Trente minutes plus tard, j'arrive enfin au pont le plus connu de Londres. Immédiatement, mes yeux sont attirés par son architecture particulière. Ses tours se dressent dignement tandis que le bleu vient décorer le pont en sa totalité. Les voitures qui y passent sont nombreuses et le groupe de touristes me gâche la vue le temps d'un instant. Je soupire avant de prendre ma photo, non pas sans avoir peur que mon portable tombe dans la Tamise. Je me souviens de la tulipe que j'ai délicatement rangée dans mon sac en arrivant à Beigel Bake un peu plus tôt. Je la sors alors et en prends une photo devant le Tower Bridge. J'hésite un instant et lance Instagram. J'y télécharge la photo, et y ajoute une description.
@ml._benn : White tulip, Tower Bridge, winter. Perfect life.
Tulipe blanche, Tower Bridge, hiver. Vie parfaite.
Je poste ma photo. Je n'ai pas beaucoup d'abonnés, préférant protéger ma vie privée des psychopathes qui pourraient composer bon nombres de personnes qui m'entourent. On ne sait jamais vraiment à qui on a affaire avant que ce soit trop tard. Je me méfie toujours. Peut-être est-ce à cause de mon lourd passé, mais cette manière de vivre me plaît. Personne n'a besoin de voir mes photos en dehors de mes quelques amis et ma famille.
Je range mon téléphone et observe encore la tulipe, le Tower Bridge en fond. Je souris et me demande encore pourquoi mon client m'a offert une fleur à notre première rencontre. J'espère que ce n'est que sa manière d'être agréable avec son avocate – il a tout intérêt à ce que je lui mange dans la main –, et qu'il ne cherche pas à obtenir plus de moi. Je ne lui offrirai ni mon corps ni mon cœur. Je suis une romantique dans l'âme et j'attendrai le bon. Ce ne sera certainement pas un médecin accusé de vol à l'étalage de guirlandes de Noël, aussi sexy soit-il.
Au bout de quelques minutes, alors que mes doigts commencent à geler sur place, je range doucement la fleur dans mon sac et récupère mon téléphone. Sur l'écran de verrouillage de celui-ci s'affichent quelques notifications.
@aim.h.ee et 9 autres personnes ont likés votre photo.
@aim.h.ee a commenté votre photo : Wowww tu profites de Londres !! D'où tu tiens cette fleur ? 😏
@a_l.nn a commenté votre photo : Moi qui pensait que je te ferais visiter Londres... Tu le fais toute seule comme une grande 😔
Je me marre une seconde en lisant les commentaires de Aimee et Aedlin. Je m'apprête à leur répondre quand un message fait tinter mon portable.
Maman : Tu es à Londres ?
Je me mords la lèvre inférieure. S'il y a bien deux personnes que j'ai oublié de prévenir quant à ma venue, c'est mes parents. Ils n'ont jamais déménagé, même après le drame que j'ai vécu, mais ils ont toujours catégoriquement refusé que je vienne les visiter, me rappelant que ce serait trop dangereux. Il y a une époque, lorsque j'étais trop jeune et trop naïve, où je voulais revenir, où je pensais que ça ne pouvait pas avoir d'impact, où je pensais avoir tourner la page. Même si aujourd'hui, je suis capable de me sentir bien à Londres, je suis heureuse de ne pas être venue avant et je continuerai à penser qu'il aurait été bien mieux que je reste loin d'ici. Heureusement, cela n'a pas l'air d'avoir d'impact sur ma mémoire pour le moment. Espérons que cela continuera ainsi.
Mary : Oui. Désolée, j'ai oublié de vous prévenir, ça s'est fait de dernière minute avec le boulot, je n'avais pas le choix.
Aussitôt, une réponse me parvient. Elle devait attendre avec impatience que je lui explique.
Maman : Tu ne devrais pas. C'est dangereux. Comment feras-tu, toute seule, si tu te retrouves face au passé ? Rentre à Glasgow avant qu'il soit trop tard.
Maman : Cela m'inquiète.
Je soupire. J'aime ma mère de tout mon cœur, mais il y a des jours où je me dis qu'elle va trop loin. Je n'ai plus quinze ans, je suis une adulte responsable de mes actes et consciente des conséquences. Je sais qu'elle cherche seulement à me protéger, mais elle doit accepter que parfois, fuir n'est pas la meilleure idée. Je ne veux plus me cacher loin de Londres sous simple prétexte que d'horribles souvenirs pourraient me revenir. Rien ne me dit que ce sera le cas, et rien ne me dit que cela ne pourra pas me revenir en vivant toute ma vie à Glasgow. Je n'attends pas la nouvelle année pour prendre une nouvelle résolution, je veux avancer et ne plus regarder en arrière, tant pis si je dois parfois faire face à des miroirs. Je les briserai et j'avancerai encore.
Mary : Je sais, mais ne t'en fais pas. Je vais bien.
Maman : Pour le moment.
Mary : Ça ira plus tard aussi. Et si ce n'est pas le cas, je t'appellerai. Je suis prête à faire face au passé.
Maman : Tu dis ça parce que tu n'imagines pas quelles horreurs tu as vécu... Protège-toi tant qu'il est encore temps, ma chérie.
Je secoue la tête. Elle ne me fait pas confiance, elle ne me fera jamais confiance. Elle ne veut pas croire que je suis capable de faire face à tout ça, maintenant que j'ai bientôt trente ans. Pendant plus de dix ans, on m'a répété encore et encore à quel point mon passé était horrible, à quel point il était mieux que je ne joue pas avec le feu en m'approchant de Londres. Un tiers de ma vie a été dédié à me rappeler que j'avais vécu l'enfer, sans jamais me dire quoi. À présent, je m'attends au pire, rien ne pourrait m'atteindre. J'ai imaginé toutes les pires choses du monde et même si elles me font peur, je suis prête à y faire face. Je ne fuierai plus.
Mary : Je te promets que je peux imaginer. Maintenant qu'on y est, je pourrais venir vous voir, toi et papa ?
Maman : on est censé venir à Glasgow pour Noël. On s'y verra là-bas. On est en plein rush au boulot, on a pas le temps.
Mary : OK. Dites-moi si vous pouvez vous libérer à un moment ou un autre. Deux fois est mieux qu'une.
Maman : On verra. Bisous.
Mary : Bisous.
Une larme coule le long de ma joue, je l'efface immédiatement d'un revers de main. J'aimerais que ma mère me comprenne mieux. J'ai toujours pensé qu'en grandissant, ce genre de choses ne touche plus parce qu'on est adulte et qu'on peut choisir pour soi-même. Pourtant, l'idée de décevoir ma mère, de l'inquiéter est tout aussi pourrie à mes yeux qu'il y a des années. Rien n'a changé, j'ai toujours besoin de son validisme. Aujourd'hui cependant, je ne peux pas accéder à sa demande. Je ne rentrerai pas à Glasgow avant d'en avoir terminé avec cette affaire de vol à l'étalage de guirlande de Noël.
Et d'ici là, je compte bien profiter de ma présence à Londres.

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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
Roman d'amourLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...