— Professionnelle, mais terriblement insolente.
— Parfait, c'était le but.
Nous partons dans un nouveau fou rire alors qu'il m'est impossible de continuer à manger. C'est ce que j'aime chez Aedlin, elle me fait rire même dans les moments sombres. Elle a beau être revenue dans ma vie il n'y a que quelques mois, elle a repris une place importante dans mon cœur aussitôt. Elle ne l'a jamais vraiment quitté, même si je n'en étais pas consciente, c'est comme si mon âme s'était souvenue d'elle et l'avait immédiatement accueillie les bras grands ouverts. Je ressens soudain le besoin de lui dire.
— Merci, lâché-je d'un air sérieux.
— Pour ?
— Pour être toi. Et pour me faire sourire si facilement.
— C'est mon deuxième travail, tu sais pas ? Rendre Mary Bennett heureuse. Dis-moi si tu cherches la partenaire d'une vie, des fois.
Elle pouffe.
— J'y penserai si dans vingt ans je ne suis toujours pas mariée.
— C'est ce qu'elles disent toutes, dit-elle d'un ton faussement déçu.
— Mais moi je tiens mes paroles.
— Ça aussi, c'est ce qu'elles disent toutes.
Notre conversation tend à critiquer les hommes, mais il n'y a pas besoin de le dire pour que nous le sachions l'une comme l'autre. Je ne dirais pas que les femmes trompent et mentent moins, mais il est certain que les hommes sont loin d'être les meilleurs. Après tout, c'est à cause d'eux si nous sommes désavantagées constamment, à chaque événement que nous rencontrons. Travail, divertissement, relation, sortie, vêtement, santé... Tout. Les hommes seront toujours mieux traités, considérés comme plus importants, sauf lorsqu'il s'agit de sauver les êtres les plus fragiles. "Les femmes et les enfants d'abord" lorsqu'on doit évacuer. Que les enfants soient les premiers à être sauvés, je comprends, ils sont le futur de l'humanité, mais les femmes ? Même si nous sommes celles qui portent la vie, nous ne pouvons pas concevoir sans homme, ils sont tout aussi importants dans le système de reproduction.
Nous sommes simplement prises pour de pauvres petites biches à sauver alors que nous sommes nous aussi capables de survivre dans des conditions compliquées. J'aurais même tendance à dire que les femmes s'en sortiraient mieux tant elles ont été conditionnées à faire face à des obstacles. Dès la jeunesse, nous sommes sexualisées par des hommes qui ont trente ans de plus, s'inquiétant de si nous avons des poils et une poitrine qui poussent, voulant savoir si nous commençons à saigner, alors que jamais cela ne les regarde. Plus tard, nous grandissons et sommes dévisagées, observées et détaillées dans les endroits publics par des yeux affamés qui ne rêvent que de nous déshabiller, nous sommes vues comme de la viande. Puis une fois adultes, nous connaissons l'illégalité salariale, les congés maternités qui semblent être un critère de sélection en entretien d'embauche. Toute notre vie, on nous répète d'être féminine, apprêtée, belle et agréable à observer, dépourvue de poils pour ne pas paraître sale, et s'il est possible de porter le moins de tissu possible, c'est encore mieux. On attend de nous des choses irréalisables sans être en mauvaise santé – les nombreux mannequins de un mètre quatre-vingts pesant quarante kilos le prouvent, bien que cela tend à changer avec le temps –, on attend de nous de se soumettre aux lois de l'homme et à prioriser son bien-être, quand bien même cela veut dire s'oublier soi-même. On attend de nous de porter la vie, d'élever des enfants quitte à perdre notre liberté, notre travail, notre temps libre, comme si nous étions des machines à reproduire, tandis que les hommes continueront à sortir le soir sans être mal jugés des autres pour avoir délaissé leur enfant.
Cette société fait de nous des objets divertissants et utiles, destinés à satisfaire chaque besoin des hommes, quels qu'ils soient. Un homme cherche un objet sexuel ? Il utilisera une femme et ne respectera pas son consentement. Un homme désireux d'un employé qui travaillera plus pour un salaire plus bas ? Il recourra à une femme qui se laissera faire parce qu'elle se fait rire au nez si elle tente de se rebeller. Un homme aspire à une vie avec des enfants et un appartement constamment propre et rangé ? Il prendra une femme qui fera office de son larbin. Certains diront que j'abuse, que j'intensifie le trait, et pourtant, c'est ainsi que je vois la vie des femmes, c'est ainsi que les femmes décrivent leur vie. Je connais plus de femmes qui ont vécu plusieurs de ces situations que de femmes qui n'ont jamais connu cette inégalité constante par rapport aux hommes.
— Tu t'es perdue dans les tréfonds de tes pensées ? m'interroge Aedlin au bout de plusieurs secondes de silence.
Je pose alors les yeux sur elle et reviens à la réalité. C'est le genre de sujet qui me fait tellement fulminer que j'oublie que j'étais en pleine conversation lorsque je me suis mise à réfléchir et à formuler une thèse dans mon cerveau. Si une association féministe avait besoin d'une personne pour faire un discours en urgence, je crois qu'elle pourrait me demander. J'ai tant de choses à exprimer, tant de choses à mettre en lumière, et pourtant, pas assez de temps pour le réaliser. Heureusement que des personnalités publiques comme Aedlin en parlent pour toutes les femmes de ce monde.
— Pardon. Je suis partie loin... On disait quoi déjà ?
— Rien d'intéressant. D'ailleurs, tu peux me raconter un peu pourquoi il y a quelques jours ton client t'a ramené à l'appart ?
De ses doigts, elle fait un signe pour mettre entre guillemets le mot "client". Je me mords la lèvre inférieure, ne sachant pas vraiment quoi répliquer. Lorsqu'il l'a fait, je pensais qu'elle m'en parlerait, mais elle n'a rien dit sur le coup. J'imaginais qu'elle s'en fichait, ou qu'elle avait au moins oublié. C'est apparemment raté.
— C'est... compliqué.
— Compliqué comment ?
— Compliqué comme c'est mon client et ça doit rester ainsi.
— Donc compliqué dans le genre c'est ton client, mais t'as un gros crush sur lui.
— Je ne dirais pas crush, contré-je. Mais il est gentil et bienveillant. J'aime passer du temps avec lui.
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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
RomanceLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...