Officiellement, je ne lui mens pas. Cayden a des preuves suffisantes pour prouver son innocence, et il n'est pour le moment pas considéré comme un criminel aux yeux de la loi, seulement un accusé. Je sais qu'il est innocent, je le vois dans ses yeux. Les coupables ont un comportement et un regard différent, c'est léger et nous devons être un nombre limité à le remarquer, mais je ne me trompe jamais. Cayden regrette ses actions, alors même qu'il n'était pas en mesure d'éviter sa condition, il est lui-même victime de son cerveau, de son propre corps.
— Alors s'il te rend heureux, c'est le principal. Mais appelle-moi si jamais il ose te faire du mal, c'est clair ?
— Papa, je suis une adulte, tu sais, me marré-je alors qu'il agit presque comme un papa-poule.
— Je sais, mais je ne cesserai jamais de m'inquiéter pour ma petite chérie. Tu es et restera toujours mon bébé. Je me souviens encore de quand tu étais minuscule, tu faisais la taille de mon avant-bras.
Une pointe de nostalgie s'invite dans sa voix, une douceur à écouter.
— Je serai toujours ta petite chérie, mais plus trop petite quand même.
Il rit et nous partageons un moment père-fille que j'aime tant. Ils sont moins nombreux depuis quelque temps, le boulot s'intensifiant de mon côté avec la peur de mettre la clef sous la porte, mais lorsque nous avons un moment pour discuter, je me souviens pourquoi je l'aime tant, pourquoi j'ai tant de chance de l'avoir dans ma vie.
— Je sais.
Il fait une pause.
— En tout cas, il te rend heureuse et il te fait profiter de ton séjour à Londres. Je ne peux pas t'encourager à rester, mais ne perds pas cette chance de connaître l'amour, il n'est jamais bien loin. Tu sais ce qu'on dit...
— L'amour arrive lorsqu'on s'y attend le moins, je sais ! C'est pour ça que je laisse le temps mener la barque de notre relation. Je ne pousse pas les choses, je les laisse faire comme elles viennent. L'avenir seul nous dira de quoi il est constitué. Pour le moment, je profite simplement. Et ça me fait sincèrement du bien.
— Je suis content pour toi.
Une voix que je reconnais être celle de ma mère résonne en arrière-plan.
— Oh, reprend mon père. Ta mère a fait à manger, je vais devoir te laisser. Je te dis au plus vite pour Noël. Ne l'appelle pas d'ici-là, je ne sais pas comment elle va réagir.
— Mal, probablement, soupiré-je.
— Sans doute. Bisous, je t'aime.
— Je t'aime. À bientôt.
À peine ai-je eu le temps de prononcer ces derniers mots que déjà, la communication prend fin. Mon ventre gargouillant me rappelle à la réalité et je ne réfléchis pas plus longtemps avant de me diriger jusqu'à la cuisine où Aedlin est déjà.
— Salut, toi, me lance-t-elle. Tu as passé une bonne journée ? Je ne te vois presque plus dans le coin ! Ce n'est qu'une question de temps avant que tu ne découches, j'ai tort ?
Je me marre.
— On est allés au Winter Wonderland, c'était vraiment sympa. Je l'aime bien, on ne se prend pas trop la tête.
Une voix intérieure me chuchote que, bien au contraire, cette relation tourne en boucle dans mon cerveau parce que je ne sais pas comment me comporter alors que nous vivons loin l'un de l'autre. Mais au fond, ce n'est que mon anxiété qui parle. Je n'ai rien de concret, je m'imagine des choses qui ne sont même pas arrivées, des choses qui n'arriveront sans doute pas. J'oublie le monde qui m'entoure et je plonge dans ce qui me fait souffrir sans raison.
— Ce qui veut dire ? Vous êtes quoi, exactement ?
Bonne question. Je hausse les épaules, incapable de lui répondre. Des amis avec avantages ? Un flirt ? Un couple ? Autre chose ?
