Chapitre 20

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Les gardiens n'ont pas encore commencé leur décompte et déjà, Vywyan et Ross se sont introduits dans la cantine. À travers les yeux de mon coéquipier, je les vois s'avancer vers une porte métallique située à côté du comptoir. Un petit lecteur d'empreintes digitales y est incrusté.

Tyler ? Porte.

Tout de suite.

Dans sa chambre, le hacker tape une série de chiffres ; dans le réfectoire désert, la porte coulisse, révélant une cabine d'ascenseur. 

Le crâne soudain en feu, je me retire précipitamment dans mon esprit. Cette fois, je parviens à me rattraper sans l'aide de Rémond. Cela ne l'empêche pas de hausser un sourcil moqueur. Visiblement, me voir peiner le divertit.

Cass ! s'exclame Ross dans ma tête. Cass, tu vas bien ?

Arrête. On dirait Vywyan.

Tu as failli tomber. Je l'ai senti.

Je voulais tester la solidité du sol.

Je n'écoute pas sa réponse, distraite par deux détenues que je viens de repérer à l'écart des autres. Madlyn murmure quelque chose à l'oreille de Jane, mais c'est moi que celle-ci fixe. Un demi-sourire étire ses lèvres, et il a quelque chose d'approbateur. Comme si elle savait que j'étais à l'origine de ce chaos.

On dirait qu'elle me connaît déjà bien.

Je remarque alors, non loin des deux criminelles, le petit groupe d'hommes-loups. Médor, dont j'ai oublié le vrai nom, est entouré par trois autres zoonites.

Merlyn Lupus n'est nulle part en vue.

Mon cœur s'affole. Je scrute la foule, en vain.

Peut-être est-il en isolement. Peut-être est-il resté en cellule pour une raison ou pour une autre.

Tyler ? Tu peux jeter un œil aux images de vidéosurveillance ?

J'ai été obligé de déconnecter toutes les caméras pour que Ross et Wy ne se fassent pas repérer, les pare-feu  était trop complexes pour que je prenne le contrôle. Je croyais qu'on s'était mis d'accord là-dessus...

Je grimace. Je pensais qu'on pourrait faire sans, avec mon réseau télépathique. 

Je commence à me dire que j'avais tort.

Cass ? s'affole le jeune homme. Il y a un problème ?

T'inquiète pas. Les problèmes, c'est mon truc.

Je quitte son esprit pour celui de Vywyan. Aussitôt, le volume de l'alarme se fait insupportable. Elle sature les sens félins de mon amie avec une intensité presque douloureuse. Concentrée sur le mouvement de l'ascenseur, sur l'odeur métallique qui y règne, la voyante fait de son mieux pour l'ignorer. 

Wy ? Il va falloir que tu gardes les yeux ouverts.

Je n'avais pas pour projet de les fermer. Qu'est-ce qu'il y a ? Rémond pose problème ?

Pas plus que d'habitude. Mais je crois que Merlyn vous a suivis.

Le choc qu'elle ressent à cette annonce lui fait complètement oublier la sirène. Son cœur s'affole, d'une manière que ni elle ni moi n'arrivons complètement à interpréter. La peur y a un rôle, pourtant-une peur que je ne lui connais pas.

La voir dans cet état me rend furieuse. Je voudrais être avec elle dans la cabine et la prendre dans mes bras. Je voudrais entraîner ce loup dans un coin obscur et m'assurer qu'il ne puisse plus jamais s'approcher d'elle.

Merci pour l'info, se contente-t-elle de répondre.

Avant que je ne puisse ajouter quelque chose, une vague de panique me parvient de l'esprit de Tyler.

Cass, quelqu'un vient de forcer l'ouverture du conduit d'ascenseur. Je peux essayer de réactiver l'une des caméras, mais ça risque de remettre tout le réseau en route. Wy et Ross vont se faire repérer...

Laisse tomber. Je contrôle la situation.

Je sais que tu mens.

Alors fais semblant de me croire.

Je sors de sa tête sans plus d'explications. Moi qui étais heureuse de finalement passer à l'action, qui me pensais prête à affronter les conséquences, je me retrouve au bord de la panique.

Ce n'était pas censé se passer comme ça. Pas du tout. S'il arrive quoi que ce soit à mon amie... 

Je vais rester avec Wy, informé-je Ross. Ne meurs pas.

Pas besoin de plus, on se comprend. Il ne me demande aucune d'explication ; je le quitte sans attendre de réponse, percevant l'approbation qu'il me transmet en silence. Puis je plonge entièrement dans l'esprit de la voyante.

Wy ? Merlyn est dans la cage d'ascenseur. Je sais pas combien de temps il va mettre à vous rattraper.

Je perçois son angoisse comme sa résolution.

Peu importe. On a un plan, on le suit.

Tu pourrais rester avec Ross. Ou bien faire demi-tour.

Merci, mais j'ai pas besoin que ton petit copain me protège. Et je refuse de fuir. Si Merlyn veut me parler, soit. Parlons.

Et s'il n'est pas là pour parler ? S'il cherche à te blesser ?

Je n'ose même pas suggérer pire. Pas pour Vywyan-je sais qu'elle est plus que capable de supporter l'idée.

Pour moi.

Je ne doute jamais de toi et de tes plans bancals, Cass, alors ne doute pas de moi.

Difficile à faire, quand je ressens ses propres incertitudes.

Les portes de l'ascenseur coulissent, mettant en pause notre conversation. 

Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais la cuisine où Vywyan et Ross pénètrent est des plus ordinaires. Une série de fours, une autre de plaques de cuisson. De longs plans de travail métallique. Cinq ou six grosses marmites alignées sous autant de louches. 

A l'exception de l'ascenseur, il n'y aucune issue. Pas de portes, pas de fenêtres. Impossible, pourtant, que l'étage ne soit occupée que par cette unique pièce.

Notre arrivée à Baklang me revient alors en mémoire. Je me souviens des parois lisses du couloir, qui se sont soudain ouvertes pour révéler une entrée cachée.

— Je vais scanner les murs, déclare Ross, qui a visiblement eu la même idée que moi. Il doit y avoir un accès dissimulé quelque part.

— Scanner ?! s'exclame Vywyan.

Mon coéquipier désigne ses yeux avec un sourire en coin.

— Vision bionique.

Je ne peux m'empêcher de repenser à la première fois où il m'en a parlé, dans cette impasse à Trekyon. 

—  Tu vois à travers les vêtements ?

Non, enfin je pourrais, si ça m'intéressait...

Espèce de pervers...

Je ne m'en sers jamais !

Cette réminiscence me ramène à mon propre corps, me tire en arrière comme un aimant. Je lutte de toutes mes forces pour rester dans la tête de Vywyan, m'enfonce plus profondément dans son esprit. 

Trop profondément. Ses pensées s'enroulent autour des miennes et les avalent. Je perds pieds et chute dans sa conscience. Cass Jackson me semble de plus en plus lointaine, de plus en plus étrangère.

Puis elle disparaît complètement.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant