Chapitre 26

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 Vywyan et moi finissons allongées l'une contre l'autre sur le sol. J'ai la gorge sèche d'avoir pleuré, ma tête est lourde, et chaque inspiration est douloureuse-je suis presque sûre d'avoir des bleus en forme de main autour du cou. Pourtant, tout mon corps est relâché-j'ai évacué d'un coup la tension de ces derniers jours. A côté de moi, la respiration de la voyante est paisible.

— C'est lui qui m'a offert mon jeu de tarot cosmique, tu sais, me lance-t-elle soudain.

Je tourne la tête pour la regarder, et me retrouve le nez dans ses boucles noires.

— Vraiment ?

— Oui. Les cartes...c'est un truc de loups.

— Laisse-moi deviner. Ils vénèrent la lune...

— Je te rappelle qu'il y a quatre lunes sur Zanko 10.

— Ça change rien. C'est cliché.

— Un peu, admit-elle. Mais c'est très...apaisant.

— Les lunes ?

— Et le tarot. Pas que ça annonce vraiment l'avenir, mais...mélanger les cartes, réfléchir à leur signification...ça aide à faire un point. Sur toi-même, sur ce qui t'arrive.

— Ça ne te fait pas trop penser à Merlyn ?

— Honnêtement ? A chaque fois que je prends mon jeu en main, je le revois mourir. Pourtant...ça ne m'empêche pas de continuer. Au contraire. Ça me rappelle que je peux survivre à tout-au meilleur comme au pire, et même si le pire vient de moi. Quand j'ai...quand je l'ai trahi...je pensais ne plus jamais pouvoir toucher un tarot. Mais les cartes m'ont permis de tenir le coup, de ne pas perdre pied alors que ma vie s'effondrait. Ça peut paraître étrange....

— C'est la chose la moins étrange qui m'est arrivée aujourd'hui.

— Tu sais si Ross a découvert quelque chose ?

— Juste les caisses, il me semble. Il n'a pas pu aller plus loin que le couloir.

— Les caisses...oh, Cass, mais dans quoi on s'est fourrés...

Je ferme les yeux, et revois la scène comme un film sur mes paupières. Les morceaux de chair empilés les uns sur les autres, sanguinolents, bleuis par le froid. Doigts, orteils, chevilles, jambes, bras, mains, oreilles, pieds...

Je rouvre les yeux et prends une brusque inspiration.

— Il faut qu'on enquête encore. Il doit y avoir une raison derrière tout ça. Un lien avec les expériences que j'ai aperçues.

— Merlyn m'a dit que des détenus disparaissaient régulièrement. Il a perdu plusieurs de ses hommes. C'est pour ça qu'il veut s'allier avec nous. Il nous a observés, il sait qu'on est sur une piste et qu'on a un hacker infiltré.

Je ne peux me retenir de frissonner. Des détenus qui disparaissent régulièrement...

Pour servir de cobayes, puis nourrir ceux qui restent ?

— Il pense qu'on peut l'aider à retrouver ses laquais ?

— Oui. Peut-être même à s'évader, même s'il ne l'a pas dit.

— Et tu crois qu'on devrait accepter ?

Elle reste silencieuse un long moment. Je la laisse prendre son temps.

Je ne lui pose pas la question simplement parce que je sais qu'une telle association serait difficile pour elle. Elle connaît Merlyn, et je me fie à son jugement. Même si elle n'est vraisemblablement pas objective à son sujet.

— Je pense qu'on n'a pas le choix, conclut-elle. Si on refuse, il pourrait nous dénoncer. Surtout, il est influent dans la prison, et pas seulement auprès des autres loups. Son gang est redouté. Mais Cass...on doit rester prudents. Il ne sert que ses propres intérêts.

— Et nous ne servons que les nôtres. C'est parfait. Vywyan...il te plaît encore, pas vrai ?

— Quoi ?! Mais qu'est-ce que tu racontes ?

— Oh, arrête. J'étais dans ton esprit, tu te souviens ? N'essaie pas de me mentir.

— J'ai essayé de l'assassiner, Cass ! Aucun couple ne peut se remettre de ça.

— Je ne suis pas en train de te dire de te remettre avec lui ! Il est dangereux, Wy, tu viens toi-même de l'affirmer. Et il n'hésiterait pas à exploiter tes sentiments pour lui.

— Je n'ai aucu...

— Ne le laisse pas te faire de mal. C'est tout ce que je te demande.

Elle garde le silence. Mon cœur cogne dans ma poitrine. Malgré tout ce que je lui ai dit, elle croit toujours mériter la haine et la vengeance de l'homme-loup, je le sais . Et j'ai tellement peur pour elle que ça me rend malade. Je voudrais lui hurler dessus jusqu'à ce qu'elle voit enfin la situation comme je la vois, jusqu'à ce qu'elle comprenne que Merlyn n'a aucun droit de s'en prendre à elle.

Mais mon amie ne m'en laisse pas le temps.

— Et tes mères ? me demande-t-elle. Ça avance ?

Je serre les dents. Je sais que je n'arriverais pas à la convaincre, pourtant je dois mobiliser toute ma volonté pour ne pas relever le changement de sujet.

— Elles m'ont aidée, tout à l'heure. Je pense pouvoir les entraîner dans un plan d'évasion.

— Tu ne comptes pas leur dire qui tu es ?

Cette simple idée suffit à affoler mon rythme cardiaque.

— Je ne veux pas les effrayer avant de les avoir sorties d'ici.

— Et... ?

— Je ne sais pas comment leur dire, avoué-je. J'ai peur de leur réaction. Peur...qu'elles ne veulent pas de moi.

Vywyan reste silencieuse un moment.

— Les parents de Tyler l'ont chassé de chez lui, déclare-t-elle finalement. Mon père est un monstre, et Ross...eh bien, entre sa mère et son clone, je ne pense pas qu'on puisse faire pire.

— Qu'est-ce que t'essaies de me dire ? Que tous les parents sont affreux ?

— Simplement qu'une relation ne se définit pas sur la base du sang. Peut-être que Madlyn et Jane seront heureuses de te retrouver, ou peut-être qu'elles seront horrifiées. Mais quelle que soit leur réaction initiale, c'est ensuite que tout se jouera. Vous n'allez pas former une famille tout à coup, comme par magie, à la suite de ta révélation. Mais vous pourrez en construire une.

Pendant un instant, je crois que je vais me remettre à pleurer.

— Merci, Wy, murmuré-je finalement. C'est un beau discours, venant d'une fille avec un père aussi horrible.

— J'ai tout appris de ma meilleure amie.

— Je suis un modèle pour beaucoup de choses, mais pour les discours sentimentaux, je ne crois pas.

— Tu es extrêmement mauvaise pour ça.

Nous continuons à bavarder, plus légèrement que nous ne l'avons fait depuis bien longtemps. Peu à peu, cependant, l'épuisement me rattrape. Mes pensées se font laborieuses, mes muscles lourds.

La dernière chose que je sens avant que le sommeil ne m'emporte, c'est Vywyan qui me pose une couverture sur les épaules. 

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant