Chapitre 14.3 - Mary

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Je lui offre un sourire si grand que ma vision se floute. Je lui tends alors mon téléphone qu'il attrape et règle tandis que je prends la pose en face de lui. Sans hésiter, il s'agenouille et se tortille pour avoir les meilleurs angles de photo, me faisant rire.

— Tu es belle quand tu souris, lâche-t-il en m'observant à travers la caméra.

Prise d'une joie que je n'ai pas ressenti depuis longtemps – plutôt ironique alors qu'il y a moins d'une heure, j'étais en larmes –, je souris plus fort encore. Pour une raison que je ne suis pas capable de m'expliquer, le temps que je passe avec Cayden m'est particulièrement agréable. Cayden profite de ce moment pour me prendre en photo, et cela me donne une idée. Je sors délicatement la tulipe de mon sac et prends de nouveau la pose, entraînant Cayden à prendre plus de clichés.

Le feu piéton passe au rouge et nous rejoignons le trottoir pour ne pas déranger la circulation. Cayden me montre alors une vidéo qu'il a réalisée lorsqu'il m'a complimenté.

— Je le pensais, dit-il.

— Je sais. Merci.

Je la regarde et entends de nouveau Cayden prononcer cette phrase qui sonne comme une douce mélodie à mes oreilles. Ce qu'il se passe entre nous est dangereux, ça ne fait pas de doute. C'est incorrect d'avoir une telle relation avec mon client, mais mon cœur me crie de l'écouter, me crie d'être heureuse, même si ça ne dure qu'un court instant. Je n'ai aucune idée d'où cela me mènera alors que bientôt, je retournerai en Écosse et reprendrai ma vie, à des centaines de kilomètres de Londres. Mais pour le moment, je m'en fiche. Il me fait me sentir si bien, moi qui avais peur de ressentir tant d'anxiété à l'idée de venir à Londres. Il est comme une brèche temporelle dans ma vie, quelque chose qui n'est pas fait pour durer, mais qui me fera sourire pour toujours.

— Tu as faim ? me demande-t-il avec un air malicieux.

Je fronce les sourcils, me demandant ce qu'il a derrière la tête. Je hausse les épaules.

— Tu as une bonne adresse ?

— La meilleure de toute. On va aller manger à Camden Market. La street-food de là-bas est vraiment bonne. Mais je pense qu'on peut pimenter un peu notre expérience.

— Tu veux qu'on mange épicé ? Je te préviens, je tolère très mal le piment. Si je me mets à pleurer, c'est de ta faute.

Il secoue négativement la tête.

— Non, mais ces stands sont connus pour tendre pas mal de nourriture à tester. Que dis-tu de se déguiser et de passer plusieurs fois devant eux ?

— C'est du vol, ils font goûter pour attirer le client, pas pour nourrir gratuitement.

— Bien sûr, je sais. Mais s'ils l'ignorent, on ne risque rien.

Je refuse d'un geste de la tête.

— Désolée Cayden, mais ce n'est pas une bonne idée. Je ne peux pas faire ça à de pauvres commerçants qui veulent seulement gagner quelques miettes. Je n'aimerais pas qu'on me vole pour une activité amusante. Tu ne sais peut-être pas ce que c'est que de galérer à finir les fins de mois, mais moi si.

Je prononce ma dernière phrase d'un ton sec, le regrettant aussitôt. Ce n'était pas mon but, cependant je ne peux pas accepter cela. Ce n'est ni dans mes valeurs ni en accord avec ma propre activité professionnelle, bien que l''illégalité de l'action n'est pas parfaitement claire et surtout traitée par du cas par cas. Cayden fait une moue, visiblement embêté que son idée ne soit pas aussi bonne qu'il l'imaginait.

— Pardon, je ne pensais pas à mal, soupire-t-il. On pourrait le faire, mais en payant à la fin le prix d'un repas à tous les commerçants qui nous tendent plus d'un morceau. Qu'en penses-tu ?

J'acquiesce, pas contre cette nouvelle idée. Je ne déteste pas le principe de me déguiser, seulement le fait de ne pas rémunérer ceux qui le méritent. Si nous faisons ainsi, le problème est réglé. Un autre cependant s'impose.

— Et comment comptes-tu te faire passer pour une autre personne ? Changer ta coupe de cheveux ne sera probablement pas suffisant.

Un sourire en coin naît sur ses lèvres.

— Camden Market est connu pour sa street-food, mais aussi pour toutes ses boutiques de vêtements en tout genre. Tu vois où je veux en venir ?

Je hausse les sourcils, comprenant exactement ce qu'il sous-entend.

— Tu comptes emprunter les vêtements ou les payer ?

— Les payer.

— Et après ? Tu en feras quoi ?

— J'imagine que j'irai les distribuer à plusieurs associations qui ont besoin de vêtements à offrir aux démunis.

Et mon cœur frétille. Et des papillons s'éveillent dans mon ventre. Y a-t-il des choses que cet homme ne sait pas faire correctement ? Si sa profession fait de lui une personne qui aide les autres, il le fait même en dehors du travail, et c'est d'autant plus beau. Il est facile de deviner qu'il n'est pas devenu docteur pour le salaire ni les avantages, mais bien pour la base du métier : la passion et l'envie d'aider les autres.

— C'est une excellente idée.

— On y va ? me propose-t-il en m'offrant son bras.

Je me mets à rire et passe mon bras au sien. Cet après-midi vient à peine de commencer et c'est déjà l'une des plus belles journées de ma vie.

C'était pourtant mal parti.

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant