Chapitre 25

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Merlyn n'a pas le temps d'expliquer ses propos : des gardiens arrivent et nous séparent. Je ne peux que regarder les hommes-loups s'éloigner, stupéfaite. Leur chef jette un dernier regard en arrière tandis qu'il se fait entraîner à distance-je n'en ai pas fini, semble-t-il promettre.

Une alliance...comme si cette journée n'était pas déjà suffisamment chaotique.

Après encore trente minutes de cris et de coups, l'ordre finit par revenir. Les gardiens parviennent enfin à achever leur décompte. Découvrant que les détenus manquants sont miraculeusement réapparus, ils vérifient une nouvelle fois la présence de chacun, et concluent à une négligence de leur part.

Comme il n'y a pas assez de cellules d'isolement pour accueillir tous ceux qui ont participé aux affrontements, nous sommes exemptés de punition-pour cette fois. Les activités du reste de la journée sont cependant annulées.

Personne ne parle tandis que nous sommes reconduits en file à nos cellules. L'air est électrique, encore vibrant de tension. Bien que silencieuses, les prisonnières devant moi sont agitées. Leurs yeux courent d'un point à l'autre, à l'affût ; leurs muscles sont tendus, prêts à recevoir des coups-ou à en donner. Vywyan et moi ne faisons pas  exception. Je me sens faible, mes membres lourds de fatigue, pourtant mes sens sont en alerte. Quant à la zoonite...elle avance derrière moi, mais même sans la voir, je la sens qui bouillonne.

Nous n'avons pas échangé un mot sur ce que j'ai découvert dans son esprit. Sait-elle que j'ai tout vu de son altercation avec Merlyn ? Sans doute pas. Mais elle le soupçonne, je le sens.

Elle a peur de ma réaction.

Vywyan...la douce, gentille Vywyan, qui voit ce qu'il y a de mieux même dans les pires personnes. Vywyan qui a quitté le gang de son père parce qu'elle n'en supportait pas la violence.

Elle a poignardé le garçon qu'elle aimait. Elle a trahi sa confiance de la pire manière possible.

Je la revois sur Elytrgy, déchargeant son pistolet laser dans le crâne de Rémond. Sauf que c'était différent, cette fois-là. Elle a fait ça pour me sauver la vie. A présent, je ne peux plus nier la vérité.

Ma meilleure amie est une tueuse.

Et aussi tordu que ça puisse paraître...je me sens presque soulagée.

Notre relation a toujours eu quelque chose de déséquilibrée : moi qui la blesse et agis sans morale ni remords, et elle qui me pardonne tout comme une espèce de sainte. Je pensais qu'elle acceptait mes défauts par générosité, parce qu'elle était meilleure que moi. Mais en réalité...c'est tout l'inverse.

Si elle ne m'a jamais méprisée, jamais repoussée, c'est précisément parce qu'elle comprend ma part d'ombre. Plus que ça, même : elle la partage.  

La porte de notre cellule claque enfin derrière nous. Je me retourne, et on se fait face-la sortie dans son dos, le lit dans le mien. J'attends qu'elle parle-en vain. Elle refuse de croiser mon regard.

Les épaules affaissées, la mine défaite...elle paraît à la fois plus jeune et plus vieille. Fragile et hésitante comme une enfant, fatiguée comme une dame âgée. 

Je déteste la voir ainsi-effrayée, brisée, honteuse. Je repense à la haine que j'ai ressenti à travers elle—la haine qu'elle éprouve envers elle-même—et ça me rend malade. 

Tue-moi, a-t-elle demandé à Merlyn.

Comment peut-elle s'imaginer que c'est ce qu'elle mérite ?

Sans réfléchir, je m'avance et la serre contre moi. Elle se raidit aussitôt et me repousse. 

— Non, souffle-t-elle. Non, ne fais pas ça...

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant