Chapitre 4.1 - Mary

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Quinze minutes plus tard, j'entre dans un café indépendant. J'observe autour de moi mais ne trouve personne qui ressemble à l'homme que Aimee m'a envoyé en photo. Cela dit, il paraissait plutôt jeune pour avoir vingt-huit ans, si bien que je me demande si cette photo ne date pas de quelques années. Dans le doute, je cherche des yeux un homme qui y ressemble à peu près, mais en légèrement plus vieux. Finalement, j'abandonne en réalisant que personne de telle n'est présent. D'une rapide vérification sur mon téléphone, notre rendez-vous est dans trois minutes, signifiant qu'il devrait déjà être là. Suis-je la seule qui pense qu'être à l'heure, c'est être en retard ?

Je choisis alors une table dans le fond du café et me débarrasse de mon manteau et de mon sac avant d'en sortir le dossier de mon client ainsi que mes notes. Au même moment, la clochette de la porte d'entrée teinte et je lève les yeux pour vérifier s'il ne s'agirait pas de l'homme que j'attends. Je grimace lorsque je remarque que ce n'est pas lui puis je vérifie une nouvelle fois l'heure. Il devrait être là d'ici moins d'une minute, sinon il sera en retard. Je déteste les retardataires, surtout lorsque le rendez-vous est professionnel, encore plus lorsqu'en face, il n'a plus de travail et qu'il n'a donc pas la moindre excuse.

Alors que je rumine, la chaise en face de moi traîne sur le sol, attirant mon attention. Je découvre aussitôt un visage plus mature que sur la photo, avec à présent des lunettes qui vont parfaitement avec la forme de son visage. Je me redresse et tends alors ma main à mon interlocuteur.

— Bonjour, vous êtes Cayden McCarthy, n'est-ce pas ? Enchantée de vous rencontrer.

Il hoche la tête et m'offre sa main en retour.

— Enchanté également. Vous êtes Mary Bennett.

C'est une affirmation, il n'a pas la moindre hésitation sur mon compte. Aimee ne m'a pas dit qu'elle lui avait envoyé une photo de moi, mais j'imagine qu'elle a bien fait, c'est plus facile de se retrouver en sachant à quoi l'autre ressemble. D'un signe, j'invite mon client à s'asseoir. Il porte un pull blanc, aux antipodes du mien, et un pantalon gris. Sa tenue est agrémentée de Converse Runstar Hike noires et d'une doudoune noire.

Quelques secondes plus tard, une serveuse vient prendre notre commande. De mon côté, j'opte pour un Americano glacé, tandis que mon client demande un Cappuccino. Alors qu'elle repart,  j'en profite pour ouvrir le dossier et me le remémorer rapidement. Une fois nos cafés servis, je relève la tête vers mon client.

— Tout d'abord, j'aimerais que vous me parliez de votre cas. Ma collègue m'a effectivement communiqué votre dossier complet, mais j'aime entendre les informations de la bouche de mes clients.

Monsieur McCarthy grimace un instant puis acquiesce en buvant une gorgée de son Cappuccino.

— Serait-ce possible de se tutoyer ? propose-t-il alors que je m'attendais à son explication. On risque de travailler ensemble un moment.

Troublée, je ne sais pas comment réagir. Je n'ai pas pour habitude de tutoyer mes clients aussi rapidement. Cela arrive parfois que je le fasse, mais c'est après plusieurs rendez-vous. Si vite, c'est étonnant, c'est presque un manque de professionnalisme de sa part.

— Je ne suis pas très à l'aise à cette idée, réponds-je finalement. Je considère qu'il est important de garder une certaine distance avec mes clients, surtout quand je ne les connais pas. Peut-être qu'au fur et à mesure, nous pourrons nous le permettre, mais cela me paraît bien trop tôt pour le moment.

— Entendu. C'est juste que vous me paraissez être de ma génération. Je sais qu'on commence à se faire vieux, mais... Peu importe, pardon. Vous avez raison. Pour ce qui est de mon histoire, j'imagine que vous savez déjà qu'elle est assez particulière.

— En effet.

— Bien. Donc, il y a une semaine, j'ai commis un vol à l'étalage de guirlandes.

— De Noël, précisé-je en lui coupant la parole.

— Des guirlandes de Noël, effectivement.

— N'oubliez pas de détails, c'est important pour la suite. Sauf si vous préférez le licenciement à une simple suspension. J'ai cru comprendre que votre employeur était axé zéro tolérance criminelle.

— Il l'est, oui. Je travaille en hôpital, c'est plutôt normal qu'il ne veuille prendre aucun risque de ternir la réputation de l'établissement.

Je hoche la tête. Malgré la présomption d'innocence, nombreux sont les employeurs qui imposent une clause dans le contrat afin de protéger l'image de l'entreprise. Ce n'est pas étonnant qu'il y soit soumis, d'autant qu'il est important pour un hôpital que ses patients puissent se sentir en confiance. Il suffirait qu'un patient apprenne par le biais d'un autre ce que Cayden a fait pour refuser d'y suivre un traitement par peur d'être victime soi-même d'un vol. Quand bien même il est dans une situation particulière – encore faut-il qu'on le prouve.

— J'ai eu une soirée trop arrosée et, à chaque fois que je bois trop, je suis enclin au somnambulisme. Je me suis rendu dans  une petite épicerie pas loin de chez moi qui ouvre à partir de sept heures. Je me suis couché vers quatre heures, complètement arraché. L'employé a rapporté que je suis entré en courant sans le saluer, que j'ai attrapé les guirlandes de Noël, et que je suis reparti de la même manière.

Il fait une pause comme pour me laisser le temps de m'imprégner de ses paroles, alors même que je connais déjà son histoire grâce à son dossier que j'ai lu et relu sans vouloir croire que de telles choses puissent arriver. Finalement, il reprend.

— Je me suis réveillé vers midi. La sonnette ne s'arrêtait pas. J'ai cru que les gamins riches du quartier se faisaient chier et s'amusaient à appuyer bêtement encore et encore. J'ai fini par me lever parce que j'étais crevé et que je voulais dormir. Mais quand j'ai ouvert, c'était la police. Ils m'ont parlé de cette affaire et je n'ai pas compris. Ils ont vu les guirlandes dans mon entrée et ils m'ont arrêté.

De nouveau, il se tait avant de soupirer et de secouer la tête, se remémorant la scène.

— J'ai été tenu quelques heures en garde à vue, et j'ai pu appeler votre collègue, Aimee. Elle m'a expliqué sa situation et j'ai failli raccrocher, mais elle m'a parlé de vous. Et maintenant, nous voilà.

— Bien. Je ne vais pas vous cacher qu'on ne part pas gagnants de cette histoire. Vous avez été vu par un employé pendant l'action et surtout, les forces de l'ordre ont pu constater que les produits volés étaient bel et bien chez vous. C'est compliqué de contrer de telles preuves. Cela dit, puisque vous avez agi sous une crise de somnambulisme, il faudrait justifier  que vous êtes atteint  par ce trouble lorsque vous buvez.

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant