Chapitre 31.3 - Mary

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De nouveau, mon père soupire, mais semble enfin comprendre que je ne plierai pas. Hors de question que je fasse huit heures aller-retour de train pour les accueillir chez moi alors que nous sommes tous à Londres. Si c'était l'inverse, s'ils vivaient à Glasgow, je n'aurais pas hésité un instant pour faire la route, mais je ne la ferais pas sans raison. Ils vont trop loin.

— D'accord. Je vais voir ce qui est possible. J'ai plusieurs amis qui ont des restaurants, avec un peu de chance je trouverai une table chez l'un d'eux.

— Cool. Et tu en profiteras pour dire à maman qu'on va parler de mon passé. Je ne vous laisse pas le choix. Je veux savoir, je veux que vous fassiez partie de mon chemin pour recouvrer la mémoire. C'est mon choix, et il est parfaitement réfléchi. Je sais ce qu'il m'attend.

— Non, tu ne sais pas, répond-il du tac au tac, sa voix tremblante.

— Si. Je sais que je souffrais assez pour avoir essayé de mettre fin à mes jours. Seulement, j'en suis ressortie avec la mémoire perdue.

— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes, ma chérie ? Qui t'as mis ça dans la tête ?

— On se fiche de ça, papa. Rien ne peut être pire que le suicide. Alors je suis prête à faire face, même au pire. Donne-moi une chance.

Il ne répond pas immédiatement, mais je peux entendre d'ici ses méninges tourner à mille à l'heure pour trouver un argument.

— Ta mère ne voudra jamais.

— Tant mieux, elle n'est pas la seule à savoir. Tu peux m'en parler, toi aussi.

J'ai toujours remarqué à quel point maman semblait le contrôler, comme si leur couple n'était pas une relation entre deux humains égaux, qu'elle était au-dessus de lui. J'ai toujours vu mon père s'écraser par amour pour sa femme, sans que quoi que ce soit ne compte plus. Mes parents m'aiment du plus profond de mon cœur, mais si ma mère me refuse quelque chose, il est inutile de demander à mon père en seconde option, il refusera de la même manière. Et s'il a eu le malheur de me dire oui contre la volonté de ma mère, alors il reviendra sur sa décision. C'est toujours la même chose et c'est l'une des choses qui me détruit le plus, avec le fait de ne rien savoir sur mon passé. Elle a beau m'en refuser l'accès, prétendant me protéger, j'ai simplement l'impression d'être emprisonnée.

— Non, je ne peux pas. Je suis désolée, ma chérie. Je t'enverrai un message quand j'aurais trouvé un restaurant.

— Tu sais que ça ne plaira pas à maman, ça non plus.

— Oui, mais je sais aussi qu'elle regrettera si tu ne fêtes pas Noël avec nous, d'une manière ou d'une autre. S'il faut faire un picnic au St James's Park, on le fera. Je te promets qu'on trouvera une solution, quoi qu'il arrive.

— Si seulement tu pouvais avoir le même discours pour ma mémoire, soupiré-je.

— Tu sais que ce n'est pas aussi simple.

— Rien n'est jamais simple avec maman.

— Elle en souffre beaucoup. Elle ne sera jamais capable de passer à autre chose. Tous les jours, sans exception, elle me parle de ton accident, elle s'en veut de n'avoir rien pu faire pour toi. Je crois que si elle te protège autant, ce n'est pas tant pour toi, mais surtout parce qu'elle n'est pas prête à voir son enfant souffrir une nouvelle fois. Elle veut te voir heureuse.

Soudain, je comprends à quel point j'ai été égoïste à tenter de les forcer à m'en dire plus. J'oublie que même si je suis la principale concernée, je suis loin d'être la seule. J'oublie que cet accident a eu un impact bien plus grand que celui d'atteindre ma mémoire. J'oublie que j'aurais pu mourir, ce jour-là, et que ça a pu détruire mes parents, alors qu'ils n'étaient pas sûrs que je me réveillerais un jour. Mon coma n'a pas duré longtemps, mais ça n'a pas rassuré mes parents. J'ai tellement envie de connaître tout mon passé que j'en ai oublié les sentiments des autres, la douleur créée par le simple fait d'aborder l'événement.

— Je suis désolée, je ne m'en étais pas rendue compte. Je vais me débrouiller, je te promets que je ne vous demanderai plus jamais de m'aider à recouvrer la mémoire.

Et pour Aedlin, je ferai de même. Maintenant que je le comprends, il est hors de question que je lui demande de replonger dans un passé qui peut être aussi douloureux pour elle que pour mes parents. Elle était ma meilleure amie, qui me dit qu'elle n'en sait pas encore plus qu'eux ? Qui me dit que cette discussion ne l'atteindrait pas encore plus ?

Je secoue la tête, me détestant d'avoir imposé mes envies aux autres sans jamais penser à leurs ressentis lorsque le sujet est abordé. C'est injuste pour eux, ils ont souffert aussi, toutes ces années. Mes parents m'ont épaulé de A à Z, même lorsque j'étais complètement perdue, lorsque je ne comprenais pas ce qu'étaient mes objectifs de vie. Aedlin n'était plus là, sans même le vouloir, j'ai brisé notre amitié avec cet accident, je suis partie à des milliers de kilomètres sans lui donner la moindre nouvelle, sans même savoir qui elle était.

— Je suis content que tu m'écoutes. Je te promets que ça ira. Reste loin de ces souvenirs, protège-toi. Tu mérites une meilleure vie et tu n'as pas besoin que ton passé vienne assombrir tout ce que tu as accompli.

Difficilement, je souris. Les émotions en moi se combattant, positives et négatives se font front, j'ai envie d'être apaisée par ce qu'il me dit, de m'en contenter, mais rien n'y fait. J'ai besoin de connaître mon passé, j'ai besoin de savoir qui j'étais, ce que j'ai vécu de si difficile. Je veux me souvenir de tout, ne pas être ménagée. Je n'impliquerai plus mes proches à présent que j'ai conscience qu'ils peuvent, eux aussi, ressentir de la douleur même s'ils ne sont pas directement concernés, mais je ne m'empêcherai pas de me découvrir et je compte bien utiliser l'aide de Cayden pour ça. Après tout, plusieurs de mes flashbacks sont survenus en sa présence, sans doute parce que mon cerveau se sent en confiance auprès de lui, peut-être aussi parce que nous allons un peu partout dans Londres et qu'ayant vécu mon adolescence dans cette même ville, j'imagine que j'ai profité de nombreux moments là-bas. Le Winter Wonderland, la patinoire du Natural History Museum... Ce sont des endroits connus où beaucoup de londoniens se rendent à la période hivernale, j'en ai forcément fait partie.

— Merci papa, tes mots m'aident.

— C'est pour ça que je suis là, ma chérie. Tu voulais me parler d'autre chose ? Je suis tout à toi.

Mes lèvres s'étirent, sincèrement cette fois. Voilà mon père, celui que je connais, celui qui me soutient et qui n'oublie jamais de me rappeler sa présence. Parfois, je lui en veux de ne pas aller dans mon sens, de me refuser des choses comme si j'étais une gamine, puis je me souviens que moi, au moins, j'ai mon père, qu'il n'a jamais abandonné ma mère ni moi, qu'il s'est cassé le cul toute sa vie pour assurer à notre famille une vie confortable et l'avenir que je voulais. Je n'ai jamais manqué de rien, et c'est grâce à lui et ma mère.

Nous sommes dans un monde où il n'est pas honteux d'être un père absent, où c'est parfois même encouragé, parce qu'on considère qu'un père n'a pas à honorer ses engagements parentaux sous prétexte qu'il n'est pas celui qui a eu le malheur de tomber enceinte, parce qu'il n'est pas celui qui doit se responsabiliser de la contraception. Et moi, parmi toutes ces personnes qui n'ont pas eu de figure paternelle, j'ai eu la chance de l'avoir, présent autant physiquement que mentalement. Il est toujours là, peu importe quand j'en ai besoin, bien plus que ma mère même si je ne doute pas que celle-ci m'aime, elle a seulement une manière différente de le montrer.

— Je vais bien. En fait, je vais tellement bien. Tu sais que j'ai tendance à me noyer dans le boulot et à oublier de vivre, mais ce voyage à Londres m'aide beaucoup. Vivre avec ma meilleure amie me pousse à m'amuser et à prendre du temps pour rire et sortir.

— Tu ne venais pas pour le travail, justement ?

— Si, mais je suis tombée sur le client le plus adorable que tu puisses connaître. Il est vraiment gentil, on a le même âge.

Je ne peux m'empêcher d'être heureuse, de me sentir apaisée en prononçant ces mots. J'ai toujours caché à mes parents mes relations, mais le faire aujourd'hui me fait un bien fou.

— Pour être honnête, il est devenu plus qu'un client... Il m'a aidé quand j'en ai eu besoin, et je crois que je l'apprécie beaucoup.

— Tu devrais faire attention, il reste ton client. Ce n'est pas un criminel, quand même ?

Je me tais, les yeux arrondis. Je ne peux pas lui expliquer la situation de Cayden, parce que ce serait violer l'accord de confidentialité du contrat, mais aussi parce que mon père flipperait de savoir la vérité.

— Non, ne t'en fais pas.

The Tulips Between Us [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant