Chapitre 47

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Je ne vois vraiment pas comment on pourrait s'en sortir.

Il est minuit et demi. Nous avons tout juste eu le temps de dénicher trois brancards dans une salle de stockage pour transporter Jane, Merlyn et mon clone avant que les services de sécurité ne réactivent finalement les caméras. Nous traversons à présent les couloirs de l'étage secret de Baklang sous leurs yeux électroniques : trois détenus en combinaison orange, trois autres inconscients, un employé de cantine, et Thétis Grazziano qui les guide. C'est un vrai miracle qu'aucune alarme n'ait encore sonné.

Peut-être avons-nous simplement de la chance. Peut-être les techniciens ont-ils conclu à un bug, et mon déguisement suffit-il à maintenir les gardiens à distance.

Ou peut-être Thétis est-elle au courant de tout. Peut-être nous observe-t-elle de l'autre côté d'un écran, amusée, comme une araignée observe ses proies s'empêtrer dans sa toile.

Cet étage a la même forme que les autres, une espèce de fourche avec un long couloir qui mène à notre objectif : le spatioport. Nous trouvons sans problème la porte qui y mène. Ici, pas de guichet entouré d'une vitre blindée, non : seul un bataillon de gardes nous sépare de la sortie. Ils sont quinze, le doigt posé sur la gâchette de leur mitraillette laser, et nous regarde approcher avec méfiance.

Pourquoi ils sont autant ? glissé-je à Ross. C'est pas normal.

T'inquiète pas. Tu vas nous tirer de là, comme toujours. Si quelqu'un peut réussir ce coup-là, c'est toi.

Dis surtout que personne d'autre n'aurait été assez dingue pour essayer...

Aussi.

Un des gardiens s'avance vers moi. Je m'efforce de déchiffrer son expression. Qu'éprouve-t-il vis-à-vis de Thétis ? De la peur ? Du respect ? Est-elle seulement aussi importante ici que nous l'avons supposé ?

— Docteure Grazziano, commence l'homme d'un ton neutre. Puis-je vous demander ce que vous êtes en train de faire ?

La panique m'envahit, de plus en plus dure à maîtriser. On n'aurait jamais dû se lancer là-dedans avec aussi peu de préparation. C'est de la folie.

Tu connais Thétis, me rassure Ross. Peut-être mieux que personne. On a vu tous ses visages, toi et moi, on a vu son passé et le fond de ce qu'elle est devenue. Alors fais-toi confiance.

Il a raison. Je connais Thétis.

Je ferme les yeux, rien qu'un instant. Je la revois à MétaLab-assurée mais jamais arrogante, autoritaire mais compréhensive, respectée sans être vraiment crainte. Le masque parfait pour se faire aimer et obéir, pour manipuler les autres.

Je laisse mes lèvres s'étirer en un sourire qu'elle ne m'a que trop adressé, à la fois charmeur et menaçant. Je redresse les épaules comme si le monde m'appartenait, et plonge mes yeux dans ceux du gardien.

Il détourne presque aussitôt le regard. S'affaisse imperceptiblement.

— Je suis navrée de vous déranger à cette heure, réponds-je avec le ton d'une personne pas navrée du tout. Je dois emmener ces sujets dans mon laboratoire privé, pour leur faire passer de nouveaux tests sans attendre. J'espère que ce n'est pas un problème ?

— C'est à dire que...ce n'était pas prévu.

Je hausse un sourcil-mi amusée, mi condescendante.

— J'ignorais que j'avais besoin de tenir le personnel de sécurité informé de mon emploi du temps.

Le gardien rougit légèrement, mais ne se laisse pas démonter. Même s'il paraît intimidé par Thétis, il obéit de tout évidence à quelqu'un d'autre.

Je me demande soudain qui d'autre se trouve derrière ces expérimentations. La direction de Baklang ? Combien sont au courant ? Combien y participent activement ?

— Nous ne pouvons pas laisser n'importe qui sortir n'importe quand. Je suis sûre que vous comprenez.

— Ce que je comprends, c'est que vous venez de me qualifier de "n'importe qui". Dois-je vous rappeler l'importance de mon rôle ici ?

Le gardien serre les dents. Visiblement, il est en proie à un dilemme. Il doit avoir reçu l'ordre de ne laisser passer personne.

Je me radoucis. Imite ce ton mielleux que mon ennemie emploie si souvent.

— Votre réticence est tout à fait naturelle. Vous devez faire votre travail. Mais croyez-moi, personne ne vous blâmera de m'avoir laissée sortir. Ces tests que je dois mener sont cruciaux, et m'empêcher de les réaliser par excès de zèle vous poserez plus de problèmes.

— Je...je ne souhaite pas interrompre vos avancées, Docteure, mais le contexte est...enfin, on nous a ordonné de renforcer la sécurité...

— Oui, j'ai été informée du problème de caméras, répliqué-je avec une juste dose de suffisance. Mais je peux vous assurer que je ne compte pas porter préjudice à la sécurité de Baklang.

— Evidemment. C'est simplement que...

— Il semblerait que vous ne m'ayez pas écouté, gardien. N'ai-je pas précisé à quel point ma tâche était urgente ?

Pendant un instant, il garde le silence. Son doigt s'agite sur la gâchette, une veine palpite sur sa tempe. Je retiens mon souffle. Je ne sais pas combien de temps il nous reste avant que quelqu'un n'aperçoive la vraie Thétis quelque part et ne démasque notre subterfuge.

Mais enfin, l'homme cède. Il fait signe à ses collègues, et tous s'écartent pour nous laisser passer. Un couloir plus tard, nous arrivons dans le spatioport. Mon cœur cogne dans ma poitrine, entre incrédulité et liesse. Dans quelques minutes, nous serons libres.

J'examine les vaisseaux présents. A l'étage par lequel Ross et moi sommes arrivés à Baklang, tous les engins étaient frappés de logos officiels. Mais ceux qui se trouvent ici sont plus discrets, plus disparates. Je sélectionne un modèle de taille moyenne que je connais bien-rapide, ordinaire, facile à voler, et juste en face de nous. C'est le véhicule parfait.

Et c'est précisément ce qui me fait hésiter.

Baklang est censée être la prison la plus sécurisée de l'univers. Cette évasion semble beaucoup, beaucoup trop facile.

Bien sûr, les détenus ne sont pas censés avoir un holomasque à leur disposition, ni connaître l'existence de cet étage et de ce qui s'y passe.

Je repousse mes craintes, force l'ouverture du vaisseau avec l'aide de Tyler. Dès que nous pénétrons à l'intérieur, je laisse l'euphorie me gagner. Peu importe que nous ne soyons pas encore tirés d'affaire, que Madlyn me déteste, que Jane soit toujours en train de délirer et mon clone inconsciente.

On a réussi. Plus rien ne nous sépare de la liberté, à présent. Nous sommes les tous premiers prisonniers à nous évader de Zéro.

Puis j'entre dans le cockpit, et tout s'effondre.

Elle lève les yeux vers moi, nonchalamment installée dans le siège du pilote. Son élégante robe noire à col montant épouse chaque courbe de son corps parfait ; ses lèvres rouge sang sont étirées en un sourire affectueux.

— Tu m'as manquée, Cass, me dit Thétis Grazziano.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant