Chapitre 6

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Ross ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

J'en sais rien. Tu l'as senti aussi ?

Pas seulement senti. T'as des trous sur le visage. Et...ils ne se referment pas. C'est pas normal, si ?

Non. Mes plaies sont censées cicatriser instantanément, sauf si quelque chose les obstrue .

Je jette un coup d'œil à la petite foule qui nous entoure. Personne ne semble avoir rien remarqué. Je me tourne de nouveau vers Ross.

D'autres trous apparaissent sur sa joue, toujours plus nombreux. Tous s'accompagnent d'un éclair de douleur que je ressens par notre lien. Cette fois, le phénomène n'échappe pas aux policiers.

— C'est quoi cette blague ?! s'exclame l'un d'eux.

Les journalistes cessent leurs questions et se mettent à murmurer entre eux, affolés. Je vois Ross serrer la mâchoire. La douleur est de moins en moins supportable, et mon souffle se fait court. Je sais que c'est pire pour lui, que je n'ai à affronter qu'un écho de sa propre souffrance.

Coupe le lien, Cass.

Hors de question ! On ne pourra plus communiquer !

On n'a pas le choix. L'un de nous doit garder l'esprit clair et gérer la situation.

Je voudrais protester, mais mon instinct prend le dessus et je rompts notre connexion sans me laisser le temps de plus hésiter.

Les marques sur la joue de Ross redoublent de vitesse et d'intensité. On dirait qu'un animal invisible s'acharne sur sa chair à coup de griffes, la transformant peu à peu en une bouillie sanguinolente.

Je ne suis pas médecin, mais je sais que ça n'a rien de normal. Pendant un instant, je m'affole. Est-ce un coup de Thétis ? Un sous-programme qu'elle a implanté en lui, une bombe à retardement qui le détruirait si elle venait à mourir ?

Je ne peux pas le perdre. Pas alors que je commence tout juste à reconstruire ma vie. Alors que parfois, il est la seule chose qui m'empêche de m'effondrer, la seule chose qui empêche mes angoisses et mes cauchemars de prendre le dessus.

Garde ton sang-froid, Cass, m'ordonné-je.

Policiers et journalistes sont en train de paniquer. Les genoux de Ross cèdent sous son poids, et les deux agents qui l'encadrent chancellent en tentant de le retenir.

— Appelez une ambulance ! hurle quelqu'un.

Non. Je ne peux pas les laisser faire. Des médecins ne mettraient pas longtemps à découvrir que le corps de mon coéquipier est truffé d'éléments électroniques, et que lui arriverait-il alors ? Quelles questions lui poserait-on ? Combien de temps avant qu'un gouvernement ou un autre ne cherche à l'exploiter à son avantage ?

Et, bien sûr, cela compromettrait sérieusement notre arrivée à Baklang. Je n'aurais peut-être jamais l'occasion de rencontrer mes mères.

Les policiers qui me retiennent ont relâché leur prise, leur attention est sur Ross. Je balance mon coude dans le ventre de celui sur ma droite, et mon genoux dans l'entrejambe de celui sur ma gauche. Ils se plient en deux et je me libère sans difficulté. Je cours aussitôt vers mon coéquipier, ignorant les cris et les armes qui se braquent sur moi.

Un instant plus tard, je suis agenouillée à ses côtés. Je voudrais le toucher, le rassurer, mais mes mains sont toujours menottées. Son front est constellé de gouttes de sueur, ses yeux mi-clos sont voilés par la douleur. Du sang ruisselle dans son cou et sur son T-shirt, en un flot qui semble ne jamais vouloir s'arrêter.

— Cass, murmure-t-il en sentant ma présence.

— Ça va aller, lui soufflé-je. Je suis là.

Je repousse la peur qui me tord les entrailles et me tourne vers les policiers.

— C'est normal, affirmé-je avec autant de calme que possible. Ça lui arrive souvent.

— Ce truc n'a rien de normal ! s'écrie l'un des agents d'un ton suraigu.

Ce truc est une crise d'angoisse, répliqué-je.

— Une crise d'angoisse ? Tu te fiches de nous ?

— Ça lui donne de l'urticaire. Parfois c'est léger, mais dans les situations extrêmes les plaques peuvent se mettre à saigner...

Tous me regardent avec des yeux écarquillés, hésitant visiblement à avaler mon explication. Je sais que ce que je raconte n'a sans doute aucun sens d'un point de vue médical, alors je prends soin de masquer Ross avec mon corps. Moins ils le verront, plus mon invention leur paraîtra crédible.

Je me tourne de nouveau vers mon coéquipier. Il est toujours à moitié maintenu par deux policiers, mais personne ne fait le moindre geste pour m'éloigner de lui. Je ne veux même pas imaginer à quel point il doit souffrir. Je voudrais trouver le responsable et lui trancher la gorge ; mon impuissance me donne envie de hurler.

Qu'est-ce qui se passe, bon sang ?

Mais, aussi soudainement qu'elle a commencé, la boucherie prend fin. La chair se recompose, le sang disparaît, la peau se referme. Bientôt, la joue de Ross est aussi blanche et lisse qu'elle l'était quelques minutes plus tôt.

Comme si rien ne s'était passé.

Je ne peux retenir un soupir de soulagement. Les yeux mon coéquipier se rouvrent pleinement. Je croise son regard et me glisse sans attendre dans son esprit.

Tu vas bien ? Ross, réponds, tu vas bien ?

Je vais bien.

Je voudrais le serrer dans mes bras et fondre en larmes. A la place, je me relève, et je fais face à notre public sidéré. Seule l'adrénaline me maintient debout. Derrière mon dos, mes mains menottées tremblent de manière incontrôlable.

— Vous voyez ? déclaré-je, m'écartant du jeune homme. La crise est passée.

Après quelques secondes de silence abasourdi, tous se reprennent. Les deux policiers qui me maintenaient tout à l'heure reviennent m'encadrer, leurs doigts se resserrent sur mes bras avec une force renouvelée. Ceux de Ross le remettent sur ses pieds, et notre convoi reprend sa route sans un commentaire.

J'ai les mains qui tremblent.

Est-ce que tu as la moindre idée de ce que c'était ? demandé-je à mon coéquipier.

Qui sait ? Peut-être que tu avais raison. Une crise d'urticaire, ça arrive à tout le monde.

Très drôle. Ne me refais plus jamais ça, Ross.

Je vais faire de mon mieux.

Nous atteignons finalement l'un des vaisseaux aux couleurs de la PI. Juste avant que la porte ne se referme sur nous, je jette un dernier coup d'œil aux caméras.

Je me demande ce qu'elles ont pu filmer, exactement.

Je me demande si ça va recommencer.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant