Épilogue : Rémond (1/3)

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Rémond Grazziano regarde le vide en contrebas.

Il n'arrive pas à savoir s'il a envie de sauter. Une part de lui doit forcément le désirer, pourtant. Se hisser, marche après marche, jusqu'au toit de l'immeuble abandonné lui a pris trop de temps pour qu'il ait fait ça sans aucune conviction.

Il imagine Cass sortir et trouver son corps écrasé. Serait-elle triste, au moins un peu ? C'est impossible à savoir. Cela n'arrivera pas, de toute façon. Depuis son perchoir, il a vu Roma partir, la jeune femme inconsciente dans ses bras. Il a vu Madlyn les suivre.

Son clone compte de toute évidence amener Cass à Thétis. Il sait que cette dernière trouvera sans aucun doute un moyen de la sauver. La jeune femme vivra.

Rémond pensait être débarrassé d'elle pour toujours, mais non : où qu'il aille et quoi qu'il fasse, ce sera en sachant qu'elle est là, quelque part, qu'elle respire le même air que lui.

Ça lui donne envie de rire. Le genre de rire qu'ont les fous.

Pourtant, quelque chose a changé. Ce ne sera plus Roma et Cass ensemble, toujours ensemble, et Rémond qui les regarde depuis un coin sans savoir quoi ressentir. Non. Quand elle se réveillera, elle haïra son coéquipier pour ce qu'il a fait. Le cyborg le sait, et cette certitude lui fait un effet étrange.

Est-ce qu'il est heureux ? C'est ça, le bonheur ?

— Pourquoi tu veux sauter ?

Rémond se retourne. La mère de Cass est là-Jane Aebby. Elle s'agrippe à la rembarde en métal, les jambes tremblantes. Elle paraît pourtant plus en forme que tout à l'heure. Plus proche d'un être humain, et moins d'un animal.

Il sait qu'elle est venue dans le même but que lui.

— A cause de votre fille, lui répond-il.

Le vouvoiement est de retour. Rémond comprend parfaitement ce que ça signifie : la programmation de Thétis est en train de reprendre le dessus, ses émotions s'éloignent. Il n'arrive pas à savoir si c'est une bonne chose.

Sans doute qu'il ne se suicidera pas, en fin de compte.

— Moi aussi, lâche Jane avec une espèce de rire, je suis là à cause d'elle.

Rémond ne dit rien. La voleuse prend ça comme une invitation à poursuivre son discours :

— Elle m'a pris ma femme. Qu'est-ce qu'elle t'as pris, à toi ?

Qu'est-ce que que Cass Jackson lui a pris ? Rien. Tout. Il serait peut-être plus correct de dire qu'elle lui a donné quelque chose.

La haine. La souffrance. Et par une espèce de procuration malsaine, l'amour.

Mais il est hors de question qu'il dise ça à voix haute.

— Ce qu'il me restait de santé mentale, réplique-t-il à la place.

Pour toute réponse, Jane ricane. Puis elle se penche au-dessus du vide.

— Je me demande ce qu'il y a après, dit-elle pensivement. Je suppose que je le saurai dans pas longtemps.

Sur un coup de tête, Rémond l'attrape par le bras et l'éloigne du bord.

— Venez, lui intime-t-il.

— Où ?

Bonne question. Le comportement le plus logique serait de retourner vers Thétis, d'attendre ses ordres ; et Rémond agit toujours de la manière la plus logique.

Mais après qu'il l'ait ramenée à la vie, sa "mère" lui a clairement fait comprendre qu'elle n'avait plus besoin de lui. Elle n'a même pas attendu de s'être débarrassée du liquide visqueux qui recouvrait son tout nouveau corps. 

Que dois-je faire ?  lui a-t-il demandé.

Ce que tu veux, a-t-elle répondu.

Son ton était désinvolte, elle ne le regardait même pas.

Ce que tu veux. Comme si c'était aussi simple. Comme si elle ne lui avait pas appris pendant des années et des années qu'il n'avait pas le droit de vouloir quoi que ce soit, d'éprouver quoi que ce soit. Comme si elle ne l'avait pas programmé pour en être incapable.

? Un seul mot, et pourtant c'est la question la plus dure à laquelle Rémond a jamais eu à répondre.

— Je ne sais pas, avoue-t-il finalement. Et si...si on rejoignait les autres ?

— Les autres ? Quels autres ?

— Vywyan. Merlyn. Vous savez, les zoonites.

— Mais Madlyn...Madlyn ne veut plus me voir.

— Madlyn est partie. Il n'y a plus qu'eux deux, et le clone.

— Partie ? Partie où ?

— Venez, répète simplement Rémond.

Elle secoue la tête, l'air perdu ; puis elle le laisse l'entraîner dans l'escalier.

Tout à coup, il perçoit un tiraillement dans son cou. Il lève la main et, sans cesser de marcher, passe les doigts sur sa gorge.

Du sang. Intéressant.

Ils descendent toujours plus bas, sans ralentir. Le liquide coule et coule, les vêtements du cyborg s'en retrouve rapidement imbibés. Il imagine son clone, allongé dans une mare chaude et poisseuse, leurs vies à tous les deux s'échappant en un flot écarlate.

Rémond sent un sourire lui étirer les lèvres.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant