Chapitre 1

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 Le vent siffle à mes oreilles tandis que je tombe, et tombe, et tombe. Des tuyaux et des fils apparaissent par éclairs dans le halo de ma lampe frontale, aussitôt ravalés par l'obscurité.

Décidément, le Crédit Spatial Midas me porte la poisse. C'est la deuxième fois que je tente de le cambrioler, et la deuxième fois que je me retrouve au bord de la mort.

— Stopppppp !!!!! hurlé-je.

Le câble crisse. Mon harnais s'enfonce dans mes côtes ; le choc me coupe le souffle et ma vision se brouille. Au moins, je ne tombe plus.

Cass ?  fait une voix dans mon oreillette-celle de Ross. Cass, tu vas bien ?

Son ton est calme, mais je perçois sa panique comme si c'était la mienne. Lentement, mon cœur ralentit et je retrouve la vue.

— Mais qu'est-ce que t'as foutu ? pesté-je.

Le jeune homme se trouve une centaine de mètres au-dessus de moi, aux commandes du dérouleur électronique dont ma vie dépend en cet instant.

Mauvais bouton. Désolé.

— T'es pas possible.

T'es pas morte, si ?

Il a pas tord, intervient une seconde voix.

— Reste en dehors de ça, Ty.

Vous seriez jamais arrivés jusqu'ici sans mon aide ! proteste-t-il.

Il a raison, même si je ne compte pas l'admettre. Tyler a piraté le système de sécurité de la banque, nous permettant d'atteindre sans nous faire repérer le conduit où je me trouve. Long de près de trois-cent-mètres, celui-ci permet le passage des milliers de câbles électriques nécessaires au fonctionnement du CSM. Les transactions monétaires les plus importantes de la galaxie transitent en ce moment même tout autour de moi.

— Recommence à me descendre. Doucement.

Toujours à donner des ordres, hein ?

Tout mon corps se crispe quand j'entends le dérouleur se remettre en marche ; mais cette fois-ci, la vitesse demeure raisonnable. Je reste tendue : chaque grincement me semble présager une nouvelle chute. Le sang tambourine à mes tempes, assourdissant.

Une voix me souffle que ce n'est pas le vide que je devrais craindre, mais les parois qui m'entourent-proches, obscures, prêtes à se refermer sur moi. Pourtant, la peur ne vient pas. Pas avec l'adrénaline qui court dans mes veines, avec la voix de Ross dans mon oreille et dans ma tête, avec la certitude que Thétis est morte et que je n'ai plus à me soucier d'Akhilleús.

Il fait froid dans le conduit. Glacial, même. Je voudrais serrer autour de moi les pans de mon blouson en cuir, mais le harnais m'en empêche. Je suppose que la température s'explique par l'abondance des fils électriques, par la nécessité de prévenir une surchauffe. Après tout, aucun être vivant n'est censé se trouver ici. J'ai déjà de la chance d'avoir de l'oxygène.

— C'est ici qu'on s'est rencontrés pour la première fois, soufflé-je à Ross. Tu te souviens ?

Bien sûr. Tu te vidais de ton sang sur le sol.

— Par ta faute ! N'empêche. Tu trouves pas ça super romantique, de revenir ?

Tellement romantique. Franchement, les chandelles sont surestimées. Les lampes frontales créent une ambiance bien plus agréable.

Je suis toujours là, pour rappel, intervient Tyler.

J'aurais préféré ne pas avoir à l'impliquer. Pas seulement parce qu'il m'énerve. Cette mission n'a rien d'officiel, et le jeune hacker risque d'avoir des problèmes avec l'Organisation-c'est pour ça que j'ai préféré laisser Vywyan à l'écart, même si je sais qu'elle m'en voudra.

Mais Ty...impossible de faire ça sans lui. Ses talents sont indispensables.

Encore une fois, hors de question de le lui avouer.

