d'être libre. Je me dirige jusqu'à ma chambre et entre. Tout est exactement comme je l'ai laissé il y a deux jours. Je lance mon sac à dos sur le lit et dépose la valise au sol pour la vider de son contenu. Si je ne le fais pas dès maintenant, je ne le ferai jamais. Je ne me donne pas deux jours avant de finir en déprime à cause de ça. Je suis du genre à n'être productive que si j'ai un environnement sain et rangé. C'est parfois compliqué, mais je fais ce que je peux pour que je ne sois jamais confrontée à un bordel extrême qui s'entasserait encore et encore. Mes Converse vaguement balancées dans l'entrée est la limite à ne pas franchir, si je vais plus loin, le point de non-retour sera atteint.

Je prends soin que tous les vêtements restent pliés le temps du transfert entre ma valise et le dressing de la chambre. J'essaie de faire au plus vite afin de reprendre ma lecture qui m'obsède complètement. Je suis incapable de me mettre à travailler tant que je ne connaîtrai pas le fin mot de cette histoire. Si j'avais des réseaux sociaux littéraires, je recommanderais à tout le monde de le lire absolument.

Une fois tous mes vêtements et ma valise rangés – j'en ai profité pour remettre mes chaussures correctement –, mon ventre crie famine. Je vais à la cuisine et ouvre le réfrigérateur. En réalisant que celui-ci ne contient que du lait aux amandes et un bol de radis prêts à manger, je soupire. C'est à croire que la vie est contre moi. Qui oublie de faire les courses au point de ne se retrouver qu'avec ça ? Je fouille dans les placards, mais à part des flocons d'avoine et autres préparations du style, il n'y a rien.

Par manque de choix, j'ouvre rapidement une application de livraison de nourriture à domicile et commande mon repas. En l'attendant et malgré mon ventre qui ne fait que gargouiller, je reprends ma lecture. J'enchaîne les pages les unes après les autres sans m'arrêter. Une demie heure plus tard, c'est tout juste si j'entends mon téléphone sonner en chœur avec l'interphone. Je me précipite dans l'entrée et appuie sur le bouton d'appel.

— Oui ?

— Je suis le livreur. Vous êtes bien Mary Bennett ?

— Oui. J'arrive.

Une seconde plus tard, j'enfile les claquettes peu sexy de Aedlin qui traînent dans l'entrée ainsi qu'une veste pour affronter le froid qui s'insinuera dans le couloir le temps que je récupère mon dîner. Je dévale les escaliers et atteins finalement la porte d'entrée de l'immeuble. Je presse le bouton tandis que le livreur pousse la grosse porte sécurisée. Il me tend alors un sac dont je vérifie rapidement le contenu avant de valider sur l'application.

— Merci, bonne soirée.

— À vous aussi, me souhaite le livreur qui paraît frigorifié malgré les nombreuses couches qui recouvrent son corps.

— Bonne chance vu le temps, lui lancé-je alors qu'il remonte sur son vélo.

Il me remercie et s'éloigne déjà. Je ne prends pas plus de temps avant de refermer la porte pour fuir la température bien trop basse. La neige commence à tomber et je sais déjà que demain, la ville entière sera recouverte d'un voile blanc.

Je regagne rapidement l'appartement et déballe mon repas chinois AKA mon repas préféré de la flemme. C'est gras, c'est goûtu, c'est réconfortant. Exactement ce dont j'ai besoin lorsqu'il fait moins deux degrés dehors et que la neige tombe en masse. Exactement ce dont j'ai besoin lorsque j'ai une lecture à terminer dans les plus brefs délais.

J'enfourne un premier dim sum* dans ma bouche tout en lisant les mots imprimés sur mon livre. Je manque de m'étouffer avec lorsqu'une scène se déroule sous mes yeux.

— Pardon ? m'exclamé-je, choquée de ce que je découvre.

Décidément, ce livre a prévu de me rendre folle. Je ne m'interromps plus et, si je n'avais pas si faim, j'aurais déjà abandonné la bataille pour manger mes nouilles sautées tout en lisant. Seuls les lecteurs savent à quel point c'est compliqué de faire les deux à la fois. On devrait inventer une machine pour nous nourrir pendant notre activité préférée. C'est nécessaire à notre bien-être. Ne sait-on jamais, si un ingénieur passe par là.

Sans tarder, les boîtes se vident et les pages défilent. Il est presque vingt-trois heures lorsque je repose enfin le livre pour aller aux toilettes, ma vessie ne pouvant pas tenir un instant de plus. J'aurais pu prendre le temps d'y aller, mais je ne pouvais pas quitter le roman. À présent que je l'ai enfin terminé et que mon âme est vide de sens, je peux enfin me relâcher.

Je range l'ouvrage sur un coin de mon bureau et lui dis adieu, au moins pour cette fois. Peut-être qu'un jour je le relirai, mais pour le moment, je dois accepter de vivre ma vie sans lui. Cette histoire m'a changée, m'a fait percevoir certaines choses différemment. C'est ce que j'aime dans la lecture. C'est comme une rencontre, une passade qui nous changera à jamais alors qu'on n'en pensait rien, quelques minutes avant le début. Parfois, ça se termine bien, et parfois, mal. Exactement comme lorsque nous rencontrons une nouvelle personne et tissons des liens avec.

Parfois, on finit avec nos meilleurs amis, comme c'est le cas de Aimee et Aedlin pour moi, et parfois, avec des ex qu'on aurait préféré ne jamais connaître. Pourtant, tous ces gens nous ont changés à leur manière, en bien comme en mal.

Inspirée par ce que m'a fait ressentir ma lecture, je débarrasse rapidement les déchets de mon repas et sors mon ordinateur pour ouvrir mon manuscrit. Immédiatement, les premiers mots me viennent et je tape encore et encore, jusqu'à ce que mes yeux se ferment d'eux-mêmes.

Demain est un autre jour, même s'il est déjà bien entamé.

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* Roman disponible en librairie, publié chez Nisha Et Cætera.

* Variété de petits plats servis en portions individuelles, comprenant notamment les raviolis, les boulettes de viande et les pains vapeur.

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant