Chapitre 44

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Nous retrouvons Merlyn et ses zoonites dans le réfectoire. Tyler s'est occupé des caméras, et s'est assuré qu'aucun gardien ne se trouverait sur notre route : pourtant, quand nous les rejoignons finalement, j'ai du mal à y croire. Tout cela semble bien trop facile.

Bien sûr, notre plan ne fait que commencer.

Le leader des loups m'adresse un hochement de tête ; son regard s'attarde sur Vywyan. Je serre les poings. Comme à chaque fois que je les vois tous les deux, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter de ses intentions.

Mais ce n'est pas le moment de me concentrer là-dessus. Notre réussite repose presque entièrement sur ma performance.

Ty s'occupe de forcer l'ouverture de l'ascenseur : nous nous amassons tous à l'intérieur. Je me retrouve dans un coin, Madlyn collée à moi. Elle crispe la mâchoire, fait de son mieux pour éviter mon regard. Je fais semblant de ne pas le remarquer.

A l'opposé de la cabine, Vywyan et Merlyn sont coincés l'un à côté de l'autre-ce qui n'a pas l'air de vraiment déranger l'homme-loup. Il se penche vers elle pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille ; mon amie lui sourit comme je ne l'ai jamais vue sourire à personne, et je lâche un grognement agacé. 

— Vous êtres vraiment proches, toutes les deux, hein ?

Je fixe ma mère, les yeux écarquillés.

— J'y crois pas. La Grande Madlyn Aebby aurait-elle daigné m'adresser la parole ?

La Grande Madlyn Aebby me fusille du regard. Puis elle ajoute :

— Je voulais juste...

Elle s'interrompt. Ses yeux s'évadent vers le plafond.

Je devrais sans doute garder ça pour plus tard, mais quelque chose dans sa manière de parler-tout bas, comme à contrecœur-me pousse à la relancer.

— Juste quoi ?

— Je...eh bien...

— Eh bien quoi ?

— Merci.

Elle crache le mot comme une insulte. Je suis trop surprise pour répondre.

— Ne me regarde pas comme ça, me rabroue-t-elle. Ça ne veut pas dire que je te crois quand tu dis que tu es Alicia, ou que je t'ai pardonnée de m'avoir rappelé sa mort. Toi et moi, on n'est pas amies, Barbie, et encore moins une famille. Mais...tu vas sauver ma femme, et tu vas nous sortir d'ici. Alors...merci.

C'est loin d'une déclaration d'amour maternel, mais j'ai envie de pleurer, aussi heureuse que si elle m'avait offert la lune. Incapable de parler, je voudrais la serrer dans mes bras ; je me contente de hocher la tête.

Trop vite, l'ascenseur s'arrête. Nous sommes arrivés à l'étage secret, et nous jaillissons sans un mot dans la cuisine. Tous connaissent déjà leur rôle. Le silence est total, la pièce plongée dans une semi-obscurité. Entre nous, l'air est électrique, rempli de peur et d'excitation.

J'aurais voulu pouvoir laisser Rémond dans sa cellule et nous évader sans lui, mais tant que nous n'avons pas trouvé le moyen de couper son lien avec mon coéquipier, nous devons le garder à proximité. Il nous attendra donc dans la cuisine, avec Vywyan et Tyler pour le surveiller. Merlyn et ses zoonites partiront à la recherche de leurs compagnons-le leader s'obstine à penser qu'ils doivent encore être en vie, même si je lui ai avoué savoir avec certitude qu'au moins l'un d'entre eux était mort. Quant à Madlyn, Ross et moi, nous irons au secours de Jane.

Je me force à ne pas penser à la possibilité que nous arrivions trop tard, à ne pas m'imaginer tomber sur son cadavre. À la place, mon esprit se tourne vers Thétis. Que fait-elle ? Où est-elle ? Elle est probablement juste en train de dormir. Pourtant...j'ai l'impression de percevoir sa présence ; l'impression qu'elle est là, juste là, à roder dans l'ombre, et que je peux sentir son regard sur ma nuque et sa main sur mon épaule.

Nous sommes ici pour libérer nos proches et nous évader. Rien d'autre. Et si ça me tue de partir en laissant mon ennemie saine et sauve, je sais que je ne fais que reporter ma vengeance.