Je finis par atteindre le fond du conduit. J'atterris maladroitement, déstabilisée par ma longue descente. Mes bottes claquent sur la plateforme métallique, un son qui résonne encore et encore au-dessus de moi.

Cass ? C'est quoi ce bruit ? s'inquiète Ross.

Je compose un album de percussions.

La discrétion, tu connais ?

Tout art a besoin d'un public.

Sérieusement...

Je gère. C'est moi la criminelle, ici, tu te souviens ?

Je ne le vois pas, mais je sais qu'il lève les yeux au ciel. Un sourire étire mes lèvres tandis que Tyler marmonne une protestation inaudible.

Je demande à Ross de me donner du mou, puis, quand le câble s'est détendu, m'avance vers le centre de la plateforme. Je pose mon sac à dos à terre et en tire mon matériel. D'abord une paire de lunettes et de gants protecteurs, que j'enfile sans attendre. Puis un appareil biscornu, bricolé pour l'occasion par une mécano surdouée-moi.

Il ne paye pas de mine : des morceaux de métal et des fils électriques partent dans tous les sens, sans parler des LED qui clignotent un peu partout sans raison identifiée. Peu importe : j'ai toute confiance en ma création.

J'appuie sur le bouton de mise en marche. L'outil reste inerte.

T'attends quoi, Cass ?

Ne me presse pas. C'est un travail délicat.

Ton truc ne fonctionne pas, c'est ça ?

Ce n'est pas un truc, c'est une scie-laser améliorée. Et cesse de mettre mes compétences en doute. Je te rappelle que j'ai grandi au-dessus d'un gara...

L'appareil tressaute soudain dans mes mains. Les LED s'affolent, et un fin rayon rouge perce l'obscurité. Dès qu'il rencontre le métal, celui-ci se met à fumer. Avec un sourire triomphant, je commence à me tracer un passage.

— Ça marche ! Je vous l'avais dit !

À peine ces mots sont-ils sortis de ma bouche que la scie se met à chauffer entre mes doigts. Une odeur de brûlé envahit le conduit, et je ne crois pas qu'elle provienne du sol que je suis en train de découper. Je jette un coup d'œil à mes gants et constate qu'ils ont commencé à fondre.

Si je continue, je vais me brûler la peau. Le tissu risque d'y adhérer.

Pendant un instant, je m'imagine continuer quand même. Je peux supporter la douleur. Mais soudain, je me retrouve dans une autre salle, à peine deux semaines plus tôt. Je vois les yeux fous de Thétis, ses cheveux qui s'enflamment, sa bouche qui reste close alors même que son corps tombe en cendres. Je perçois de nouveau la puanteur de la chair qui se consume.

Je m'empresse d'éteindre la machine et de la poser au sol, puis je jette mes gants loin de moi. Il fait considérablement plus chaud, tout à coup.

Ça avance ? demande Tyler.

J'observe le cercle à moitié découpé à mes pieds. Les bords en fusion luisent dans l'obscurité. Peut-être que si je me jette dessus, le sol fragilisé cédera ? Non. Le métal est trop épais, et je suis trop légère.

Mais peut-être que...

Cass ?

— On a un petit problème, mais ne vous inquiétez pas. J'ai un plan.

Tu sais quoi ? réplique Ross. Je crois que ton plan m'inquiète plus que notre « petit problème ».

Trop concentrée pour rétorquer, je me penche sur la scie-laser. Elle a eu le temps de refroidir, et je peux la manipuler sans problèmes. Je passe quelques secondes à essayer de faire tourner une vis avec mon ongle, puis renonce et fracasse l'appareil sur le sol. Le claquement métallique se répercute sans fin dans le conduit ; je plaque mes mains sur mes oreilles avec une grimace.

C'est une victoire désagréable, mais une victoire tout de même : l'outil s'ouvre comme une coquille de noix, révélant de précieux composés électroniques.

Qu'est-ce que tu fabriques ?! peste Ross.

Je souris.

— Une bombe.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant