Pour sauver ma peau ? Je peux faire absolument n'importe quoi.
Les mots de Rémond résonnent dans ma tête tandis que j'attends, assise sur le sol de ma cellule, mon index attaquant nerveusement la peau de mon pouce.
Absolument n'importe quoi. Voilà plus ou moins ce dans quoi on s'apprête à se lancer.
Je pensais que j'avais une mauvaise influence sur Tyler ; j'avais tord. Il n'a pas besoin de moi pour se mettre en danger. Le plan qu'il a imaginé est dix fois plus risqué que tout ce à quoi j'aurais pu penser. J'ai apporté ma touche, bien sûr, mais l'idée principale est de lui.
Si ça tourne mal, j'aurais quelqu'un sur qui rejeter la faute.
— Ils ne devraient plus tarder, lance Vywyan, plus à elle-même qu'à moi.
Nous sommes toutes les deux sur les nerfs. Quoi de plus normal ? Le moment de notre évasion est arrivé, et il a été organisé en quelques jours à peine.
Je n'ai pas de montre, mais il doit être au moins 23h30, à présent. Nos complices devraient déjà être là pour nous faire sortir. Qu'est-ce qui leur prend autant de temps ?
— Tu ne veux vraiment pas savoir ce qu'elle m'a dit ?
Je serre les dents et secoue la tête. Mon amie ne cesse de revenir à la charge avec cette proposition. Et si une part de moi brûle d'apprendre ce dont ma mère et elle ont parlé, je refuse à chaque fois. Madlyn m'a rejetée. Je ne suis plus une petite fille, je n'ai pas besoin d'elle, et je ne me ferai pas souffrir avec de faux espoirs pour une femme qui ne veut pas de moi.
Qu'importe si, depuis sa discussion avec Vywyan, j'ai l'impression que quelque chose a changé. Sans aller jusqu'à se montrer cordiale-non, ça, c'est trop lui demander-la Yajtuite semble me détester un peu moins.
— Cass...tu devrais lui donner une chance.
— Lui donner une chance ?! Tu plaisantes ?! Je lui ai déjà donné une chance, et elle m'a traité comme une trace de bave sur sa chaussure.
— Elle est perdue. Elle te croyait morte, tu sais ? Officiellement, Alicia Aebby est décédée à la naissance. C'est ce que les médecins ont dit, ce que Jane pensait aussi...
Les mots de Vywyan me poussent à réfléchir. Comment ai-je fini à Akhilleús ? Se pourrait-il que Thétis ait des contacts dans les maternités, des complices chez les médecins ? L'idée me donne la nausée.
Absorbée par mes pensées, je sursaute quand trois coups légers retentissent à la porte. Le signal.
Tyler s'est arrangé pour pirater les emplois du temps des gardes, et ménager une fenêtre d'une demi-heure où le couloir serait vide. Il s'est aussi procuré tout le matériel dont nous aurions besoin, et en a même bricolé une partie-y compris la fausse clé électronique qu'il utilise en ce moment même pour déverrouiller la cellule.
Je bondis sur mes pieds, le cœur tambourinant. Le battant pivote : de l'autre côté nous attendent Tyler, Ross, Rémond et Madlyn. Le hacker paraît nerveux-pas rassurant, quand on sait tout ce qui repose sur lui. Quant à ma mère, même dans la semi-obscurité du couloir, je peux lire la rancœur dans ses yeux.
Je me détourne, préférant regarder Ross. Ses traits familiers me calment aussitôt.
Oui, on me dit souvent que j'ai un visage très apaisant.
C'est dingue, tous ces gens qui mentent sans scrupules...
Heureusement que tu es là pour leur offrir un exemple d'honnêteté.
Ty me tend un sac à dos noir, et je m'en empare sans un mot. Je sais déjà ce qu'il y a dedans.
— Dès que t'es prête, préviens-moi, me dit-il. Je t'aiderai avec le reste.
— T'es sûr que ton truc va marcher ?
— Euh, oui. Enfin, on ne peut jamais être sûr de rien à cent pour cent. Mais oui. Je veux dire, je vois pas pourquoi ça marcherait pas.
Je grimace.
— Rappelez-moi de ne plus jamais poser cette question.
Je retourne dans la cellule tandis que les autres m'attendent à l'extérieur. Il ne me faut qu'une minute pour me changer. Si une paire de bottes à talons règle le problème de la taille, je reste bien trop maigre pour ce rôle. J'empile plusieurs couches de vêtements par-dessous ceux fournis par le hacker, un rembourrage que j'espère convaincant.
Les mots de Ty me reviennent en mémoire-ceux qu'il a utilisés pour introduire son idée de génie :
— Peu importe ce qu'on veut faire, la méthode la plus facile, c'est toujours d'avoir un allié puissant. Quelqu'un qui peut ouvrir toutes les portes rien qu'avec son visage. Et on connaît la personne parfaite.
Je déglutis et rejoins les autres, m'efforçant de cacher ma nervosité. C'est étrange de les regarder d'aussi haut, après tout ce temps en pantoufles plates.
— Celle à laquelle aucun n'osera s'opposer, et dont on sait avec certitude qu'elle a un rôle d'importance ici, même si on ignore lequel exactement.
Tous détaillent brièvement ma tenue, puis le hacker récupère la clé de notre plan dans un second sac.
C'est la première fois que je vois l'appareil. Il ne paye pas de mine : c'est un étrange assemblage de cercles métalliques et de petits globes transparents, avec quelques fils électriques qui dépassent de manière suspecte. Un holo-masque, censé pouvoir, par projection holographique et jeu de lumières, superposer à un visage celui de n'importe qui d'autre. Tyler l'a bricolé lui-même, à partir de plans volés sur la base de données de l'entreprise high-tech de ses parents, et de matériel récupéré ici et là dans la prison.
Le hacher se penche vers moi, assez grand pour installer l'holo-masque sans difficulté. Il fixe précautionneusement divers attaches, autour de mon crâne et sous mon menton. Bien que léger, le dispositif n'est pas très confortable.
Ce type de technologie n'existe encore qu'à l'état de prototypes, leur développement étant régulièrement ralenti par les inquiétudes et protestations de multiples services de sécurité. Je suppose que dans ce contexte, les accommodations facultatives ont dû passer à la trappe-où peut-être Tyler a-t-il fait l'impasse dessus pour gagner du temps.
Le jeune homme appuie sur un dernier bouton.
— Et voilà, s'écrie-t-il.
Pendant quelques instants, les autres me fixent d'un air perplexe, attendant visiblement quelque chose qui ne vient pas. Le sourire du hacker vacille, et mon cœur sombre dans ma poitrine.
Puis, juste contre mon oreille, quelque chose se met à vrombir-un bruit léger, pas plus fort que le bourdonnement d'un insecte.
Les yeux de mes complices s'écarquillent. Vywyan lâche un "oh" stupéfait, Madlyn laisse échapper un juron. Tyler paraît à la fois très fier et très étonné. Même Rémond semble pris de court, presque médusé.
Quant à Ross...notre lien me transmet un mélange d'émotions étourdissant, entre fascination, colère, dégoût et panique.
— Alors ? demandé-je. C'est convaincant ?
— Oh oui, s'exclame Vywyan.
— Beaucoup trop, souffle mon coéquipier.
Ce n'est qu'un visage, lui glissé-je mentalement. C'est toujours moi en dessous.
Je sais. Mais si tu te voyais, Cass...sérieux, entendre ta voix qui sort de sa bouche...je crois que c'est le truc le plus perturbant qui me soit arrivé.
Je m'enfonce plus profondément dans sa tête, m'observe à travers ses yeux. Et je comprends son malaise. Parce que même si c'est ce qui était prévu, même si c'est nécessaire à notre plan, ça me fait quand même un choc.
Perchée sur des talons de quinze centimètres dans un tailleur d'un blanc impeccable, avec des cheveux de jais et un visage d'une symétrie surnaturelle, je suis le portrait craché de Thétis Grazziano.

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Evasion (Cass-tome 2)
Science Fiction⚠️ Si vous n'avez pas lu le tome 1, n'hésitez pas à aller le retrouver sur montre profil ! Attention, spoilers dans ce résumé... Thétis est morte. Akhilleús a été définitivement détruit. Cass Jackson ne souhaite qu'une chose : tourner la page, et v...