Chapitre 2

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  — N'y pense même pas. Je te remonte.

Parce que c'est toi qui décide, maintenant ?

Je veux pas que tu meurs ! proteste Ross dans mon oreillette.

Moi non plus, intervient Ty. Si quelqu'un s'intéresse à mon avis.

Non, ça ne m'intéresse pas, mais merci. D'ailleurs, il est tant que tu repartes. Ça va bientôt mal tourner et tu ne dois plus être là quand la PI va débarquer.

Si Ross m'a accompagnée à l'intérieur du CSM, le hacker est resté à bord de notre vaisseau-à la fois pour sa sécurité, et parce que c'est là que se trouve son matériel.

Vous pourriez encore avoir besoin de moi. Et ça a déjà mal tourné.

— Non, vas-y, le contredit Ross. Cass a raison.

Mon dieu. Tu peux répéter ?

Pour Ty, pas pour la bombe.

A peine a-t-il dit cela que je sens le câble se tendre dans mon dos. Je m'agite comme une gamine que ses parents arracheraient à une aire de jeu.

— Arrête ça tout de suite, Ross !

Mais il n'arrête rien du tout, et bientôt mes pieds décollent du sol sans que je puisse rien y faire.

Je ne vais pas te laisser te faire exploser.

C'est le sol qui va exploser, pas moi !

Je pense qu'on a tous pu constater la fiabilité de tes bricolages.

Je ravale une réplique et me concentre sur les morceaux de scie qui sont encore entre mes mains. Si Ross croit pouvoir m'arrêter, il se trompe. Je ne laisse personne se mettre en travers de mon chemin-ni mes ennemis, ni mon coéquipier.

Je suis de plus en plus loin de la plateforme. Bientôt, je ne pourrais plus la voir. Mes doigts jouent lestement avec les fils et les bouts de métal. Je me revois, à dix ans, penchée sur un amas de composés électroniques tandis que le Prof m'explique le fonctionnement d'une batterie.

Dans mes mains, toutes les LED s'allume d'un coup. Un vrombissement inattendu s'élève de ma création inachevée.

Je la lâche.

Je suis trop haut pour apercevoir le fond du conduit, à présent, et je ne peux que croiser les doigts quand ma bombe artisanale échappe au champ de ma lampe frontale.

Puis, loin sous mes pieds, j'aperçois un éclair de lumière, mélange aveuglant de blanc et d'orange. En même temps, une vague de chaleur remonte dans le conduit, accompagné d'un bruit assourdissant. Il se répercute encore et encore, comme le roulement d'une centaine de tambours. Tout vibre autour de moi : les murs, les tuyaux et les fils électriques, même le câble qui me retient.  Ça résonne jusque dans mes os.

Petit à petit, le son se transforme en sifflement. Je sais que je suis la seule à pouvoir l'entendre, que mes oreilles sont traumatisées par le choc. Ma vue aussi a souffert : des tâches colorées dansent devant mes yeux, écho de l'explosion.

Je baisse la tête, essayant de me concentrer, de voir si au moins, ça a fonctionné.

Cass ! Cass, tu vas bien ? s'écrie Ross dans mon esprit.

Bien sûr. Descends-moi.

Hors de question. T'as déjà fait assez de dégâts comme ça. Pourquoi t'as pas répondu quand je t'ai appelée dans ton oreillette ?

Je suis sourde. Descends-moi.

Quoi ?!

C'est provisoire. Tu attends quoi ?

Je vais te tuer, sérieusement.

Essaie un peu. Je te tuerai avant.

Je perçois son agacement comme si c'était le mien-je peux presque le sentir lever les yeux au ciel. Pourtant, le mouvement du câble s'inverse et le sol commence à s'approcher. Un sourire étire mes lèvres.

Enfin, le nargué-je en pensée.

La fraicheur de l'air réfrigéré n'est plus qu'un souvenir. Plus je descends, plus la température augmente. Quand enfin les décombres apparaissent dans mon champ de vision, mes cheveux sont plaqués sur mon crâne par la sueur.

De la plateforme métallique sur laquelle je me tenais une minute plus tôt, il ne reste que des rebords tordus et rougis. Au-delà du trou informe qui se dessine sous mes pieds, j'aperçois l'ombre d'un sol en marbre.

Tu es au fond ?

Il n'y a plus de fond. Continue à me descendre.

Si je le prenais aussi mal que toi à chaque fois que tu me donnes un ordre...

Tes ordres sont stupides. Les miens sont légitimes.

Lentement, je passe entre les restes de la plateforme. 

Même plongée dans l'obscurité, la pièce semble vaste. Par-dessous l'odeur du métal brûlé, je perçois un parfum plus agréable-celui de la poussière et des choses anciennes. Le dérouleur m'emmène toujours plus bas, dans un véritable labyrinthe constitué d'immenses étagères.

Elles sont remplies de carnets.

C'est le bon endroit ? me demande Ross.

— Oui, soufflé-je. C'est le bon endroit.

Ce n'est qu'en entendant ma voix que je réalise que le sifflement dans mes oreilles a disparu. J'étais si absorbée par le décors que je ne l'ai pas remarqué.

Mes semelles se posent sans bruit sur le marbre. J'indique à Ross d'arrêter le dérouleur et détache sans attendre le câble de mon harnais. Je m'avance vers les étagères, parcours du regard les reliures. Elles ont l'air anciennes, mais je sais que pour la plupart, ce n'est qu'une illusion.

Nous sommes au cœur du CSM, dans l'une des salles les mieux protégées de l'univers. Et pour cause. Ce qu'elle contient est bien plus précieux que de l'argent ou des bijoux.

Tout autour de moi, à portée de main, se trouvent les secrets les plus dangereux du cosmos. Ceux de riches industriels, de services d'espionnage, de présidents, d'empereurs et de rois. Des informations si confidentielles que leur propriétaire n'a pas voulu prendre le risque de les numériser, préférant les inscrire à la main dans l'un des livres qui m'entourent. Un unique exemplaire, impossible à pirater.

Celui-ou celle-qui réussirait à s'en emparer se retrouverait emprisonné sans attendre.

Et c'est exactement ce que je veux.

Je saisis le carnet le plus proche et cours vers le câble. L'alarme se met à hurler au moment où je le raccroche à mon harnais.

C'est bien celle-là que tu voulais que je laisse activée ? s'inquiète Tyler.

— C'est peut-être un peu tard pour poser la question, tu crois pas ?

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant