Je reprends connaissance au cœur de mon pire cauchemar.
Je suis attachée à une table métallique, aveuglée par une lampe ultrapuissante. Je voudrais détourner le regard, mais c'est impossible. Je suis complétement immobilisée-poignets, chevilles, cou et front.
Puis le visage de Thétis apparaît au-dessus de moi. Et elle me sourit.
— Je commençais à perdre patience, me salue-t-elle d'un ton amusé.
Je me force à ne pas paniquer. A ne pas hurler.
Soudain, je la revois dans le vaisseau, juste avant notre évasion. Je la revois enlacer Ross.
— T'as mis quoi dans sa poche ? lui demandé-je. Une seringue d'anesthésiant ?
— Juste un mot. Je lui ai donné la seringue ensuite, quand il est revenu à Baklang pour me voir.
Elle se penche tout près de moi, et je frissonne en sentant son souffle sur mon oreille.
— Quand il est venu me supplier de te sauver la vie.
Elle reste juste assez proche, juste assez longtemps pour que je mette à trembler. Puis, enfin, elle s'écarte.
— Alors je suis vraiment malade.
Je le dis comme un constat. Peut-être que la peur reviendra, plus tard ; pour l'instant, je me fiche bien de ce qui peut m'arriver.
J'ai du mal à me rappeler pourquoi la mort m'effrayait autant. Pourquoi je voulais vivre.
Mais Thétis éclate de rire.
— Non, Cass. Non, tu n'es pas malade. Mais Roma ne le sait pas, évidemment.
— Jane a menti ?
— Pas le moins du monde. Sa fille était bien atteinte d'une anomalie génétique rare. J'en ai entendu parler par des contacts dans l'hôpital, et ça m'a tout de suite intéressée, alors je l'ai convaincue de me confier l'enfant pour s'en débarrasser.
— Et tu m'as guérie.
— Ce n'est pas le genre de choses qu'on guérit. Même moi, je n'y peux rien.
— Je ne comprends pas.
Thétis soupire. Comme si elle compatissait vraiment-comme si elle en était capable.
— Tu n'es pas Alicia Aebby, assène-t-elle. Alicia Aebby est morte il y a dix-neuf ans.
Je sais déjà ce qu'elle va dire. Je le sais, mais je ne veux pas y croire, je ne veux pas l'entendre.
— Tu es son clone, poursuit Thétis. En tous points identiques, à un détail près : tu es en parfaite santé. Mon plus grand chef-d'œuvre.
Un clone. Oh, mon dieu, un clone.
Je ne suis pas seulement une victime de Thétis : je suis sa création, sa créature. Je lui dois la vie. Mon ADN, mon corps, mon esprit.
Et je suis de nouveau à sa merci.
C'en est trop, je craque. Je rue contre mes liens, je hurle à m'en faire mal. Le métal s'enfonce dans ma chair, l'odeur de mon sang envahit la pièce mais je n'arrive pas à m'arrêter. Je ne suis plus qu'une bête, dirigée par la peur, rendue sourde par la pulsation à mes tempes, la vision brouillée.
— Calme-toi, me souffle Thétis. Calme-toi. Shhh. Tout va bien...
Elle me caresse les cheveux, délicatement. Maternellement.
Je vais la tuer.
Peu importe si c'est la dernière chose que je fais, je vais la tuer.
Je m'immobilise, haletante. Je me mets à réfléchir.
Je vais la tuer, et il me faut un plan.
— Est-ce que Ross est là ? demandé-je. Est-ce que je peux lui parler ?
— Tu me promets de rester calme ?
Va en enfer.
— Promis.
Elle sourit de nouveau. Puis elle tire une clé de sa poche, et lien après lien, elle me détache. Je n'arrive pas à y croire.
Je me redresse lentement. La pièce tourne autour de moi. Enfin, ma vision se stabilise. Je lâche un hoquet de stupeur.
Madlyn est là, bâillonnée, ligotée à une chaise roulante. Ses yeux sans pupilles sont rivés sur Thétis, emplis d'une haine que je ne connais que trop bien.
— J'ai eu de la chance, explique la docteure d'un ton léger. Elle vous a suivis jusqu'ici, Roma et toi. Elle a essayé de te libérer.
Pendant quelques instants, son masque tombe. Elle me fixe avec son vrai regard-celui d'une meurtrière, d'un monstre.
— Tu m'as promis de rester calme, tu te souviens ?
Tente quelque chose, et je la tue : voilà ce qu'elle ajoute sans un mot.
Je hoche la tête. Ravale ma rage.
Thétis ouvre la porte, emporte Madlyn dehors. Et Ross rentre.
Il porte les mêmes vêtements que tout à l'heure. Pas de menottes, pas de garde. Je ne sais pas où on est exactement, mais c'est certain : il y est de son plein gré.
Mes derniers espoirs s'effondrent. Je réalise à cet instant qu'une part de moi refusait encore de croire à sa trahison. Comme s'il pouvait y avoir une autre explication.
Maintenant, je suis obligée de regarder la réalité en face.
Je lui ai tout dit de moi, tout montré : mes pires souvenirs et mes pires cauchemars, mes pensées les plus inavouables, mes sentiments les plus sombres. Mieux que personne, il sait à quel point j'ai lutté pour me débarrasser de l'emprise que Thétis avait sur moi-cette emprise qu'elle avait gardé sur mon esprit, même après que mon corps lui ait échappé. Oui, Ross a parfaitement conscience de ce que je ressens en me retrouvant ici, de nouveau vulnérable face à ma tortionnaire.
Et il a quand même choisi de me l'infliger. Pour me sauver, peut-être, mais il n'empêche que ça fait mal-tellement mal que je me demande si je vais en crever.
Pourquoi m'aider à guérir, si c'était juste pour me détruire de nouveau ensuite ?
Nous restons seuls dans la salle. Il m'épie à la dérobée, il n'ose pas me regarder en face.
J'éclate de rire. Un rire de folle.
— Alors c'est comme ça que tu veux la jouer ? me moqué-je. Assume, au moins.
— J'ai entendu ce qu'elle a dit, balbutie-t-il. Que tu ne risquais rien. Cass...j'y croyais vraiment. J'ai été tellement, tellement stupide...mais je ne pouvais pas te perdre. Je ne pouvais pas, d'accord ? L'idée seule...l'idée seule me rendait dingue. Je t'aime, oh, si tu savais comme je t'aime...
— C'est drôle. Jane avait précisément les mêmes arguments.
Il secoue la tête, et une larme ruisselle sur sa joue.
— Ne dis pas ça. Il n'est pas trop tard. Cass...
Je repère un scalpel sur une table à roulette et le ramasse. Distraitement, je me demande si Thétis l'a laissé là volontairement. Si elle savait ce que j'en ferais.
Puis je le plonge dans la gorge de Ross.
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Evasion (Cass-tome 2)
Science Fiction⚠️ Si vous n'avez pas lu le tome 1, n'hésitez pas à aller le retrouver sur montre profil ! Attention, spoilers dans ce résumé... Thétis est morte. Akhilleús a été définitivement détruit. Cass Jackson ne souhaite qu'une chose : tourner la page, et v...