Chapitre 29

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Je me force à rester détendue tandis que Médor s'installe à ma gauche. Son regard me brûle la nuque, et même sans me tourner vers lui je perçois sa présence, son envie d'en découdre. 

Avec Rémond toujours à ma droite, me voilà assise entre mes deux personnes préférées.

Merlyn, lui, a évidemment choisi le siège à côté de Vywyan. Les mains de mon amie se crispent sur son plateau, et je sens la colère m'envahir. De quel droit vient-il s'en prendre à elle, après toutes ces années ? Tout ça pour l'erreur d'une gamine terrifiée ?

Surtout, comment peut-il s'imaginer que je vais le laisser faire ?

— S'il n'y a plus de tables libres, lancé-je aux nouveaux arrivants en haussant un sourcil, vous pouvez vous asseoir par terre. Personne ne vous en voudra.

— Toujours aussi aimable, hein, Jackson ? réplique le leader.

— Je ne me souviens pas de t'avoir donné mon nom, Lupus.

— J'ai de bonnes oreilles, et la discrétion n'est pas ton fort. Mais peut-être pourrions nous nous présenter plus formellement ? Je connais pas tous tes amis.

— Je vois pas pourquoi t'aurais besoin de les connaître.

— Pour notre alliance.

— Oh, c'est vrai, Wy m'a expliqué. Tu veux retrouver tes chiots égarés, et t'es pas capable de le faire tout seul.

Médor se met à gronder. Le sourire de son chef se crispe imperceptiblement. Bien. Les gens énervés sont toujours plus simples à manipuler.

— Crois le ou non, Blondinette, mais on est dans le même camp.

Blondinette ? Je rêve...

Il poursuit avant que j'ai le temps de l'insulter :

— Et vous avez autant besoin de nous que nous de vous.

— Ça reste à prouver.

Puis j'ajoute, parce qu'il a raison et que nous ne pouvons pas nous passer de son aide :

— Tu connais déjà Vywyan. Voici Ross Moszkowzki et son frère jumeau, Rémond.

— Rémond Grazziano, précise ce dernier.

Je le fusille du regard.

Tu penses toujours qu'il a changé, Ross ?

Oh, alors tu acceptes de nouveau de me parler par télépathie ? Qu'est-ce que j'ai fait pour revenir dans vos bonnes grâces, mon général ?

Fais attention. J'ai entendu dire que les sarcastiques mourraient plus jeunes que les autres.

Je me demande comment t'as pu survivre aussi longtemps.

— Deux frères jumeaux avec un nom différent ? s'étonne Merlyn.

Je n'aime pas la lueur d'intérêt qui brille dans ses yeux-on dirait un prédateur qui a flairé l'odeur du sang.

— Et tes laquais ? intervient Ross. Tu ne nous les présente pas ?

— Makson, je crois, ne vous est pas inconnu. Voici Tryn et Gerrant...

— Oh, mais on les connaît aussi, souris-je.

Tryn est celui qui a essayé de m'étrangler hier, et Gerrant, celui qui a encouragé Médor à me démembrer. 

Face à moi, Ross s'agite. Malgré tous ses efforts, il ne peut me cacher sa rage-froide, meurtrière. Il lui faut mobiliser toute sa volonté pour ne pas se jeter sur mes agresseurs. C'est mesquin, mais j'en retire une pointe de satisfaction. 

Ça n'a rien à voir avec toi, ment-il.

Mais bien sûr. Tu peux faire semblant de m'en vouloir autant que tu veux, mais on sait très bien tous les deux que tu tuerais quelqu'un rien que pour m'avoir posé un doigt dessus. Oh, je suis sûre que tu le ferais même si c'était Rémond...

  Tu devrais essayer d'être un peu moins égocentrique, des fois.

Ce serait plus facile si tu pensais moins à moi.

J'ai plein d'autres sujets de réflexion.

Aucun ne t'intéresse autant. T'es à mes pieds, Ross, admets-le.

T'aimerais bien, hein ? Espèce de sadique.

— Mais pas Maybelle, il me semble ? reprend Merlyn.

J'adresse un sourire à la seule femme du groupe. Elle me répond d'un grognement menaçant. Vive la solidarité féminine...

— Non, commenté-je en me tournant de nouveau vers son chef. Nous n'avions pas encore eu le plaisir de la rencontrer.

— Eh bien vous l'avez, à présent. Puis-je considérer ces présentations comme la confirmation de notre alliance ?

Je jette un coup d'œil à Vywyan. Sois prudente, me dit-elle du regard.

— Disons plutôt que nous prendrons contact si vous pouvez nous être utiles, répliqué-je.

Merlyn éclate de rire.

— Ça ne marche pas comme ça, Jackson.

— Alors ça ne marchera pas du tout.

Il me fixe de ses yeux jaunes, s'attendant sans doute à ce que je me détourne. Il peut toujours rêver. 

— Très bien, déclare-t-il en se levant. Je suppose que nous allons nous installer ailleurs, et attendre votre signal.

Alors il est désespéré à ce point. Intéressant. 

Je commence presque à avoir pitié de lui quand il lève une main vers le visage de Vywyan, et lui glisse doucement une mèche de cheveux derrière l'oreille. Mon amie se fige.

Oh, ce loup vient de signer son arrêt de mort.

— Je ne crois pas que Cass avait ce genre de contact en tête, proteste la voyante d'un ton sec.

— Mais je suis sûr que toi, si, sourit le gangster.

Luttant contre mon envie croissante de l'étrangler, je laisse les zoonites s'éloigner de quelques pas avant de le rappeler.

— Lupus !

Il se tourne vers moi, un sourcil haussé.

— Déjà ? commente-t-il.

— Si j'étais toi, lui lancé-je, j'éviterais la purée.

— T'es une criminelle, ou une diététicienne ?

— C'est juste un conseil. Au nom de notre nouvelle association.

— Et qu'y a-t-il de si problématique dans cette purée ?

— Disons simplement que tu pourrais y retrouver certaines...connaissances.

Ses yeux s'écarquillent quand il comprend. 

— Non, murmure-t-il.

Vywyan se retourne dans sa direction.

— Bon appétit, Merlyn, lui souhaite-t-elle avec un sourire.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant