Chapitre 29.1 - Mary

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Après avoir détesté chaque vêtement amené de Glasgow, je finis par jeter mon dévolu sur la tenue la plus simple que je pouvais porter, un pantalon noir épais pour supporter le froid pendant les nombreuses heures que nous allons passer dehors, un sous-pull et un sweat à capuche de la même couleur. Je mise tout sur mes cheveux et mon rouge à lèvres qui attirent les yeux dès qu'on m'observe.

Pour relever un peu mon apparence et avoir l'air moins ennuyeuse, j'opte pour une longue veste beige. Je n'ai pas envie que Cayden pense que je me fiche assez de lui pour ne pas faire d'effort quant à ma tenue alors que celle-ci ne représente pas ma relation avec lui, mais bien la période dans laquelle je rentre. Celle que je déteste, comme la majeure partie des femmes. Celle qui nous empêche de vivre une vie normale durant près d'une semaine. Les menstruations.

Aussi naturel puisse être le phénomène, je jalouse les hommes pour ne pas connaître de périodes où leurs activités sont limitées. On oublie la piscine et tout ce qui s'y apparente si on n'a pas investi dans un maillot de bain spécial et qu'on déteste les tampons – merci, mais je ne vais pas volontairement introduire des particules toxiques dans mon vagin. Pour ma part, je suis passée à la cup, écologique, économique et bien meilleure pour la santé. Beaucoup pensent que cela a un coût bien plus élevé, mais sur les cinq ans qu'elle dure, on est largement gagnantes, même si c'est une certaine somme à sortir en une fois.

Heureusement pour moi, j'ai la chance de ne pas avoir des règles douloureuses. Ce n'est pas non plus agréable, mais je suis capable de vivre sans m'en préoccuper de trop une fois ma cup en place. Je déteste toujours le retour à la réalité lorsque je dois la vider – surtout lorsque je ne le fais pas correctement et que ma main est recouverte de sang, heureusement avec l'habitude, c'est moins fréquent. Bienvenue dans la réalité de la femme, les règles ne sont pas seulement les règles. C'est tellement plus de galères à côté, et je fais pourtant partie de celles qui sont les plus gâtées par la nature. Je n'imagine pas ce qu'est la vie d'une femme avec de l'endométriose ou de l'adénomyose*.

Je glisse mes pieds dans une paire de botines plates, elles aussi beiges, mais je reste sur un sac noir. Finalement, même si ma tenue est bien moins colorée qu'à mon habitude, cela ne la rend pas moins belle et classe. Au contraire, cela me fait ressortir plus que jamais. Pour une fois, j'ai l'impression que j'embellis les vêtements plus qu'ils ne m'embellissent. Je suis au centre de l'attention, et ça donne une impression de femme fatale qui me plaît beaucoup. Je devrais mettre du neutre plus régulièrement, bien que la couleur me rende vivante, me donne l'air de respirer la joie. Et c'est le cas, la plupart du temps.

Je ne suis pas à plaindre. J'ai des parents aimants qui ont tout abandonné pour m'envoyer dans mon université de rêve, ils m'ont offert la chance d'étudier le droit comme je l'ai voulu, ils ont subvenu à mes besoins pendant des années pour que je me concentre sur mes cours plutôt que de comment les payer. Après ça, je n'ai pas travaillé longtemps avant de me lancer à mon compte aux côtés d'Aimee. Maintenant, nous traversons une période difficile, nous savions que nous allions devoir nous battre pour nous faire une place, mais nous ignorions que ça signifierait de faire tant de concessions, de gagner si peu – trop peu.

Je soupire et, à deux heures pétantes, je suis devant la porte et attends que Cayden se pointe. Comme prévu, je ne compte qu'une dizaine de secondes avant que l'interphone ne sonne. Je déverrouille la porte de l'immeuble avant d'ouvrir celle de l'appartement. Je m'appuie sur le chambranle et au bout d'une minute, l'ascenseur en face révèle Cayden, souriant.

— À l'heure, cette fois, commente-t-il en s'approchant.

— Je t'ai même attendu.

Je note qu'il n'a pas de tulipe, aujourd'hui. Je ne le lui fais cependant pas remarquer, pensant que cela serait déplacé. Je ne dois pas m'imaginer que c'est une obligation dès que l'on se voit. L'intention a beau être très agréable, je ne peux pas m'attendre à en recevoir à chaque fois. Et pas question de lui faire penser que cela pourrait être le cas. Je veux que cela vienne du cœur, de lui. Qu'il le décide et pas qu'il s'y sente forcé. Il y a sans doute une raison qui explique pourquoi, cette fois, il est venu les mains vides. Une rupture de stock chez son fleuriste favori, par exemple.

— Parfait. On y va ?

J'acquiesce et, un coup de clef dans la serrure plus tard, nous voilà dans l'ascenseur, puis rapidement dans le métro. Il ne faut que quelques stations avant d'arriver à destination. Immédiatement, je suis accueillie par une foule importante et une queue qui, heureusement, avance à vitesse monstre – sûrement une habitude développée par la sécurité qui bosse ici chaque hiver.

— On n'y entrera jamais, soupiré-je.

— Ne perds pas espoir, il n'est que deux heures quinze, on a déjà avancé de plusieurs mètres. Dans quinze minutes on est rentré.

— Tu penses ?

— Ils sont rôdés. En plus, ça fait déjà plusieurs semaines qu'ils ont ouvert, le flot est passé. C'était pire en novembre.

— Cool. Je crois ?

— Oui, cool.

On se marre et avançons encore de quelques mètres tandis qu'autour de nous, des enfants s'impatientent. Je les plains, ces pauvres bouts qui ne peuvent plus attendre sans s'éparpiller dans tous les sens. Ils sont nerveux de ne pas pouvoir se défouler dans les manèges que leurs parents leur ont promis.

Finalement, comme Cayden l'avait prédit, nous passons les contrôles et le paiement une quinzaine de minutes plus tard. Dès que nous pénétrons dans l'enceinte du festival*, la joie que génère cet endroit m'éclate aux yeux. Des enfants courent tout azimut, leurs parents à leur trousse, tous ont des sourires jusqu'aux oreilles. Certains dégustent de la barbe à papa et se marrent de la voir disparaître si vite au contact de leur salive.

— On fait quoi ? m'interroge Cayden.

Je hausse les épaules. Il a voulu m'emmener ici, pourquoi devrais-je décider ? Je ne sais rien de cet endroit. Il y a de nombreuses activités à faire et à découvrir grâce aux différentes attractions et stands de nourriture.

— Tu as mangé ce midi ?

— Un peu, juste une petite assiette de pâtes. Je ne voulais pas être malade à cause des secousses.

— J'en conclus que tu ne veux pas manger plus pour le moment.

Je grimace, et Cayden se marre avant de scanner des yeux ce qui nous entoure. Il lève le doigt, comme si une idée l'avait soudainement frappé.

— La grande roue ?

Je hausse les épaules.

— Pourquoi pas. Au moins, on pourra voir ce qu'il y a d'autres comme distractions ici. C'est tellement grand.

— C'était mon idée, même si les manèges sont souvent les mêmes d'une année à l'autre. Et ça permet de commencer doucement. Mais ne crois pas que tu vas échapper aux manèges à sensations.

J'éclate de rire alors que nous nous dirigeons vers notre première attraction.

— Tu rigoles ? Ce sont mes préférés, je n'attends que ça. Ne mets pas tes peurs sur le dos des autres.

J'ajoute un clin d'œil à ma phrase, ce qui le fait rire. Déjà, nous arrivons à la grande roue et, par chance, il n'y a pas de queue. En quelques minutes, nous entrons dans une cabine et une fois la porte sécurisée, nous nous élevons dans les airs. Peu à peu, le Winter Wonderland s'étend sous mes pieds, puis Londres.

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* Endométriose inversée. Les douleurs sont similaires, mais la malformation n'est pas la même. C'est une maladie inflammatoire qui concerne l'appareil sexuel féminin, tout comme l'endométriose. Elles sont très similaires et parfois confondues.

* Afin de servir au mieux le roman, les manèges et autres stands du Winter Wonderland sont potentiellement inventés et n'existent pas dans la réalité !

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant