Pour finaliser la décoration de mon appartement, je rajoute ici et là des objets qui rappellent le thème général, que ce soit des minis sapins, des couronnes, des boules ou encore des guirlandes qui s'enroulent et s'accrochent là où c'est possible. Une fois que tout est terminé, les derniers détails ajustés, j'attrape mon portable et prends quelques clichés avant d'ouvrir Instagram. Je fais un post de plusieurs slides et ajoute une description.
@ml_benn : Santa's coming !
Le Père Noël arrive.
Je clique sur le bouton et publie mes photos. Je vérifie que mon post n'est pas victime d'un bug puis ferme l'application une fois ceci fait.
J'observe autour de moi. Malgré cette ambiance joviale, mon cœur n'est pas apaisé. Je peux faire semblant de sourire, mais rien n'y fait. Je ne suis pas capable d'oublier les jumeaux, je ne suis pas capable d'oublier leur mort. Je ne pense qu'à eux, à Aimee et à John. Je ne pense qu'à leur douleur, à la mienne qui est illégitime. Je secoue la tête alors que je devrais faire cesser cette obsession. C'est la meilleure manière de ne jamais se sentir en paix. Je devrais focaliser mon esprit sur autre chose et honorer leur mémoire ainsi, mais comment faire alors que je n'ai aucune notion de ce qui aurait pu les faire sourire, s'ils avaient un jour vécu.
C'est sans doute le plus douloureux, cette idée qu'ils n'ont même pas pu connaître le monde extérieur, pas même une seconde. Si leurs parents les ont vu à travers les échographies, eux n'ont jamais eu la chance de les voir. Des études disent que lorsqu'on est dans le ventre de notre mère, on entend ceux qui nous parlent, mais à quel point ? Qui me dit qu'ils entendaient déjà ? Je n'ai jamais été enceinte, je ne peux pas savoir à partir de quand leur audition se développe, je sais seulement que Aimee était encore loin de son terme. Elle venait à peine d'entamer le troisième trimestre, il devait lui rester encore trois bons mois.
Je secoue la tête et tente de me distraire en fredonnant la musique de Noël qui passe dans mon casque. Cela ne fonctionne pas vraiment, mais mon téléphone, qui m'indique que mon repas est là, m'oblige à diriger mon attention – momentanément au moins – sur autre chose.
Je descends jusqu'à la rue et aperçois rapidement un homme avec un sac de livraison typique.
— Bonjour, vous êtes là pour la commande ? le questionné-je.
— Oui. Vous êtes Mary Bennett ?
J'acquiesce et récupère le sac qu'il me tend.
— Bonne soirée, me souhaite-t-il.
Je lui retourne la politesse avant de le saluer et de remonter dans mon appartement. Je décide d'appeler Aedlin en FaceTime, c'est la seule personne qui peut me faire sourire à cet instant présent. C'est normalement Aimee que j'appelle, mais cette fois, cela empirerait seulement la situation. Ni elle ni moi ne sommes prêtes à discuter ensemble, de quoi parlerions-nous si ce n'est des jumeaux ?
Je trouve le contact de Aedlin et clique sur l'icône de la caméra. Mon téléphone sonne jusqu'à ce que mon écran affiche qu'elle est indisponible. Je soupire. J'aurais dû me douter qu'elle ne me répondrait pas un samedi soir à vingt heures. Il n'est pas tard, mais il est probable qu'elle soit déjà en train de faire la fête.
La concernée me cloue cependant le bec lorsque sa photo apparaît sur l'appareil. Je décroche immédiatement et découvre mon amie à moitié maquillée.
— Salut ! lance-t-elle avec un grand sourire. Pardon, j'étais occupée... Enfin, ça se voit. J'avais la musique à fond, j'ai pas entendu.
— T'inquiète. Tu n'étais pas obligée de me rappeler.
— Tu es mon amie, évidemment que je vais te rappeler. Mais pourquoi tu as essayé de me contacter ?
— Pour rien, je m'ennuyais. Je me suis dis que ça me ferait du bien de discuter avec toi.
— Ah... Tu penses à eux ?
Aedlin sait tout de ce qu'il s'est passé. Ce n'était pas nécessairement prévu, mais je ne suis apparemment pas la plus discrète pour pleurer puisqu'elle l'a rapidement remarqué et m'a suggéré de lui en parler. Ça m'a fait du bien sur le coup, mais le poids dans ma poitrine d'avoir des sentiments illégitimes s'est alourdi.
— Oui. J'ai peur pour demain. Justement, en fait j'espérais t'utiliser pour arrêter de penser, tu crois que c'est faisable ?
— Carrément. Je peux te raconter ma vie ? J'ai de belles anecdotes.
J'acquiesce en sortant mon poké bowl du sac en papier ramené par le livreur quelques minutes plus tôt. Je trouve au fond de celui-ci des baguettes en bois, une serviette et une bouteille de boisson à l'aloe vera. Je l'ouvre et en bois une gorgée avant de séparer mes baguettes et de retirer le couvercle en plastique de mon plat. Je relève la tête pour faire de nouveau face à Aedlin qui part déjà dans une description détaillée des péripéties de sa journée. Déjà, j'avale ma première bouchée.
— J'ai reçu un mail et comme d'habitude, je l'ouvre sans avoir d'a priori. Je reçois beaucoup de conneries, mais j'essaie de rester toujours le plus professionnel possible. Sauf que cette fois, ce mail était surréaliste. C'était un mec qui me faisait du mansplaining* parce que j'avais récemment dit dans une de mes dernières vidéos TikTok que je voulais lancer un vide-grenier et que j'avais fait pas mal de recherches pour l'organiser. Mon but était plutôt cool : faire de l'écologie tout en rencontrant mes abonnés, discuter avec eux... Enfin, tu vois.
Elle fait une pause et souffle.
— Mais bien entendu, il a fallu qu'un cinquantenaire vienne commenter pour m'expliquer comment améliorer mes vidéos, et que mon vide-grenier n'était pas une très bonne idée. Je ne vais pas te donner ses arguments, parce qu'ils ne tenaient franchement pas la route.
— Encore un mec qui pense t'apprendre des choses.
— Comme si c'était lui qui avait des millions d'abonnés. Laisse-moi rire. Je ne vais pas aller t'expliquer comment faire ton boulot d'avocate, pourquoi il vient me raconter comment devenir une meilleure influenceuse ?
— Aaah, les hommes, me moqué-je. Leur taux de testostérone élevé doit leur monter au cerveau, je ne vois que ça. J'espère que tu ne lui as pas répondu.
Elle se marre.
— Mieux que ça. Je lui ai dit d'aller se faire foutre.
Alors que j'avais du riz et de l'avocat dans la bouche, je m'étouffe. Aedlin s'inquiète, mais après une gorgée de ma boisson, je vais déjà mieux.
— Tu ne lui as pas dis comme ça, j'espère.
— Mais non. Plutôt du genre "Je vous remercie pour vos conseils, cependant ma position d'experte en influence me pousse à vous informer que ceux-ci ne seront pas appliqués."
J'éclate de rire.
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* Jeu de mot anglais mariant les mots 'man" ("homme") et "explaining" ("expliquer") pour former l'abréviation "explication de l'homme" qui est utilisé par les femmes notamment pour parler des hommes qui expliquent comme s'ils étaient les seuls à savoir. Souvent, il s'agit d'hommes moins voire pas du tout qualifié qui vont expliquer à une femme quelque chose que celle-ci connaît parfaitement.

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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
Roman d'amourLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...