Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec Cayden. Enchaîner les rendez-vous, la lecture et l'écriture me rendent suffisamment prise pour oublier. Plus je suis occupée, moins j'ai le temps pour penser aux jumeaux partis bien trop tôt. C'est toujours difficile et même si je n'ai jamais eu à vivre avec eux, je m'étais habituée à l'idée que Aimee et John attendaient un enfant, qu'ils seraient bientôt parents.
Le décès de leurs enfants ne signifie pas qu'ils ne portent pas ce titre de parents, mais c'est tellement différent de ce que c'est censé symboliser. Ils devraient être heureux, ils devraient dormir peu à cause des cris de leurs enfants, pas à cause de leurs larmes qui ne font que couler. J'ai le cœur brisé à l'idée qu'ils souffrent. Ils ne méritent pas, ils ne...
J'allume mon téléphone et lance de la musique. Je règle le volume à fond et m'empêche de penser. Je ne dois plus penser à ça, je dois oublier. Je veux oublier. Je mets la playlist la plus joyeuse que j'ai et me force à m'égosiller sur les paroles. Si au début je me bats pour effacer, Shake It Off de Taylor Swift – son meilleur hit jusqu'ici – me fait complètement oublier ma douleur.
I stay out too late
Got nothing in my brain
That's what people say, mm-mm
That's what people say, mm-mm
I go on too many dates
But I can't make 'em stay
At least that's what people say, mm-mm
Je chante à tue-tête et secoue mon corps au rythme des paroles. Je ne suis pas une fervente de Taylor Swift, mais quand il s'agit de se déhancher sur son tube commercial qui date d'une décennie, je suis toujours présente. Bien entendu, je m'assure d'écouter la Taylor's Version pour qu'elle touche ses droits d'auteurs, comme elle le mérite. Étant moi-même auteure – même si je ne partage pas mes textes –, je trouve ça important de soutenir les artistes. On gagne peu et on se fait exploiter par les grandes entreprises, parfois pire : on se fait voler, exactement comme ce qui lui est arrivé. Hors de question d'offrir de l'argent à des voleurs sur un plateau d'or. Ils s'en sont fait bien assez.
J'attrape ma brosse à cheveux et continue à crier les paroles plus que je ne les chante. Auteure peut-être, mais jamais chanteuse. Je détruis le texte, mais ne m'arrête pas. Entre deux paroles, j'arrange mes cheveux histoire qu'ils ressemblent un minimum à quelque chose. Quelques coups de mascara plus tard, j'échange mon enceinte pour mon casque et continue à écouter de la musique entraînante.
J'attrape un nouveau livre dans ma chambre et le fourre dans mon sac, accompagné de mon ordinateur et de mon carnet de notes. Je jette un œil à mon téléphone et réalise qu'à force de m'être cassé la voix sur la mélodie, je me suis mise en retard. Je fonce dans l'entrée et enfile les premières chaussures qui me viennent avant d'attraper une veste chaude, un bonnet et une grosse écharpe. J'ajoute des gants que je glisse dans l'une de mes poches et me précipite dehors.
Comme je l'avais prédit hier, la neige recouvre la ville. Les routes sont dégagées et salées pour éviter les accidents, mais les trottoirs sont encore immaculés à certains endroits. Les pas sont marqués à intervalles réguliers, mais je n'y prête pas attention. Ma musique dans les oreilles, je me concentre sur mes pieds pour ne pas glisser. Je n'ai pas le temps pour tomber, et aucune envie de me ramasser sur le sol froid.
Je rejoins rapidement la bouche de métro et regagne le même café que d'habitude. Je prends place sur une table le plus loin possible des baies vitrées et attends avec impatience l'arrivée de mon client. Le temps qu'il vienne, je commande l'une des boissons spéciales de Noël et la sirote tranquillement. Après ça, Cayden ne prend plus que quelques minutes avant de se planter devant mes yeux, un café fumant à la main.
— Bonjour, Madame Bennett, me salue-t-il avec un sourire qui ne laisse rien paraître.
Contente de découvrir qu'il ne souhaite pas mettre sur le tapis ce qu'il s'est passé il y a quelques jours. Je n'ai aucune envie de parler de notre complicité, de Aimee ou des jumeaux.
— Bonjour, Monsieur McCarthy.
Je lui tends une main qu'il serre avec un air troublé que j'ignore volontairement. D'un signe, je l'invite à prendre place sur la chaise en face de moi. Il pose sa tasse encore remplie et se débarrasse de ses quelques couches destinées à le protéger du froid extérieur.
— Vous avez obtenu les documents que je vous avais demandé la dernière fois ? m'inquiété-je, espérant que ce rendez-vous n'a pas été programmé inutilement.
Il acquiesce et fouille un instant dans son sac. Quelques secondes plus tard, il me présente plusieurs feuilles que je me mets à lire. Il y a tout, c'est parfait.
— Super. Avec ça, vous avez un dossier en béton. Vous avez fait votre déclaration à la police, le jour où ils vous ont arrêté, n'est-ce pas ?
— Oui. Mais je n'ai pas de copie de la déclaration. Je vous la donnerai la prochaine fois.
— Il serait intéressant que je sache ce que vous leur avez témoigné exactement, oui.
— La même chose qu'à vous, avec un peu moins de détails sur mon passé. J'ai été légèrement pris de court.
J'esquisse un sourire, mais me force à rester le plus neutre possible. Je ne peux pas oublier ce qu'il s'est passé entre nous. Je ne dois pas perdre de vue que notre relation doit rester strictement professionnelle.
— J'ai autre chose, m'annonce-t-il, coupant court mes pensées. Je ne sais pas si c'est recevable, mais j'ai un ami qui bosse pour une autorité locale. Il travaille sur la sécurité par caméras de surveillance. Je lui ai demandé de vérifier s'il ne pouvait pas trouver quelque chose parce que je sais que le quartier en est rempli.
— Et ? le questionné-je pour en savoir plus.
— Il a trouvé ça.
Il ponctue sa phrase en me tendant son téléphone. Une vidéo est affichée, et il appuie sur le bouton pour la lancer. Je la visionne avec attention, découvrant un homme qui se promène les yeux fermés dans la rue tard dans la nuit. Je devine que c'est Cayden. Celui-ci se dirige jusqu'à un magasin dans lequel il entre. Pendant quelques instants, il ne se passe rien, puis il resurgit, les bras plein de guirlandes. C'est presque s'il court, bien que ses yeux soient toujours parfaitement clos. La vidéo s'arrête.
Je pose de nouveau les yeux sur Cayden et le dévisage.

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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
RomanceLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...