The Tulips Between Us [EN PAUSE]

Chapitre 30.3 - Mary

Je connais la plupart de ces chansons et je n'ai pas besoin de les écouter pour savoir qu'elles parlent d'amour, mais aussi de douleur. Je me demande si tous ces sentiments qu'il ressent ont un rapport avec cette ex dont il m'a parlé, celle qui lui a brisé le cœur en se servant de lui comme d'un pansement. Comment peut-on faire ça ? Je comprends qu'avoir mal est difficile, mais pourquoi utiliser quelqu'un d'autre pour se sentir mieux ? Sans parler du fait que si c'était si simple de se sortir d'une rupture difficile, ça se saurait, à part détruire une autre personne, ça ne sert à rien. Personne n'a jamais guéri d'une histoire de cette manière. Ça a peut-être un effet adoucissant le temps de quelques jours, quelques semaines tout au plus, mais la douleur reviendra. Un pansement ne suffit pas à guérir une blessure.

Mon cœur saigne à l'idée de ce que Cayden a pu connaître dans son passé, moi qui aurait pu penser qu'il était l'homme le plus heureux du monde, c'est à croire que la vie n'épargne personne, pas même les âmes les plus douces et sincères. Cayden ne méritait pas ce qu'il a traversé. Un jour viendra où il me dira ce qu'il a vécu et à quel point il a souffert. Peut-être que je pourrais l'épauler à ma manière, peut-être saurais-je lui montrer qu'il ne souffrira plus jamais. Mais comment en être sûre, moi qui ai une vie à l'autre bout du pays, à des centaines de kilomètres de sa vie à lui ? Comment puis-je savoir s'il ira bien ? Qui me dit que cette relation ne nous détruira pas ?

Si je suis honnête avec moi-même, je peux dire avec certitude que je ne peux plus repartir à Glasgow sans regarder derrière moi, je ne me vois pas poursuivre ma vie là-bas comme si Cayden ne représentait rien pour moi. Si j'y retournais sans lui promettre de l'appeler chaque jour que l'univers m'offre, je crois que je serais incapable de respirer. Si rapidement, en à peine quelques semaines, cet homme qui n'était pour moi qu'un client, qu'un numéro de dossier parmi d'autres, a su faire voler mes croyances, a su détruire ma stabilité, pour le meilleur, et m'a fait tomber violemment.

Mon cœur bat plus fort quand il est présent, mes joues rougissent naturellement lorsqu'il prend ma main dans la sienne et même si je tente de repousser cette attraction que je ressens pour lui, demandant à prendre notre temps pour éviter d'avoir mal, je sais qu'il est déjà bien trop tard pour sauver le moindre morceau de mon cœur s'il décidait de me trahir. Ne pas l'embrasser ne change rien, si ce n'est m'empêcher de vivre cette relation à mille pour cent.

En me réveillant de cet accident, lorsque j'ai compris à quel point mon existence ne tenait qu'à un fil, j'ai fait le serment de toujours vivre au maximum, de vivre pour moi, et de réfléchir plus tard. Finalement, je me suis perdue, j'ai oublié ce que je m'étais promis, tombant dans ce cercle vicieux du métro-boulot-dodo, mettant de côté mon sourire et ma joie. Je n'ai jamais été malheureuse, mais depuis mon réveil, il y a des années, je n'ai jamais sincèrement ressenti la joie, je n'ai jamais débordé de sentiments au point d'exploser en larmes, au point de crier du plus profond de mon âme, utilisant toute l'air contenue dans mes poumons.

Depuis que j'ai rencontré Cayden, c'est comme une brise d'air fraîche, une bouffée d'oxygène, comme si l'un de mes poumons m'avait été restitué après tant d'années à laisser son frère se battre seul pour faire fonctionner tout mon corps. Il représente plus pour moi que je n'ai envie de croire, il est devenu celui dont je ne peux plus me passer, celui qui me donne envie de me lever chaque matin. Pourtant, je ne suis pas sûre de vouloir lui dire. J'ai conscience qu'être sur la réserve pourrait simplement finir par détruire notre relation, que je ne vaux sans doute pas mieux que cette ex qui l'a détruit en se servant de lui. À mon tour, je joue avec ses sentiments, je passe du temps avec lui sans vraiment savoir où je vais ni ce que je veux de lui. Il a beau le savoir, ça ne peut pas l'empêcher d'avoir de l'espoir. Et ça me démolit moi-même.

Moi aussi, j'ai envie de croire en nous, en cette histoire qui semble pourtant impossible tant nous vivons loin l'un de l'autre. Mais aujourd'hui, le monde a évolué, les couples à distance sont nombreux et ça ne les empêche pas de s'aimer, d'être heureux à deux, c'est simplement un peu différent. Mais comment pourrais-je m'habituer un jour à ne pas pouvoir toucher Cayden, de devoir me contenter de discuter avec lui à travers un écran de téléphone ? Ce n'est pas suffisant, j'ai besoin de plus, de tellement plus.

— Alors tu en penses quoi ? m'interroge celui qui hante mes pensées.

Je fronce les sourcils, perturbée. J'ai tellement plongé dans mes ruminations que je ne sais plus de quoi on parlait.

— La playlist. Tu en penses quoi ?

C'est vrai, la playlist. Celle qui a déclenché la bataille dans ma tête. Je ne peux pas lui dire que je pourrais le lire comme un livre ouvert rien qu'avec ces musiques, alors j'opte pour plus simple.

— Ce n'est pas trop ce que j'écoute, mais ce sont des bonnes chansons.

— Tu les connais toutes ? s'étonne-t-il.

— Ouais, même si ce n'est pas mon style, c'est le genre qui passe beaucoup sur les réseaux sociaux et à la radio. J'imagine qu'inconsciemment, mon cerveau a fini par les enregistrer.

Je laisse planer le silence une seconde avant de reprendre.

— Et toi, tu penses quoi de la mienne ?

Il m'adresse un sourire qui réveille immédiatement les papillons dans mon ventre.

— Je n'en connais quasiment aucune, mais j'imagine que c'est l'occasion pour moi de m'ouvrir à de nouveaux genres. Je t'avoue que je ne t'aurais pas imaginé être une fan de rock et de métal, mais je crois que ça me plaît. C'est intéressant de voir que tu aimes des styles qui sont complètement différents de ce qu'on a l'habitude d'entendre. Je trouve qu'il faut une véritable ouverture d'esprit pour les aimer.

Je ne lui précise pas qu'étant auteure, le rock et le métal ne me plaisent pas seulement pour l'instrumental, mais surtout pour la puissance de l'art qui en découle. Les paroles, la manière de faire passer des émotions grâce à des sons forts et lourds, les cris qui semblent être la douleur du cœur qui se dévoile...

Je ne suis pas encore prête pour dire mon rapport avec l'art, je ne sais pas pourquoi c'est si difficile, mais c'est comme si cela avait toujours été mon jardin secret à moi, celui dans lequel personne n'a jamais pénétré, pas même mes parents, pas même Aimee. Peut-être qu'un jour, je partagerai toute ma vérité, tout ce que je sais de moi, même si un large pan m'échappe encore.

— Ça a toujours été une évidence pour moi. Les paroles me parlent beaucoup, plus que la plupart des chansons de pop. J'aime comment les artistes donnent un rythme entraînant à leur douleur.

Il hoche la tête, semblant réfléchir à mes paroles.

— Je n'avais jamais vu ça comme ça. C'est intéressant, et c'est terriblement vrai. Tu es différente. Tu ne t'arrêtes pas à ce que tu perçois en premier. J'aime ça.

Un ange passe, mon cœur s'apaise à ses mots.

— Je t'aime beaucoup pour ça, pour celle que tu es.

Une larme menace de se former au coin de mon œil, mais le moment s'envole déjà alors que le forain nous interpelle. C'est enfin notre tour de faire du tir à la carabine. Avec ces tiers-list, mes pensées qui se sont mélangées et cette discussion, j'avais complètement oublié où nous nous trouvions. J'avais omis que tout ça est parti d'un simple ennui. Mais plus les minutes passent, plus je me rends compte combien Cayden me fait du bien, à quel point je tiens à lui. J'ai envie d'aller plus loin avec lui, j'ai envie de me laisser vivre à deux mille pour cent. J'ai envie de m'offrir ces années que j'ai perdues à cause de mon accident.

Et lorsque Cayden tire en plein dans la cible, obtenant la plus grosse peluche du stand, je ne peux m'empêcher d'être sûre de ce que je veux. Lui, lui et seulement lui. Le reste n'est que détails insignifiants. Tant pis si cela veut dire devoir l'aimer à travers un écran, tant pis si cela veut dire souffrir.

Si je suis avec lui, alors tout ira bien.