— Les relations sur lesquelles tu ne peux pas mettre un nom, c'est jamais très bon. Ne te blesse pas dans l'aventure.
— Je crois que c'est de ma faute, si je ne sais pas le définir. Il est très clair avec moi depuis un moment, mais je n'ose pas.
— Pourquoi ? Tu as peur de quelque chose ?
— Je vis à Glasgow, Aedlin.
— Et alors ? Tu vis en mille neuf cent vingt ou quoi ? Vous avez tous les deux un téléphone. Mieux, un iPhone ! Vous pouvez faire des FaceTime. Je te jure que c'est comme si vous étiez ensemble, mais en mieux.
— En mieux ? me marré-je.
— Vivre avec ton mec, c'est l'horreur. Ça ronfle, ça fait pas le ménage, ça demande à bouffer, ça fout le bordel, ça pue... Franchement, vivre à travers un téléphone avec lui, c'est la plus belle chose qui t'est offerte. Tu as de la chance.
J'éclate de rire. Aedlin est bien du genre à entretenir une relation sans jamais vivre avec la personne. Je la vois bien être voisine de son mec et qu'ils ne décident jamais d'emménager l'un avec l'autre. Elle a besoin de son espace à elle et à elle seule. Si elle partage son appartement avec moi, jamais je ne suis entrée dans sa chambre, c'est comme son jardin secret. Et je suis à peu près certaine que personne ne peut y pénétrer, qu'elle est du genre à aller chez son partenaire plutôt qu'à l'inviter chez elle.
— Ne pas vivre ensemble est une chose, vivre à des centaines de kilomètres l'un de l'autre est différent.
— Glasgow c'est à quoi, quatre heures de train ? Ce n'est pas si terrible. Ça passe vite, vous pourriez vous voir tous les week-end. Tu sautes dans un train après le boulot, t'arrive ici en début de soirée, et tu repars tôt le lundi matin. Tu l'as, ta solution. À toi de l'accepter.
Ce qu'elle dit est tentant, mais elle oublie que nous n'avons pas tous les mêmes moyens qu'elle. Elle oublie que même si, le temps de quelques semaines, j'ai l'impression d'être riche parce que je vis chez elle et ne dépense quasiment rien alors que je suis dans la ville la plus chère du pays. Je n'ai pas les moyens de vivre ici par moi-même, je n'ai même pas la capacité de payer des allers-retours entre Glasgow et Londres toutes les semaines, sans parler de la fatigue qui viendrait avec.
— Si seulement c'était aussi simple.
— L'amour n'est jamais simple, mais il doit être évident. Si tu penses que c'est le bon, pose-toi les questions de ce que tu veux tirer de cette relation, de ce que tu es prête à abandonner, de ce que tu es prête à faire pour que cela marche.
Ses mots vont sans doute tourner en boucle ce soir dans ma tête, lorsque j'essaierai de dormir. Mais elle n'a pas tort. Que suis-je prête à faire pour que cette relation fonctionne ? Tout. Je crois.
— Je vais réfléchir.
Elle m'adresse un sourire qui m'apaise, avant de me tendre une assiette de nourriture terriblement alléchante. Cette femme sait toujours me nourrir quand il faut, à croire qu'elle a un radar.
D'un commun accord, on décide de se poser au salon et de lancer un film pour le visionner ensemble. Ainsi, nous passons la soirée à deux, et j'oublie tous mes tourments. C'est un court instant, ça ne durera pas, mais j'en profite. Je profite de mon amie, de son sourire et de ses commentaires sur le film qui me font éclater de rire.
Et je me promets qu'un jour, nous pourrons rire ensemble de notre passé commun.
Parce que je retrouverai la mémoire, j'en fais serment.

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The Tulips Between Us [EN PAUSE]
RomanceLors d'une soirée un peu trop arrosée, Cayden commet un vol à l'étalage... de guirlandes de noël ! Médecin de renom à londres, il ne peut pas se permettre d'avoir un casier judiciaire. Pour être certain de gagner cet affaire, il fait appel à Mary Be...