Je ne me reposerai pas tant que Thétis Grazziano n'aura pas cessé de respirer ; je détruirai sa vie, même si ça me coute la mienne.

Je me force à rester calme tandis que nous traversons le garde-manger. L'odeur de viande froide me prend à la gorge, et je sens la nausée monter. Puis nous arrivons dans le couloir-en terrain inconnu.

Les néons sont éteints, et nous avançons à la lueur bleutée des lumières de sécurité. Cet étage ne semble pas bien différent de celui des détenus, avec ses parois de métal nu. Et pourtant...il paraît étrangement plus sinistre. Peut-être parce qu'il est désert, ou parce que je sais quelles horreurs  s'y produisent. Toujours est-il que je ne peux me débarrasser du sentiment que quelque chose de terrible est sur le point d'arriver.

Nous ouvrons porte après porte, le plus silencieusement possible. Nous ne tombons d'abord que sur des espaces de stockage, des bureaux, rien qui nous intéresse. Nous finissons par arriver à une intersection. J'échange un regard avec Merlyn.

Son équipe par à droite, la nôtre à gauche.

Trois minutes plus tard, nous découvrons une pièce affreusement familière.

Mon cœur s'affole à la vue de l'écran et du fauteuil, des liens encore suspendus aux accoudoirs. Les souvenirs remontent, et qu'importe si ce ne sont pas les miens : pendant un instant, c'est comme si j'étais attachée face à mes propres crimes, je sens le plastique me scier les poignets et mes cris me déchirer la gorge.

— C'est ici...? souffle Ross.

— C'est ici, confirmé-je.

Ma mère lâche un grognement rageur. Je sais qu'elle pense à Jane.

Nous ne nous attardons pas. Mon souffle s'apaise un peu dès que je referme la porte. Puis nous pénétrons dans un nouveau couloir. Il me suffit d'un d'œil aux deux rangées de hublots qui nous encadrent pour comprendre ce dont il s'agit.

Des cellules.

Des dizaines et des dizaines de cellules.

Même si tout mon corps se rebelle à l'idée, je me force à regarder.

Des prisonniers originaires de tout l'univers sont allongés à même le sol à l'intérieur. Une silhouette par pièce, avec chaque fois un uniforme orange crasseux, une apparence anormalement frêle et inerte. Il fait trop sombre pour bien distinguer leur expression, mais assez clair pour voir que leurs joues sont creuses et leurs membres couturés de cicatrices. Certains sont horriblement jeunes. Une odeur de désinfectant flotte dans l'air, asphyxiante et obscène ; une impression de déjà-vu m'envahit. C'est comme si les dortoirs d'Akhilleús 1 se dressaient de nouveau autour de moi.

Garde ton calme, Cass.

Je m'oblige à prêter attention à chaque fenêtre, méthodiquement, comme si ça ne me faisait rien. J'ignore la nausée qui monte dans ma gorge et le sang qui tambourine à mes tempes.

— Ici, s'exclame soudain Ross.

En un instant, Madlyn et moi l'avons rejoint.

La silhouette à l'intérieur n'est pas affalée au sol comme les autres. Non, elle est assise dans le fond de la cellule, les jambes repliées contre sa poitrine, les bras noués par-dessus ses mollets ; elle se balance, sa tête frappant et frappant et frappant le mur avec un bam-bam-bam régulier comme celui d'une horloge.

Un frisson d'horreur remonte le long de mon dos. A mes côtés, Madlyn tremble de tout son corps, les poings serrés. Peut-être devrais-je essayer de la réconforter, mais je suis trop aveuglée par ma propre colère pour pouvoir me soucier de ses sentiments à elle.

Je m'imagine entourer de mes doigts la gorge de Thétis et serrer. Cette fois, je m'assurerai qu'elle est bien morte. Oh, je regarderai la vie quitter ses yeux et je profiterai de chaque seconde.

Ross me prend la main et la presse, doucement. Je croise son regard, y trouve une haine semblable à la mienne-cette haine qui nous a attirés l'un vers l'autre.

Il ne dit pas un mot, et moi non plus, mais je sais que comme moi il repense à notre promesse, la toute première qu'on s'est faite.

On va les réduire en cendres.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant