Chapitre 21

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Je scrute scrute le mur de mes yeux de chat, comme si je pouvais moi-même voir à travers. Me concentrer là-dessus m'aide à oublier que Merlyn pourrait arriver d'un instant à l'autre. Je n'ai pas peur qu'il me fasse mal, non.

J'ai peur parce que je lui ai fait mal. Parce que je sais que je vais devoir lui faire face, et que je ne pense pas être capable de supporter ses reproches.

— Rien de ce côté là, annonce Ross avant d'inspecter une autre paroi.

Je me tourne dans la direction opposée. Le métal semble des plus ordinaire. Cependant...il y a quelque chose d'étrange dans l'odeur ferreuse qu'il dégage. Quelque chose de...putride.

Un frisson me parcourt l'échine. Au fond, je sais déjà ce qu'il y a derrière. Mais il nous faut des preuves.

— Eh, Superman ? Tente ce côté-là.

Le jeune homme obtempère sans commenter le surnom.

— Il y a un mécanisme dissimulé, confirme-t-il. Je crois qu'il s'active...

Il s'interrompt, suit du regard une chose que seul lui peut voir. Puis il glisse la main sous un plan de travail. Sans un bruit, un pan de la paroi métallique coulisse et disparaît.

De l'autre côté de l'ouverture se trouve une salle de stockage remplie de caisses. La puanteur qui en émane me prend aussitôt à la gorge-une odeur de viande et de mort.

J'échange un regard avec Ross. Comme à son habitude, il est impassible ; mais pour une fois, je sens qu'on pense à la même chose.

On s'avance dans la pièce. La température chute et m'arrache un frisson.

— C'est réfrigéré, chuchoté-je.

— Sans blague.

Mon regard s'arrête sur l'une des caisses. Je sais que je devrais en rester éloignée, rester dans l'ignorance. Mais ma main agit d'elle-même : mes doigts fébriles saisissent le couvercle et l'écartent.

Je ne suis pas surprise. Je ne devrais pas l'être, du moins. Pourtant, mes membres se mettent à trembler de manière incontrôlable. Je donnerais tout pour détourner le regard, seulement mon corps ne m'obéit plus, et mes yeux enregistrent chaque détail.

La caisse est remplie de membres humains.

Des bras et des mollets, des chevilles et des coudes, des mains et des pieds. Un morceau que je n'arrive pas à identifier. Un doigt solitaire. Tous bleuis par le froid et rougis par le sang.

Tous prêts à être consommés.

Quand j'avais onze ans, mon père m'a forcée à observer pendant qu'il découpait un corps en morceaux.

La clé, m'a-t-il dit, c'est l'organisation. Des gants. Une bâche. Un sac étanche. Peu importe qui tu fais disparaître ou avec quel outil, ma puce. Tu t'en tireras toujours, tant que tu ne laisses aucune trace.

Ce jour-là, j'ai réussi à attendre d'être seule pour me mettre à vomir. Je ne suis pas sûre d'y arriver, à présent.

— Il y a une porte au fond, déclare Ross.

Je me tourne vers lui. Il ne semble pas le moins du monde perturbé. Je ne peux m'empêcher de superposer à son visage celui de Rémond qui dévore sa purée, un sourire suffisant aux lèvres. Insensible, inhumain, amoral.

Je sais que Ross n'est pas comme ça, qu'il ne fait que cacher ses sentiments. Mais parfois, je ne peux m'empêcher de me demander si Cass ne se trompe pas sur son compte.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant