Chapitre 28

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Au petit-déjeuner, l'atmosphère est tendue. Tous ont encore en tête les altercations et le chaos de la veille : les gardiens ont la main sur leur matraque, et les détenus sont à l'affût.

Je devrais avoir l'esprit occupé par un millier d'autres choses, mais je ne peux penser qu'à Ross. Une part de moi voudrait courir vers lui et le supplier de me pardonner : je la garde précautionneusement muselée tout au fond de moi. 

S'il veut se comporter comme un imbécile et se laisser avoir par Rémond, très bien. J'ai peut-être été dure avec lui, mais je n'irai pas m'excuser alors que j'ai raison. Peu importe à quel point j'en ai envie.

Il y a certes une part d'ego là-dedans, mais pas seulement. Malgré moi, je suis troublée par la violence dont il a fait preuve. Je ne peux pas vraiment l'en blâmer, pas alors que c'est moi qui ai commencé à le frapper. Cependant...je ne peux m'empêcher d'être perturbée. Lui qui garde toujours son sang-froid, je ne le pensais pas capable de s'énerver ainsi. Pas contre moi, du moins.

Et pourtant, dès que je pénètre dans le réfectoire, mon regard part à sa recherche. Je scrute désespérément chaque homme en tenue orange-en vain. Son clone et lui ne sont pas encore arrivés. 

— Tyler est là, me glisse Vywyan. Il ne s'est pas fait prendre.

Je me tourne vers les cantiniers, et reconnaît le jeune homme dans son uniforme, une louche à la main. Soulagement et culpabilité m'envahissent en même temps-comment ai-je pu me laisser absorber par ma dispute avec Ross au point d'oublier le hacker ?

Celui-ci n'a pas cessé de s'inquiéter pour nous. Tout son corps se détend visiblement quand il nous aperçoit, Vywyan et moi.

— Vous avez survécu, me souffle-t-il.

— Toi aussi, réponds-je avec un demi-sourire. Dommage.

Il lève les yeux au ciel. 

Est-ce qu'ils savent ? lui demandé-je mentalement.

J'ai passé une bonne partie de la nuit à me torturer l'esprit et à me retenir de contacter mon coéquipier. Résultat, je ne crois pas m'être rendormie plus de deux heures. Cela semble pourtant avoir suffi à restaurer ma télépathie : je peux de nouveau l'utiliser sans migraines ni effondrements. 

Hein ? Est-ce que qui sait quoi ?

Je lâche un grognement. 

Est-ce que les gardiens savent que c'est un hacker qui a déclenché l'alarme et la coupure de courant ? Est-ce qu'ils nous soupçonnent ? Tu as bien dû entendre quelque chose.

Pas la peine d'être désagréable...et non, ils ne se doutent de rien. Enfin, je pense pas. Ils nous ont dit que c'était un bug informatique.

Est-ce vraiment ce qu'ils croient, ou juste la version officielle ? Impossible de le savoir, je suppose. Mais ils doivent forcément avoir des doutes, même si les autorités de la prison rechignent à alerter le personnel. Ross a quand même abandonné un cadavre en plein milieu d'un couloir...

Très bien. Tiens-toi prêt pour la suite.

Quelle suite ?

Tu verras.

Encore une fois, t'as pas de plan. Vous avez découvert quelque chose ?

Des membres.

Comment ça, des membres ? Des membres de quoi ?

Des morceaux d'humains.

Oh. Ce genre de membres.

Oui, Ty. Ce genre de membres.

Je coupe la communication et m'éloigne vers les tables. Mais juste avant de m'asseoir, je change d'avis.

Certes, rien ne s'est passé comme prévu. Mais sans Tyler, ç'aurait été bien pire. Vywyan et Ross n'auraient même pas pu quitter le gymnase. Il est peut-être temps que je ravale ma mauvaise foi.

Je me glisse de nouveau dans l'esprit du hacker.

Ty ?

Oui ?

Merci.

La surprise manque de lui faire lâcher sa louche. Je sors de nouveau de sa tête sans lui laisser le temps de répondre.

A peine une minute plus tard, Ross et Rémond nous rejoignent. 

Mes yeux se rivent sur mon coéquipier, ma main se crispe sur ma cuillère. Il évite soigneusement mon regard, mais je le sens qui bouillonne. Sa colère et sa tristesse font écho aux miennes ; l'air entre nous est électrique. 

Et cela ne fait que s'aggraver quand il prend place à côté de Vywyan, le plus loin possible de moi.

En vain, j'essaie de cacher à quel point ça me blesse. Mon amie me jette un coup d'œil interrogatif. Je me contente de fusiller le jeune homme du regard.  

Cela n'échappe pas à Rémond. Il hausse un sourcil, l'air prodigieusement amusé. Et puisqu'apparemment la situation n'était pas encore assez inconfortable, il s'assoit à ma droite, là où Ross se met habituellement. 

Très bien. S'ils veulent jouer à ça, jouons. Je ne me laisserai pas déstabiliser par un coéquipier susceptible et son clone psychopathe. 

Je dois faire parler Rémond. Son lien avec Ross est une menace. Sa simple présence est une menace, et j'aurais dû m'en occuper depuis longtemps.

Si je me contente de l'interroger, quelles sont les chances qu'il me réponde honnêtement ? Il me faut une stratégie. Je dois trouver le moyen de le faire parler.

Ou peut-être...peut-être que je n'en ai pas besoin.

Cass ! proteste Ross. N'y pense même pas.

— Penser à quoi ? réponds-je à voix haute.

— Arrête, grince-t-il entre ses dents. On n'a pas besoin que tout le monde entende ça.

— Tout le monde ? De qui tu parles ? Ma meilleure amie, ou ton clone adoré ?

— Sérieusement ?! Tu réalises à quel point t'es immature ?

— Immature ? C'est toi qui te comporte comme un gosse trop naïf !

— Vous vous disputez à cause de moi ? intervient Rémond. Je suis touché...

— Reste en dehors de ça, le cannibale, lui jeté-je.

— On arrive au mauvais moment, peut-être ?

Vywyan se raidit. Je me retourne, et me retrouve nez à nez avec Merlyn Lupus et sa bande.

Il doit y avoir quelque chose qui cloche chez moi, parce que je me sens presque soulagée. Enfin, je vais pouvoir me concentrer sur autre chose que Ross et ses lubies.

— Je ne crois pas qu'il y ait un bon moment pour votre arrivée, répliqué-je.

— Je vais prendre ça comme une invitation.

Les quatre hommes-loups prennent place à nos côtés. Si leur chef a un sourire aux lèvres, ses complices ont un air d'enterrement.

Non. Réflexion faite, je dirais plutôt qu'ils ont l'air de vouloir nous enterrer.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant