Je le savais.
Oui, je l'ai toujours su. Depuis l'instant où je l'ai vue s'écrouler sans un son, ou j'ai vu son corps se consumer et senti la puanteur de sa chair carbonisée, j'ai su qu'elle reviendrait.
Et pourtant, je n'ai jamais été aussi perdue, aussi désespérée. Soudain, plus rien n'a d'importance.
Thétis est vivante. Et quoi que je fasse, elle le sera toujours. Elle est immortelle, invincible. Peu importe quels obstacles se dressent sur sa route : elle trouvera toujours le moyen de poursuivre les expériences tordues que lui suggère son esprit sadique.
La cantine tourbillonne autour de moi, un chaos de tâches grises et orange. Un million de bruits bourdonne à mes oreilles. Plus que jamais, je maudis la cuillère molle qui nous est fournie à Baklang. Je voudrais un couteau. Je voudrais le plonger dans ma gorge.
Non. Non, ça ne peut pas finir comme ça.
— Lève-toi, Jackson, m'ordonné-je tout bas. Lève-toi et trouve une solution. Lève-toi et bats-toi.
Je ne sais pas comment, mais je me retrouve debout. Je me retourne juste à temps pour voir Ross se jeter sur Rémond.
— C'est elle qui t'as envoyé, pas vrai ?! hurle-t-il. Avoue que c'est elle...
Il a vu la même chose que moi. C'est impossible, et pourtant...Ross m'a suivi dans l'esprit de ce zoonite.
Ça me fait comme un électrochoc. D'un coup, je suis arrachée à ma torpeur et à mon désespoir. Mon cerveau se met à tourner à toute vitesse, analysant chaque détail de ce que j'ai découvert.
Cet homme dont je viens de vivre la mort...il devait faire partie du gang de Merlyn. Et Thétis le torturait avec ses propres souvenirs, avec ses propres actions. Comment les a-t-elle arrachés à sa mémoire ? Jusqu'où s'étend son contrôle sur Baklang ? Depuis combien de temps, à combien de prisonniers a-t-elle fait subir le même traitement ? Et surtout, pourquoi ?
Mais ces questions vont devoir attendre, parce que Ross vient de plaquer Rémond au sol. Vywyan essaie en vain de le retenir tandis qu'il roue son clone de coups. A chaque fois que son poing s'abat, une marque se forme sur son propre visage ; je perçois l'écho lancinant de sa douleur et celui, aveuglant, de sa rage.
Je me précipite au niveau du combat, en même temps que trois gardiens qui dégainent leur matraque et hurlent aux deux clones de se séparer.
Ross ! m'écrié-je mentalement. Arrête-ça tout de suite !
Mais il ne m'entend pas. J'essaie de plonger plus loin dans son esprit : la force de ses émotions me coupe le souffle et me force à reculer. Je ne l'ai jamais vu ainsi, je n'ai jamais ressenti une telle rage, un tel sentiment d'impuissance et de désespoir. C'est comme si...
Comme si tous ses sentiments étaient multipliés par deux.
Oh, non. Tout mais pas ça.
Rémond balance son genoux dans le ventre de Ross, et réussit à se retrouver au-dessus de lui. Comme son clone avant lui, il fait pleuvoir les coups sans répit, ignorant le sang qui dégouline de ses propres plaies.
L'un des gardiens attrape Rémond par les épaules et essaie de l'arracher à son adversaire. Le cyborg l'envoie à terre d'un coup de coude ; Ross en profite pour reprendre le dessus.
— Et dire que j'étais persuadé que t'étais en train de changer ! crache-t-il entre deux frappes. Que j'ai été assez stupide pour avoir pitié de toi...
— Je veux pas de ta pitié !
Ils roulent enlacés sous une table, renversent une série de chaises. Des prisonniers commencent à s'assembler autour de nous, malgré les efforts des gardiens pour maintenir le calme.
Je tente alors quelque chose que je n'ai jamais fait : je me glisse simultanément dans l'esprit de mon coéquipier et dans celui de son clone.
Et je n'arrive pas à faire la différence.
La barrière qui les séparait ne s'est pas effondrée, non : elle s'est carrément volatilisée. Les émotions circulent entre eux en un flot déchaîné, la rage de l'un exacerbant celle de l'autre à un point qui me donne le tournis.
Ils vont s'entre-tuer. Chaque coup qu'ils se portent les affaiblit tous deux, mais ils sont incapables de s'en rendre compte, incapable de s'arrêter, et ce n'est pas les gardiens qui vont y parvenir-pas avec leur force robotique. Malgré moi, je sens la panique me submerger.
— Cass ! Cass, tu dois faire quelque chose ! me crie Vywyan.
— Sans blague...grincé-je.
Je serre les dents, puis me glisse de nouveau dans la tête de Ross. Je lutte de toutes mes forces pour ne pas me laisser entraîner par sa colère, pour atteindre sa conscience par-dessous cette rage qui le consumme.
Je découvre alors ce qu'il s'efforce de refouler avec ce déchaînement de violence : la peur.
Plus que furieux ou désespéré, Ross est terrifié, exactement comme je le suis. Parce que Thétis est de retour, et que face à elle, lui et moi ne sommes que des enfants impuissants, des victimes, des proies.
Ross. Ross, s'il te plaît, écoute-moi.
Il écrase un nouveau coup en plein dans le visage de Rémond. Leurs deux nez craquent en même temps.
Ross ! Arrête ça tout de suite !
Les prisonniers forment un cercle autour des combattants, à présent ; mais leurs cris ne sont qu'un brouhaha lointain à mes oreilles. Les gardes rangent leur matraque et dégainent des pistolets laser.
— Si vous ne vous séparez pas immédiatement, nous allons tirer !
Oh, tant pis. Ils l'auront voulu.
Mon esprit tourbillonne dans celui de Ross comme un boulet de canon. J'entraîne ses pensées avec moi et les cogne les unes contre les autres, j'entortille ses émotions comme un filet autour de sa conscience et je serre.
Dès qu'il s'écroule, Rémond l'imite.
Je ne peux que regarder tandis que les gardiens les menottent et les entraînent hors de la salle, se frayant un chemin dans la foule à coup de matraque.
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Evasion (Cass-tome 2)
Fantascienza⚠️ Si vous n'avez pas lu le tome 1, n'hésitez pas à aller le retrouver sur montre profil ! Attention, spoilers dans ce résumé... Thétis est morte. Akhilleús a été définitivement détruit. Cass Jackson ne souhaite qu'une chose : tourner la page, et v...