Chapitre 15

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Je ne sais combien de temps nous restons allongés sans parler-lui dans sa cellule, moi dans la mienne, et pourtant bien ensemble.

Je dois finir par m'endormir, car je me retrouve soudain dans un tout autre lieu. Une moquette rouge, des murs blancs...Il me faut quelques secondes pour reconnaître la chambre que Ross et moi partagions à MétaLab. Je suis assise sur le lit, et fronce les sourcils en le trouvant dans la même position, juste à côté de moi.

— Ça, c'est bizarre.

Il hausse les sourcils.

— Je vais essayer de ne pas me sentir insulté...

Sans répondre, je lui pince la joue.

— Aie ! Mais qu'est-ce que tu fabriques ?

— C'est vraiment toi ? Ou juste un rêve ?

— J'allais te poser la même question. Peut-être que c'est une espèce de rêve commun.

— Je ne savais même pas que c'était possible.

Bien sûr, avant aujourd'hui, je ne savais pas non plus que je pouvais lire dans la tête d'une personne morte.

— Tu es déjà entrée dans un de mes cauchemars...

— C'est différent. Je l'ai vécu à travers toi. On n'y était pas tous les deux, à se parler comme en plein jour.

Je parcours la pièce du regard. Si c'est vraiment un rêve commun et pas un délire de mon cerveau surmené, alors ça fait sens que nous nous retrouvions ici. C'est l'endroit où nous avons appris à nous connaître. L'endroit où nous avons cessés de nous voir comme des ennemis pour devenir...ce que nous sommes.

Il passe un bras autour de moi. J'appuie ma tête sur son épaule, laisse mon souffle se caler sur le sien. Aucun de nous n'est vraiment là, mais ce contact paraît très réel.

— Je suis une menteuse et une arnaqueuse. Pas une héroïne. La réaction la plus logique, ce serait de nous tirer d'ici, pas vrai ? De trouver un moyen d'embarquer Jane et Madlyn, et de nous enfuir sans attendre.

— Mais ce n'est pas ce qu'on va faire, hein ? Ce n'est pas ce que tu veux faire.

— Honnêtement ? Je ne sais plus ce que je veux. Je ne comprends plus rien, et certainement pas ce qui se passe dans ma tête. Pourquoi ça devrait toujours être à moi de savoir quoi faire, d'abord ? Qu'est-ce que tu en penses, toi ?

Soudain, j'ai envie de lui crier dessus. Je voudrais qu'on se batte comme quand on s'est rencontrés, je voudrais me défouler sur lui-sur n'importe qui.

Puis il dépose un baiser sur mon front, et je me relâche dans ses bras.

— Quand on s'est promis de faire tomber Akhilleús, c'était par vengeance. Mais à la fin, ce n'était plus le cas. Le plus important n'est pas que Thétis ait brûlé, mais qu'on ait secouru les enfants. Et ce souvenir que tu as aperçu...cet homme attaché face à un écran...ce n'était pas une scène de torture ordinaire. C'était une expérience, peut-être à grande échelle.

— Exactement comme Akhilleús.

— Si on part maintenant, on sera aussi coupables que Thétis et le Prof.

Sa voix s'enflamme. Il reste immobile à côté de moi, mais je peux sentir sa rage-celle qu'il éprouve toujours contre nos bourreaux.

Je repense aux raisons qui m'ont poussée à venir à Baklang : retrouver mes mères, couper les derniers liens qui m'attachent à mon passé. Passer, enfin, à autre chose.

Je revois Rémond faire irruption dans la cantine, aux côtés de Ross. J'entends de nouveau Thétis le serpent me siffler à l'oreille.

Passer à autre chose...quelle blague.

— Dans ce cas, affirmé-je, on va rester. Et on va découvrir ce qui se trame ici.

Comme il reste silencieux, je me tourne vers lui, et le trouve qui m'observe avec un grand sourire.

— On est enfermés dans une prison gérée par des cannibales. Je peux savoir ce qui te rends aussi heureux ?

— Toi.

Mon cœur bondit dans ma poitrine. C'est plus fort que moi : je sens mes lèvres s'étirer à leur tour.

— Désolée de ne pas t'avoir contacté plus tôt, m'excusé-je. Je suis vraiment la pire coéquipière du monde.

Son visage s'assombrit.

— Cass...

Je me redresse.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu réalises que tu es bien plus que ma coéquipière ?

— Oh. Oui, bien sûr. C'était juste une façon de parler...

Mais je fuis son regard, et il n'est pas dupe.

— Sauf que non, c'est plus que ça. On est liés mentalement, tu te souviens ? Et je sais que dans ta tête, c'est toujours comme ça que tu m'appelles. Coéquipier.

Son ton est doux, pourtant je sens sa peine, son amertume.

— Je sais qu'on ne se connaît pas depuis si longtemps que ça, poursuit-il avec un effort visible, et si tu me disais que...que ça allait trop vite entre nous...si tu me disais que t'avais besoin de temps...ça ne serait pas un problème. Tu le sais, pas vrai ? Mais tu dis que tu m'aimes, Cass, et je ne comprends pas, j'essaie, vraiment, mais je ne comprends pas comment tu peux m'aimer si tu me voies toujours comme ton coéquipier...

Il a beau faire de son mieux pour avoir l'air détaché, ça le tue et je le vois.

Je voudrais rentrer dans le sol et disparaître. Mes émotions tourbillonnent dans ma poitrine et je n'arrive pas à les démêler. Je n'ai pas l'habitude de parler de ce que je ressens. Les mots, je ne les maîtrise que pour manipuler et blesser. Mais je suppose que, même avec un lien télépathique, certaines choses ne peuvent se passer d'explication.

Je ne peux pas le laisser se torturer ainsi.

— Il y a des coéquipiers qui travaillent ensemble toute leur vie, tu vois ? commencé-je. Ce genre de relations, c'est...solide. Durable. Alors qu'un couple...le mot paraît si...fragile. Les couples se crient dessus, se séparent, s'aiment puis se détestent. Et je...je ne supporte pas cette idée. Je ne peux pas te perdre. Bien sûr qu'on est plus qu'une équipe, et si je dis que je t'aime, c'est parce que c'est vrai. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé personne avant toi. Mais j'ai peur. Peur que, si je me laisse aller à mettre des mots sur ce qu'on est et à le prendre pour acquis, tout vole en écl...

Sa bouche se pose sur la mienne et m'empêche de finir ma phrase. Il m'embrasse, encore et encore, ses mains dans le creux de mon dos et les miennes dans ses cheveux. On bascule sur le lit, il me surplombe sans m'écraser. J'ai définitivement oublié ce que j'allais dire.

Il s'écarte, rien qu'un instant. Les bras de chaque côté de ma tête, il m'observe. Je lui rends son regard. Ses yeux sont en feu ; mon corps aussi.

— Tu ne me perdras pas, souffle-t-il d'une voix rauque. Jamais.

— Tu ne peux pas me dire une chose pareille.

— Pourquoi pas ?

— Et si tu meurs ?

— Mon fantôme te hantera jusqu'à la fin de ta vie.

— Mmm...Peut-être que je devrais te tuer, voir si tu respectes ta promesse.

Il sourit, et se penche pour murmurer dans mon oreille.

— Hâte de te voir essayer.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant