Je n'ai dormi que quatre heures, encore. J'ai passé la majeure partie de la nuit à bosser sur mon manuscrit. À côté de mon activité d'avocate qui manipule les lois du bout des doigts, j'aime écrire. Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours eu une connexion particulière avec l'art, comme si c'était ma destinée. Ces dix dernières années, après avoir perdu la moitié de ma mémoire, j'ai commencé à chercher ce que j'aimais. J'ai tenté la musique et en ai rapidement conclu qu'il valait mieux que personne ne m'entende chanter ou jouer d'un instrument, je n'ai pas l'oreille musicale. J'ai tenté la peinture, le dessin et tous les dérivés qui consistent à créer des formes sur du papier, mais le niveau bonhommes bâtons n'est définitivement pas suffisant pour que cela ressemble à quelque chose. J'ai tenté la sculpture et la finalité était la même. Ces arts ne sont pas pour moi.
Un nuit cependant, après un énième cauchemar, une énième fois à me souvenir de cet accident qui m'a détruite, j'ai eu envie d'apposer mes maux sur du papier. J'ai voulu les exprimer à travers des mots. J'ai alors attrapé mon téléphone et ai ouvert mes notes, puis j'ai commencé à transcrire ma douleur. Immédiatement, cela a été une révélation. De jour en jour, mes notes se remplissaient de poèmes de différents types. Au bout d'une année, j'en avais assez pour en faire un recueil, si bien que je les ai reportés sur un document Word. Aujourd'hui, Vivere dort dans un fond de mon ordinateur, attendant le jour où j'aurai le courage d'envoyer quelque chose à des professionnels.
Je ne suis pas certaine que cela arrivera. En fait, je ne sais même pas si j'ai envie que ça soit le cas. J'aime ce recueil de tout mon cœur, il m'a aidée à me reconstruire, à accepter mon passé, à accepter que je dois continuer à vivre malgré les douleurs que mon cœur porte. Néanmoins, plus le temps passe, plus mes doutes sont forts et plus je me dis que je devrais seulement garder Vivere pour moi. Ces poèmes ont pansé mon cœur, mais suis-je prête à faire face à des refus ? À de la critique ? À quoi que ce soit de négatif sur ce que j'ai pu ressentir pendant que j'écrivais ?
Après avoir terminé Vivere, j'avais besoin de plus, d'une sorte de challenge à réaliser. J'avais besoin d'apposer mes maux différemment, je voulais imaginer des histoires, écrire quelque chose de moins personnel. J'ai alors commencé à écrire Breathe, un roman sur des personnages brisés, et j'ai compris que j'avais tort. Même s'il s'agissait de personnages fictifs, d'une histoire qui ne me concernait pas, j'ai finalement réalisé qu'elle comptait autant pour moi et que je n'étais pas capable de la partager, elle non plus. Je me retrouve avec un second manuscrit sans savoir vraiment quoi en faire, quand bien même je l'aime de tout mon cœur.
Maintenant, j'en suis à mon deuxième roman. Celui-ci n'a pas de nom et n'est pas plus joyeux que le précédent. J'en ai écrit quatre-vingt dix pour cent, mais j'ai déjà mille et unes idées pour le prochain. Je ne me considère pas comme une auteure, seulement une femme au cœur noirci qui cherche à aller un peu mieux en inventant des romances qui n'arrivent que dans les livres. Comme ses frères, il finira probablement au fond de mon ordinateur pour ne jamais en ressortir.
Je soupire et me tire enfin du lit après avoir ruminé sur ma carrière d'artiste ratée. J'ouvre les rideaux qui occultent les rayons du soleil et découvre que l'univers me fait aujourd'hui le plus beau des cadeaux. Nous ne sommes que mi-décembre et pourtant, la neige tombe en quantité importante depuis le ciel. J'ai toujours vu ce phénomène météorologique comme quelque chose de particulier, quelque chose de synonyme au renouveau et à la pureté. C'est comme si l'univers me faisait signe qu'en acceptant de venir à Londres, j'avais pris mon avenir entre mes mains et qu'enfin, des choses changeraient. J'ose espérer que cela signifie que Bennett & Hayes ne mettra pas la clef sous la porte. Même si je serais capable de m'en sortir, même si Aimee le pourrait aussi, je n'ai aucune envie de dire adieu à nos années de travail ensemble sur ce projet parti de rien. J'y crois, du fond de mes tripes, à ce cabinet.
Finalement, j'attrape mes vêtements et les échangent contre mon pyjama. J'opte ce matin pour une tenue chaude mais classe : un pantalon de costume bleu clair qui descend jusqu'à mes chevilles, un pull noir pour apporter de la profondeur à ma tenue, je complète celle-ci avec une veste courte accordée à mon pantalon et quelques bijoux dorés. J'y ajouterai en quittant l'appartement mon trench blanc, mes bottines noires à plateforme et mon sac à main bleu clair. Les couches se superposent et se complètent les unes les autres afin de composer une tenue classe, ma préférée et celle qui fait de moi la femme forte que je suis.
Peut-être est-ce naïf de penser que de simples tissus peuvent avoir un tel effet, mais c'est pourtant vrai. J'ai toujours l'impression d'être la meilleure version de moi-même lorsque je suis correctement apprêtée alors qu'être en pyjama tend à me faire croire que je n'ai rien d'exceptionnel. Je travaille cependant à ne plus penser ainsi, j'essaie de garder en tête que même lorsque je suis au plus bas, je reste exceptionnelle. Parce que chaque être humain est unique, parce que chaque être humain aura une vision différente et des pensées différentes des autres, parce qu'aucun être humain ne se ressemble.
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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
RomanceLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...