Crocheter les liens de mon clone n'est pas aussi simple que je m'y attendais. Les serrures sont rudimentaires, mais dès que je commence à desserrer l'attache autour de son cou, sa tête bascule en avant, ses muscles trop faibles pour la retenir même si elle était consciente.
En un instant, Ross est à mes côtés. Il maintient la jeune femme en place avec précaution, ses doigts légers sur sa peau.
Je m'attaque aux électrodes, et je sens la rage croître dans ma poitrine. Ils ne sont pas simplement collés sur son crâne nu, non. Ce sont d'épais dispositifs en métal, une moitié accroché à un câble, l'autre incrustée dans la peau et dans l'os. Il me faut plusieurs minutes pour tout dévisser.
Délicatement, Ross la prend dans ses bras, sa tête au creux de son épaule. Dix embouts gris y sont toujours implantés, comme des parasites.
Je croise le regard de mon coéquipier, reconnaissante. Ses yeux gris sont durs, sa mâchoire serrée. Je sais qu'il pense à sa mère. A tout ce qu'il voudrait lui faire.
Nous nous empressons de retourner dans la cuisine, notre point de rendez-vous. Notre mission nous a pris plus longtemps que prévu ; nous revenons avec deux poids morts au lieu d'un ; en bref, notre évasion n'a jamais paru aussi compromise.
La situation empire encore quand je découvre Merlyn et Vywyan en train de se hurler dessus, devant un Tyler au bord du craquage et un Rémond ennuyé. Les autres zoonites ne sont nulle part en vue.
La dispute s'interrompt à notre arrivée, et tous les yeux s'écarquillent.
— Mon dieu, Cass, c'est...balbutie Vywyan. Comment...
— J'expliquerai plus tard. Quel est le problème ? Et pourquoi la moitié de notre équipe a disparu ?
Oh, je n'aurais jamais dû laisser Merlyn et sa bande s'impliquer. Certes, ils nous seront utiles si on en vient à se battre, mais tout de même. Un petit groupe est plus simple à exfiltrer, et ce loup ne m'a donné que des raisons de me méfier depuis notre rencontre. Bon sang, il pourrait aussi bien avoir "danger" écrit sur le front.
— On a pas retrouvé nos amis, répond le zoonite. Makson et les autres sont encore en train de les chercher, je suis venu vous prévenir. Il nous faut plus de temps.
— Impossible, tranché-je. On devrait déjà être dehors. Tes potes sont morts, Lupus, il faut que tu t'y fasses. Va rappeler ceux qu'il te reste, et dépêche-toi.
— Non.
— Ecoute, si tu veux mourir pour eux, très bien. Je passerai mon tour. Alors choisis ton camp. Tu pars avec nous, maintenant, ou tu restes.
— Je reste, déclare-t-il. Je ne les laisserai pas en arrière.
Je dois l'admettre, je suis surprise par sa détermination. Je ne pensais pas qu'il tenait vraiment à ces zoonites-les gangs sont un milieu violent, les vrais amis rares. Mais peut-être ai-je jugé la situation trop vite.
Il soutient mon regard sans hésiter. Il n'est pas en colère, il paraît parfaitement calme. Je sais qu'il comprend mon point de vue ; et je dois l'admettre, je comprends le sien. Si c'était de Ross, de Vywyan ou même de Tyler qu'il s'agissait, je me battrais jusqu'à mon dernier souffle pour les tirer d'ici.
Mais il ne s'agit ni de Ross, ni de Vywyan, ni de Tyler. Ce sont les amis de Merlyn ; c'est son problème à lui. Je ne les connais pas, et je ne pourrais pas moins me soucier d'eux.
Je souris. Ça me vient naturellement, malgré la situation-je suis tellement habituée à faire semblant.
— Dans ce cas, Lupus, adieu. Transmets mes salutations à Médor.
— Non, murmure Vywyan.
Mon cœur sombre dans ma poitrine. Ses yeux brillants de larmes sont rivés sur l'autre zoonite ; je sais ce qu'elle va dire avant même qu'elle n'ouvre la bouche.
— Si tu restes, je reste avec toi.
— Tu ne peux pas rester, m'exclamé-je en même temps que Merlyn.
Je voudrais m'avancer vers mon amie et lui déballer tous mes arguments, mais l'homme-loup me bat à la course.
— Tu ne me dois rien, Vywyan, lui dit-il d'une voix tremblante. Je sais que tu es persuadée du contraire, mais c'est faux. Tu ne me dois rien, et j'aurais dû te le dire bien plus tôt. Alors vas-y. Pars avec tes amis, retourne à ta vie.
D'accord. Je crois que j'ai eu tord de douter de lui.
J'aurais bien aimé le découvrir dans un autre contexte.
La voyante tremble de tous son corps. Elle contemple Merlyn comme si elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle vient d'entendre. Ils sont presque à la même hauteur, tous les deux, leurs yeux plongés dans ceux de l'autre avec une intensité bouleversante.
— Tu...tu veux dire que tu m'as pardonnée ? souffle Wy.
— Je ne peux pas te pardonner. Je ne t'en ai jamais voulu.
— Je ne comprends pas. Je...je pensais que tu me détestais.
Il éclate d'un rire amer, presque désespéré, et quand il répond, sa voix vacille. Je n'imaginais pas le voir un jour aussi vulnérable.
— Te détester ? Je ne pourrais jamais te détester, Vywyan. J'ai essayé, crois-moi. J'ai essayé de toutes mes forces, à chaque seconde et chaque souffle depuis que tu m'as planté ce poignard dans le ventre, et je n'ai jamais réussi. Pas un seul instant. Parce que je suis dingue, complètement dingue de toi, et qu'importe si c'est stupide d'être amoureux d'une fille qui a essayé de te tuer. Tu veux savoir la vérité ? Je t'aimais même ce jour là, après que tu m'aies trahi, pendant que je me vidais de mon sang sur le sol. J'étais en train de crever à cause de toi, et tout ce que je voulais c'était t'embrasser une dernière fois. Alors pars. S'il te plaît, pars. Sois heureuse pour nous deux.
Ils pleurent tous les deux à présent, de véritables torrents qui coulent sur leurs joues. Je crois que moi aussi.
Vywyan ouvre la bouche. La referme. Elle ne sait pas quoi dire. Puis elle se jette à son cou et colle ses lèvres aux siennes, désespérément.
Il leur faut deux bonnes minutes pour se séparer. Et je sais qu'ils ont du temps à rattraper, mais quand même. La situation est quelque peu urgente.
— Je ne peux pas être heureuse sans toi, lui murmure-t-elle. Désolée, mais je ne peux pas.
— Vywyan...
Elle lui pose un doit sur la bouche.
— N'essaie même pas de me convaincre. Tu restes, je reste.
Le zoonite secoue la tête. Avec un effort visible, il s'écarte d'elle pour se tourner vers moi, toute son arrogance soudain oubliée.
— Dis-lui de partir avec toi, Jackson, me supplie-t-il.
J'aimerais bien, mais je sais que ça ne servirait à rien. Je connais Wy, et je connais la lueur obstinée dans ses yeux. Elle n'écoutera personne, pas même moi.
Alors je fais la seule chose possible.
Je me glisse dans la tête de Merlyn, et heurte sa conscience de la mienne comme un boulet de canon. Le zoonite s'écroule avec un bruit sourd sur le sol métallique.
— Cass ! s'indigne la voyante.
Je lui souris.
— Pas la peine de me remercier.
— C'est complètement immoral.
— Mais oui, c'est ça. Maintenant, aide-moi.
Je désigne le corps inerte du loup-il y en a bien pour cent kilos de muscles-et ajoute :
— Si tu veux emporter ton petit copain, il va falloir qu'on s'y mette à plusieurs.

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Evasion (Cass-tome 2)
Science-Fiction⚠️ Si vous n'avez pas lu le tome 1, n'hésitez pas à aller le retrouver sur montre profil ! Attention, spoilers dans ce résumé... Thétis est morte. Akhilleús a été définitivement détruit. Cass Jackson ne souhaite qu'une chose : tourner la page, et v...