Au bout de trente minutes, je reprends espoir lorsque l'infirmière revient. Pourtant, à l'annonce que le médecin va prendre plus de temps que prévu, je soupire une fois de plus. Je me demande combien de temps supplémentaire nous aurions attendu si Cayden ne nous avait pas aidé. Si cela continue ainsi, John arrivera avant même que sa femme ne soit prise en charge. Cela me rend folle. J'attrape Cayden de la main et l'emmène à quelques mètres de Aimee, suffisamment pour que celle-ci n'entende pas la conversation.
— Pourquoi est-ce aussi long ? lui demandé-je.
— On est en sous-effectif. C'est un peu galère en ce moment pour gérer les urgences. Si le médecin ne vient pas, c'est qu'il y a une raison. La patiente dont il s'occupe doit être particulièrement mal en point.
— Parce que tu penses que Aimee ne l'est pas ? Ses bébés ne bougent plus.
Sans le vouloir, je le tutoie, mais il ne semble pas le remarquer.
— Ils savent déjà ce qu'elle a, non ?
— Oui. L'infirmière nous a posé quelques questions.
Il fait une moue qui ne m'annonce rien de bon.
— Ils considèrent que c'est déjà trop tard.
— Ils n'en savent rien sans examen, rétorqué-je.
— Quand des bébés ne bougent pas pendant si longtemps après un accident de voiture et qu'il y a eu un choc, les chances qu'ils soient encore en vie sont trop basses. Aimee a l'air en bonne santé, donc ils ne la considèrent pas prioritaire. Je suis désolé.
— Va leur parler. Demande leur de la faire passer. S'il te plaît.
— Je ne peux pas faire ça. Ils doivent respecter les directives. S'ils ne viennent pas, c'est qu'ils priorisent des personnes assez en danger pour s'en occuper, mais trop peu pour ne pas les sauver.
— C'est dégueulasse.
— Non. Si tu devais choisir entre une personne qui a un pour cent de chance de s'en sortir et une personne qui en a vingt-cinq pour cent, tu prioriserais qui ?
— Celle qui a vingt-cinq pour cent de chances, avoue-t-elle d'une petite voix. OK, je comprends. Mais pourquoi ils n'embauchent pas plus de médecins ?
— Parce que le Royaume-Uni manque cruellement de médecins. C'est le cas dans tous les hôpitaux, pas seulement ici. On doit se démerder avec ça. Et ça veut dire trier les patients. Je te promets qu'elle finira par être examinée. Mais il faut attendre.
— Tu penses qu'elle ira bien ? me questionne-t-elle en jetant un œil à son amie.
Je ne peux pas mentir sur ce genre de choses. Mes années d'études en médecine m'ont appris à ne jamais mâcher mes mots, à toujours être honnête et empathique à la fois.
— Je ne pense pas, non. Si ses bébés vont mal, elle va en souffrir. Je ne peux pas imaginer à quel point, mais beaucoup.
— Alors j'espère qu'elle ne l'apprendra pas avant que John soit là. Je ne serai pas suffisante pour l'épauler.
— Tu l'es. Et même si ce n'est pas le cas, c'est une adulte indépendante qui sera capable de s'en sortir même si tu ne lui offres pas autant de soutien que tu le voudrais.
Mary acquiesce silencieusement avant de reprendre la parole.
— Ça se voit que tu es médecin, tu sais parler aux gens.
— Ce n'est pas parce que je suis médecin, mais parce que je suis un humain avec des sentiments. Je conçois ta position. J'ai été à ta place, je sais exactement ce que c'est.
Je cligne des yeux, étonnée de sa confession. Nous ne nous connaissons pas, je ne comprends pas pourquoi il me dit ce genre de choses. Je ne suis pas du genre à raconter mon accident aux autres, mais chacun vit ses traumatismes différemment et on cherche tous à en guérir, d'une manière ou d'une autre.
— Merci.
— Pour ? m'interroge-t-il.
— Pour me montrer que je suis écoutée, même si je ne suis pas celle qui devrait me sentir mal dans cette histoire.
Il secoue la tête.
— Tu as le droit d'avoir des sentiments, quand bien même tu n'es pas directement concernée.
Je hoche la tête et lui souris vaguement avant de retourner auprès de Aimee. Je prends celle-ci dans mes bras, et la laisse pleurer encore et encore dans mon cou.
Trois heures plus tard, un médecin vient enfin chercher Aimee. Celle-ci attrape ma main et demande à ce que je l'accompagne. Un instant, le médecin refuse, mais après un coup d'œil vers mon visage suppliant, il change d'avis. J'ai sans doute abusé des yeux de chien battu, mais je ne peux pas abandonner Aimee, elle a besoin de moi. John n'est pas encore présent et je n'accepterai pas de la laisser tant qu'il ne sera pas arrivé pour épauler sa femme.
— Je reste ici, m'informe Cayden.
J'acquiesce en guise de réponse avant d'accompagner Aimee dans la salle d'examen. Le médecin lui pose alors quelques questions qui complètent celles posées lors de notre arrivée. Finalement, il lui demande de s'allonger sur la chaise d'examen. Aimee relève alors son pull, révélant son ventre gonflé par les mois.
— Ça va être un peu froid, prévient le médecin avant d'appliquer du gel sur le ventre de Aimee.
Celle-ci consent en silence, les larmes coulant toujours le long de ses joues. Le médecin attrape alors une sonde et la passe sur le ventre de Aimee. Il est silencieux en observant l'écran sur le côté, mais je remarque une lueur dans ses yeux qui ne présage rien de bon. Je me force à ne pas réagir pour ne pas stresser Aimee, je me fais peut-être seulement des idées. Celle-ci s'impatiente alors que le médecin poursuit de l'examen, bien qu'il paraisse seulement s'assurer qu'il avait raison depuis le début.
Au bout de cinq minutes dans le silence le plus complet, il attrape du papier absorbant pour nettoyer le gel. Aimee le dévisage, tentant d'interpréter son silence. Je sens mon corps tanguer à mesure que je comprends avec Aimee que si le médecin ne nous a toujours pas rassuré, c'est que ce n'est pas bon signe. Il soupire alors, me faisant presque sursauter tant je ne m'y attendais pas. Aussitôt, Aimee éclate en sanglots plus que jamais. Il n'a pas besoin de le dire, nous connaissons déjà la mauvaise nouvelle.
Soudain, la porte de la pièce s'ouvre et je découvre John au pas de celle-ci. Apercevant le visage en larmes de sa femme, il se précipite vers elle et l'embrasse de toutes ses forces, comme si elle lui avait terriblement manqué durant ces dernières heures. Ils se séparent enfin, mais dans leurs yeux je reconnais une douleur commune.
— Je suis désolé, avoue le médecin, confirmant nos inquiétudes.
Aimee continue à pleurer tandis que son mari la serre contre son cœur, tentant de la rassurer comme il le peut. Des larmes coulent aussi le long de ses joues, mais il reste fort pour sa femme. Ils se soutiennent mutuellement, s'utilisent l'un l'autre pour tenir. Cette scène me fait autant sourire qu'elle me brise le cœur. Ils méritaient mieux, après ces années à essayer d'avoir un enfant. C'est injuste qu'en un clin d'œil, ils aient perdu ce qu'ils ont pris si longtemps à obtenir. Je me souviens encore du jour où Aimee m'a annoncé sa grossesse. J'étais si heureuse pour elle, sa joie était si intense, jamais je n'avais vu un si grand sourire sur son visage. Ses yeux brillaient, remplis d'émotions à l'idée de partager cela avec moi, à l'idée d'enfin avoir réussi. C'était une période où ils pensaient abandonner, où ils avaient complètement perdu espoir, où ils se disaient que ça n'arriverait jamais et qu'ils devraient se lancer dans de longues démarches pour tenter autrement, sans même être sûr que cela fonctionnerait. Et soudain, la nature a agit, elle a montré qu'elle est toujours inattendue, toujours magnifique, plus impressionnante que toute invention de l'Homme.

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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
RomanceLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...