Chapitre 2.2 - Mary

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— Je me souviens de ce jour comme si c'était hier. C'était le premier jour de cours. Nous étions si jeunes, si innocentes. C'était un nouvel établissement pour nous deux. On ne connaissait pas grand monde à part ceux qui venaient de la même primary school* que nous.

Je me tais, incapable de me souvenir de quoi que ce soit. J'aurais aimé, mais rien ne remonte à la surface. Pas encore. Peut-être un jour. Cela fait dix ans que j'ai eu mon accident, dix ans que je ne me souviens plus de rien après mes dix ans. Sept ans de ma vie volatilisés depuis mon amnésie. J'ai eu beau me reconstruire aux États-Unis puis à Glasgow, ça ne change rien. Une partie de moi n'a pas envie de découvrir la violence de la vérité, mais l'autre est si curieuse d'en savoir plus. Mes parents m'ont dit ce qu'il m'était arrivé durant toutes ces années, et ce n'était pas beau à entendre. Quelque part, c'est mieux que je ne m'en souvienne pas, cela rend les choses plus faciles. Mais en même temps, cela signifie que je ne me rappelle pas des beaux moments que j'ai pu partager avec ma famille ou avec Aedlin. J'aimerais me remémorer ça, au moins. Mais en dix ans, rien ne m'est revenu, pas la moindre bribe.

— On était différentes. Tu étais plutôt timide et moi... j'étais moi.

Nous nous mettons à rire. Aedlin est indéfinissable, elle est géniale, gentille, parfaite. C'est la meilleure amie dont on peut rêver, celle qui coche toutes les cases. Le genre qu'on aurait aimé épouser dans une autre vie. Mais cet avantage, je le laisse au bel homme qu'elle mérite de rencontrer un jour.

— Dès la première heure, on a été mises à côté en classe. Et on sait tous à quel point la première journée est ennuyante alors je m'amusais à te voler tes affaires les unes après les autres. Tu ne disais rien et j'ai fini par arrêter parce que t'étais encore plus ennuyeuse que les conneries qu'on nous racontait. On nous parlait déjà du GCSE*, alors qu'on avait encore cinq ans devant nous.

— Autant dire l'éternité, quand tu as onze ans.

— Exactement. Bref, j'ai abandonné l'idée de t'emmerder et soudain, tu as attrapé mon seul crayon. Tu as éclaté de rire, tu t'es fait remarquer par la proviseur qui était en train de nous raconter son charabia, et on a fini dans son bureau.

— Le premier jour de classe ? m'étonné-je. Effectivement, ce n'est pas tout à fait mon genre. Cela dit, je ne sais pas vraiment qui j'étais, à cette époque.

— On a eu de la chance, la proviseure connaissait tes parents et a décidé de ne rien faire. Mais on a dû faire plus attention par la suite. On est restées à côté en classe et au fur et à mesure, on est devenues amies. C'était difficile au début, tu étais toujours renfermée, mais personne ne pouvait me résister, même à l'époque.

Sur ces derniers mots, elle m'offre un clin d'œil qui me fait éclater de rire.

— Voilà comment on est devenues inséparables. On passait notre vie ensemble. Quand on était pas en cours, on était chez l'une ou l'autre. Il n'y a que quand tu...

Soudain, Aedlin se tait et secoue la tête. Elle pince les lèvres et se concentre sur la route, agissant comme si elle n'avait pas entamé une phrase sans terminer celle-ci.

— Aedlin ? "Il n'y a que quand je" quoi ? Tu n'as pas fini ta phrase.

— C'est mieux que tu ne le saches pas.

Le silence devient lourd dans la voiture alors que ma curiosité souhaiterait en savoir plus. Néanmoins, si elle pense que je ne devrais pas, c'est qu'elle a raison. Je vais devoir travailler là-dessus, en fréquentant Aedlin tous les jours, il est évident que cette situation est amenée à se répéter.

Je n'ai pas le temps de réfléchir plus que déjà, nous arrivons à Regent Street. Les anges sont suspendus au-dessus de mes yeux, gracieux et encore plus impressionnants que ceux que j'ai vu sur Internet au fil des années. Les photos étaient loin de représenter la réalité. Ils sont majestueux, exceptionnels. Le doré se mélange à l'argenté pour former à la perfection les décorations qui brillent de mille feux. La rue entière est décorée, rien n'est laissé au hasard, pas même les magasins qui ont tous revêtu des guirlandes tandis que les trottoirs sont décorés de sapins remplis de boules.

— C'est plus beau que dans mes souvenirs, affirmé-je alors que nous atteignons le bout de la rue.

— Ce n'était pas les mêmes, il y a quinze ans, il me semble.

Je secoue la tête. C'est en effet la première fois que je les découvre de mes propres yeux. À l'époque, c'était loin d'être si beau.

— Tu te souviens qu'une année, c'était de pauvres petits sapins accrochés dans les airs ? se marre-t-elle.

— C'est exactement ce à quoi je pensais. C'est l'une des dernières que j'ai passé à Londres, peut-être même la dernière.

— Il faudrait regarder des archives pour le savoir.

Je hausse les épaules.

— Il y a sans doute plus intéressant à découvrir. En tout cas, cette année, ils ont fait fort.

— Je n'habite pas loin. Tu pourras venir te promener ici pour les observer autant que tu voudras.

— Cool. Je crois que je pourrais passer des heures la tête en l'air juste pour les regarder.

— Tu pourras.

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant