Chapitre 4.2 - Mary

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Il acquiesce silencieusement et se mord la lèvre inférieure. Une seconde, je me surprends à l'observer, à détailler les traits de son visage. Lorsque ses yeux se plantent dans les miens, je détourne rapidement le regard et attrape ma boisson pour en avaler quelques gorgées. Il fait de même et intervient de nouveau, ignorant ce qu'il vient de se passer.

— Cela veut dire qu'on doit prouver deux choses, conclut-il. Que j'ai bu ce soir-là, et que je suis somnambule sous l'effet de l'alcool. N'est-ce pas ?

— Tout à fait. Pour ça, on peut se pencher sur les factures des consommations. Il faudrait qu'elles soient à votre nom sinon ça ne pourra pas être considéré. Vous devez également avoir un diagnostic sur votre situation, non ?

Il prend soudain un air qui ne me plaît pas. S'il ose me dire qu'il n'a rien de tout ça, j'abandonne son cas et je le laisse se démerder. Ce n'est pas possible de ne pas avoir au minimum un diagnostic de son somnambulisme.

— C'est mon pote qui a payé, ce soir-là. Et puisque je travaille en hôpital, j'ai simplement demandé à l'une de mes collègues de se pencher sur mon cas. Je pourrais obtenir d'elle un certificat, cela dit. Mais s'il est daté d'il y a peu, cela vaut-il vraiment quelque chose ?

Dans quel bourbier me suis-je fourrée ?

— Oui, cela reste l'avis d'un professionnel. Néanmoins, la partie adverse pourrait, pour écarter le conflit d'intérêt, solliciter une contre-expertise d'un confrère exerçant dans un autre hôpital que le vôtre. Pour les consommations, nous pourrons nous appuyer sur les vidéosurveillances du bar. Avec un peu de chance, on vous verra y boire des verres à plusieurs reprises. Il ne serait pas inutile de recueillir les témoignages de vos amis et du staff. Avec un peu de chance, ils se souviennent.

— Je vais faire ça.

Le silence s'impose un temps à notre table avant qu'une illumination ne semble le frapper.

— J'écris. Dans des carnets. Je pense pouvoir trouver des pages où je parle de mon somnambulisme. Est-ce que cela peut être une pièce supplémentaire à fournir ?

— Si c'est antérieur à l'incident, oui. Cela apportera seulement de la profondeur à des preuves plus concrètes, en revanche. Tout est bon à prendre pour atteindre nos fins. Prenons toutes les mesures nécessaires pour gagner cette affaire, ça sera avantageux pour tous les deux. Mais j'ai une question.

— Dites-moi, répond mon client d'un air intrigué.

— Pourquoi l'affaire n'a-t-elle pas été réglée à l'amiable ? Vous savez que vous les avez volées, même si c'était involontaire. Une restitution des produits aurait été suffisante ici. Ce n'est pas comme si vous aviez abîmé quoi que ce soit dans le magasin.

Il hausse les épaules.

— Le propriétaire n'a pas voulu. La police a tenté de le raisonner, mais il n'a rien voulu entendre.

Je secoue la tête, dépitée. Je ne comprendrai jamais ces personnes qui souhaitent perdre du temps et de l'argent alors qu'une solution simple leur est proposée. Même si cette affaire est particulièrement utile à Bennett & Hayes, cela n'empêche que je compatis avec mon client. Je n'aurais pas apprécié être mise derrière les barreaux pour une action sans conséquences irréversibles. Je me sens presque mal pour lui. Il est malade et à cause de ça, il se retrouve suspendu de son poste. Londres coûte terriblement cher et à chaque seconde qui passe, il perd de l'argent. Il doit être aussi pressé que moi d'en finir avec cette affaire. Plus vite nous gagnerons, plus vite il reprendra le travail tandis que je retournerai à Glasgow pour continuer ma vie d'avocate appauvrie.

— Très bien. On en a fini pour aujourd'hui. Rassemblez les preuves auprès de vos amis, dans vos carnets, faites établir un diagnostic écrit. Dès que c'est fait, envoyez-les moi et on verra ensuite. Par ailleurs, si vous avez oublié le moindre détail, n'hésitez pas à me le communiquer. Aimee vous a-t-elle transmis mon numéro ?

— Non, j'ai seulement le sien.

J'attrape alors dans ma pochette ma carte de visite et la lui tends.

— Voilà. Je serai disponible autant que nécessaire.

Il récupère mes coordonnées et me souhaite une bonne journée en me saluant.

— Merci de vous être libérée pour moi, Aimee m'avait dit qu'elle tenterait de s'arranger avec vous. Je suis content que vous ayez accepté de me défendre, je suis persuadé que personne ne pourra réussir aussi bien que vous.

— Je n'en suis pas si sûre, rétorqué-je bien que son compliment sous-entendu me fait plaisir.

J'enfile ma veste et récupère mon sac. Alors que mon client fait de même, il relève soudainement la tête vers moi.

— Oh ! Pardon, j'ai oublié de vous offrir ça en arrivant.

Il me tend alors une tulipe aussi blanche que la neige qui recouvre les rues de Londres. Étonnée, je l'accepte du bout des doigts.

— En quel honneur ? le questionné-je en reniflant l'odeur de la fleur.

— On dit que les tulipes blanches sont synonymes de renouveau. Cela correspondait plutôt bien à mon cas. C'est simplement une manière de vous remercier d'être venu à Londres pour m'aider.

J'acquiesce en silence alors qu'une impression de déjà vu s'impose à moi. Je contemple encore la tulipe et me demande si, dans le passé, on ne m'a pas déjà offert cette fleur, exactement de la même couleur. Je secoue la tête. Je m'étais promis de ne pas devenir folle en venant à Londres, je m'étais promis de rester loin de mes démons. Si je creuse cette piste, je risquerais de me blesser. Vaut mieux seulement accepter le cadeau et ne pas m'inquiéter de ce que signifie la sensation qui envahit ma poitrine.

— C'est avec plaisir. À bientôt, Monsieur McCarthy.

— C'était un plaisir de vous rencontrer, Madame Bennett.

Il m'offre un sourire charmeur, du genre qui fait fondre les femmes – qui me fait fondre. Il tourne sur ses talons et quitte le café, me laissant seule avec la fleur dans la main. Je l'admire encore quelques instants avec un sourire niais.

Pourquoi cette fleur semble-t-elle compter autant pour moi, alors qu'elle m'a été offerte par un inconnu ?

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant