La fille dans le miroir ressemble à un fantôme.
J'ai toujours été un peu trop mince, le teint un peu trop pâle, l'air quasi maladive, mais là...Baklang a laissé ses marques. Des bleus sont encore visibles sur mon cou, et ailleurs sur mon corps, à des endroits où je ne me rappelle même pas avoir été frappée. Mes côtes semblent sur le point de percer ma peau, mes veines ressortent, mes yeux sont sont injectés de sang et soulignés de cernes profonds. Mes cheveux blond-blanc, plus fragiles que jamais, forment une espèce de halo autour de mon visage creusé. On pourrait presque me confondre avec mon clone.
Lentement, prenant garde à mes membres contusionnés, j'enfile les vêtements que Tyler m'a rapportés. Un jean. Un sweat. Une paire de baskets de sport. Le hacker n'a aucun sens de la mode, et pourtant jamais une tenue ne m'a rendue aussi heureuse. Débarrassée du tailleur de Thétis et de mon uniforme de détenue, je me sens un peu plus moi-même. Plus jamais je ne porterai de orange...
La ville où nous nous sommes écrasés est étonnamment ordinaire. Des immeubles, des magasins, quelques voitures, quelques navettes, suffisamment de gens pour que nous puissions espérer passer inaperçus. Elle est située sur une de ces nombreuses planètes sans nom, simplement baptisée P45789.
Difficile de croire que Baklang se cache au milieu d'un tel décors, et que personne ne s'en soit jamais rendu compte. L'explication est en fait toute simple : au-delà d'une certaine distance, la prison est protégée par un écran d'invisibilité. Je n'en avais jamais vu d'aussi élaboré-ce genre de technologie est habituellement employé sur de plus petites échelles, pour faire disparaître des vaisseaux de guerre, par exemple. Les ingénieurs de Zéro, qui qu'ils soient, on accomplit un véritable exploit en dissimulant un aussi grand bâtiment. Depuis l'immeuble abandonné où nous avons trouvé refuge, Baklang est complétement indiscernable.
Je quitte la salle de bain à moitié effondrée et traverse le couloir. Le sol est couvert de gravats, les murs nus et creusés d'impacts ; des fils électriques pendent du plafond. Notre refuge ressemble à un immeuble résidentiel qui n'aurait jamais été achevé, les travaux laissés en suspens depuis des années. L'ascenseur ne fonctionne évidemment pas ; nous avons pris l'escalier jusqu'au troisième étage, pour ne pas être trop près de l'entrée si quelqu'un parvient à suivre nos traces, et nous sommes installés dans ce qui aurait dû être un appartement plutôt spacieux.
Je me rends dans la pièce principale. La lumière rosée du petit matin entre à flots par des fenêtres sans vitres. Il fait frais, et je remonte la fermeture de mon sweat en frissonnant. Ross est assis par terre dans un coin, en jean et t-shirt, les cheveux ébouriffés ; dès mon arrivée, ses yeux se rivent sur moi, son visage s'éclaire. Je me laisse tomber à côté de lui ; il passe un bras autour de mes épaules, je laisse ma tête reposer sur lui, et un nœud se défait dans ma poitrine.
A ma gauche, Rémond est assis en tailleur, le dos droit, les yeux fixés au loin. De l'autre côté de la pièce, Vywyan et Merlyn sont penchés l'un vers l'autre. Le zoonite est torse nu ; une large plaie sanguinolente traverse ses abdominaux parfaitement dessinés. Des bouts de verre y sont incrustés, vestiges du pare-brise de notre vaisseau, et la voyante est occupée à les ôter délicatement.
— Comment ça, parfaitement dessinés ? marmonne Ross.
Je lève les yeux aux ciels, incapable de retenir mon sourire.
— T'es mignon quand t'es jaloux.
— Je suis pas jaloux...
Merlyn lâche un grognement quand Vywyan tire sur l'un des éclats. Remarquant l'attention que je leur porte, il me fusille du regard. Visiblement, il m'en veut toujours de l'avoir assommé et forcé à laisser ses amis en arrière. Peu importe. Il me suffit de voir la manière dont la voyante se tient à ses côtés, la façon dont son visage s'adoucit quand elle l'observe : je sais que j'ai pris la bonne décision.
— Ce n'était pas à toi d'intervenir, remarque Ross. Il a raison de t'en vouloir.
— Oh, tu vas pas t'y mettre aussi.
— Je suis dans ton camp quand même.
— T'as intérêt, idiot.
Mon regard dérive sur un petit tas orange non loin de nous, que jusqu'à présent j'avais pris soin d'éviter. C'est mon clone, que nous avons précautionneusement enveloppée dans nos uniformes délaissés. Son visage paraît paisible ; le tas de tissu se soulève faiblement au rythme de sa respiration. Elle n'a pas repris conscience un seul instant depuis évasion, mais au moins, elle n'a pas été blessée pendant le crash. A part Merlyn, aucun de nous n'a subi autre chose que des coupures superficielles.
— Madlyn est toujours avec Jane ?
Ross me répond d'un hochement de tête affirmatif. A peine étions-nous arrivés ici, il y a quelques heures à présent, que ma mère Yajtuite se retirait avec sa femme dans une pièce à part. Je ne les pas revues depuis. J'ignore si l'état de Jane s'est améliorée. Elle pourrait aussi bien être morte, je ne serais pas au courant.
Mon coéquipier me serre plus fort contre lui.
— Laisse-leur un peu de temps, me souffle-t-il.
Un bruit de pas m'épargne d'avoir à répondre. Nous nous raidissons tous, prêts à nous battre ; mais ce n'est que Tyler qui revient de sa deuxième virée en ville.
Comme il est le seul à ne pas avoir un mandat d'arrêt sur sa tête-pour l'instant-nous n'avons eu d'autre choix que de l'envoyer récupérer ce dont nous ne pouvons nous passer. Je ne sais pas comment il s'est débrouillé pour dénicher assez de vêtements pour nous tous, sans une pièce en poche et en plein milieu de la nuit, mais il l'a fait. Après s'être assurés que nous puissions sortir de l'immeuble sans nous faire repérer en moins de cinq minutes à cause de nos uniformes flamboyants, il est ressorti chercher à manger. Et à présent...
Après des semaines de quasi jeûne, l'odeur suffit presque à me rendre dingue.
— C'est des pizzas ?! s'exclame Vywyan.
Je bondis sur mes pieds et me précipite vers le hacker.
— Mon héros, lui souris-je en lui arrachant une boîte des mains.
La voyante me suit de près. Assis sur le sol, on déchire quasiment les cartons, la sauce tomate nous dégouline sur le menton. Je me sens revivre avec chaque bouchée ; je ne crois pas avoir jamais rien mangé d'aussi bon. Les autres ne sont pas en reste. Heureusement que Ty en a pris une part personne, parce que je crois que sinon, on se serait entretués. Seul Rémond néglige la sienne-je suppose que lui n'a pas eu l'occasion d'avoir faim, ces dernières semaines.
Mon coéquipier interrompt son repas le temps de froncer les sourcils à mon intention.
— Tu devrais pas manger aussi vite.
— Tais-toi, Ross.
— Tu vas te rendre malade...
Je lui jetterais bien une part de pizza à la tête, mais il est hors de question de gâcher ne serait-ce qu'un morceau de croute.
En dix minutes à peine, nous avons vidé une boîte chacun. Je jette un coup d'œil aux deux qui restent.
— Je devrais en ramener une à Madlyn, déclaré-je sur le ton le plus neutre possible.
Comme si l'idée ne suffisait pas à me donner envie de vomir...
Ross croise mon regard et, sans un mot, s'empare d'un des cartons.
— Je t'accompagne.
Sur le coup, ça me rassure. Je ne proteste pas.
J'aurais dû.
VOUS LISEZ
Evasion (Cass-tome 2)
Science Fiction⚠️ Si vous n'avez pas lu le tome 1, n'hésitez pas à aller le retrouver sur montre profil ! Attention, spoilers dans ce résumé... Thétis est morte. Akhilleús a été définitivement détruit. Cass Jackson ne souhaite qu'une chose : tourner la page, et v...