Je me frotte les poignets.
Assis en tailleur sur mon lit. Dos contre le mur. Devant moi, flottant au ras de la couverture : un hologramme, un spatioport, une autre planète.
Je n'ai rien à faire.
Quand je n'ai rien à faire, je regarde des films. Pas parce que j'aime ça. Pour apprendre à imiter les émotions humaines. À savoir quand rire. Quand crier. Quand pleurer.
Ça ne m'a jamais servi. Je n'ai jamais réussi à verser une larme. Mais je continue quand même. Peut-être qu'un jour ça marchera.
Aujourd'hui, cependant, j'ai mis les infos. C'est inutile. Je le savais quand je l'ai fait. Je n'ai pas changé d'avis. Mais j'ai appris que leur transfert allait être filmé, et j'ai allumé le projecteur.
Je me frotte les poignets. Ils sont irrités. Les manches de ma chemise ?
Un fourgon blindé miniature s'avance sur le couvre lit. Le véhicule rencontre un pli. L'hologramme vacille. L'hologramme se stabilise. Deux hommes sortent par les portières avant. Armés. En uniforme. Ils ouvrent les portières arrière. Ils tirent deux prisonniers à l'extérieur. Sans ménagement.
Mon regard s'accroche aussitôt au plus petit des deux. Une prisonnière.
Je me frotte les poignets.
Cass Jackson flotte dans son stupide blouson en cuir. Je ne comprends pas pourquoi elle le garde. Il est bien trop grand pour elle. Elle est frêle, elle est fragile, et avec ça se voit encore plus.
Un instant, je m'imagine refermer le poing sur sa silhouette tremblotante, la faire disparaître entre mes doigts.
Je me force à observer Roma. Cheveux ébouriffés. Ombre d'une barbe naissante. Air échevelé. Il pourrait faire plus attention. C'est notre image à tous les deux qu'il salit.
Mon regard revient sur Jackson.
Je le ramène à Roma.
Les deux policiers qui l'encadrent le tirent en avant. Brusquement.
Un éclair de douleur remonte le long de mon bras.
Je délaisse la projection. Je retrousse ma manche droite. Je retrousse ma manche gauche. Deux cercles. Rouges. Brûlants. A la base de mes poignets.
Ce n'est pas normal. D'abord parce que je ne vois pas d'où ils peuvent venir. Ensuite parce qu'ils auraient déjà dû cicatriser. Mes blessures se referment toujours en quelques secondes. Sauf si quelque chose les maintient ouvertes.
Je reviens à l'hologramme. Je zoome sur Roma. Bras attachés dans son dos. Menottes trop serrées qui s'enfoncent dans sa chair.
J'avais coupé le son de l'émission. Je l'enclenche.
— ...est déjà connue de la PI pour de multiples escroqueries commises sous de fausses identités. Son complice, Ross Moszkowski, était lui inconnu des services de renseignement jusque...
Je coupe le son. Ross Moszkowski.
Ce n'est pas son nom.
Dix-sept journalistes se précipitent en avant. Dix-sept micros tendus. Policiers et détenus sont forcés de s'arrêter.
Je remets le son.
— Monsieur l'agent, pouvez-vous confirmer les rumeurs selon lesquelles ces deux individus sont parvenus à entrer dans l'une des salles les mieux protégées du CSM ?
Je me lève. Je quitte la pièce. Je me rends dans la cuisine.
C'est la première fois que je quitte la chambre depuis mon arrivée ici. Je n'ai pas besoin de manger plus d'une fois par mois. Je n'ai pas besoin de sortir puisque Thétis n'a plus besoin de moi.
Je trouve une fourchette dans un des tiroirs. Je reviens dans la chambre. Les policiers ignorent les questions et luttent pour se frayer un chemin. Cass Jackson semble contrariée. Roma n'arbore aucune expression. Je m'assois face à eux. Je les observe.
Je plante la fourchette dans ma joue.
Les yeux de mon clone s'écarquillent. Est-ce une série de points rouges qui vient d'apparaître sur son visage ?
Je sors la fourchette. Je la plante.
Je suis capable de ressentir la douleur, quoique de manière atténuée. Thétis n'a pas voulu la bloquer totalement. Ne pas la percevoir, c'est prendre le risque de ne pas réaliser qu'on est blessé.
Je sors la fourchette. Je la plante.
Roma vacille. Cette fois, aucun doute : des perforations se sont formées sur sa joue. Un filet de sang dégouline dans son cou.
Je sors la fourchette. Je la plante.
Les journalistes commencent à s'affoler.
— C'est quoi cette blague ?! s'exclame l'un des policiers.
Jackson ne dit rien. Yeux rivés sur son complice. Je devine qu'elle lui parle par télépathie.
Je sors la fourchette. Je la plante.
Encore.
Encore.
Encore.
Du sang sur mes doigts, du sang sur ma chemise et du sang sur les draps. L'odeur métallique envahit mes narines. Mes nerfs s'enflamment. De ma main libre, je zoome sur la joue de Roma. Ce n'est plus qu'une bouillie rouge. Son visage est crispé par la douleur. Je sais qu'il se retient de hurler. Je sais que ses perceptions sont moins atténuées que les miennes.
Je suis la version améliorée.
Le fils de remplacement, chez qui on été réparés tous les défauts de l'original.
Je sors la fourchette et je la plante et je sors et je plante et je sors et je plante sors plante sors plante sors plante plante plante poisseux le manche me glisse entre les doigts.
J'arrête.
Les hommes miniatures crient. S'agitent. Je sens ma chair se refermer. En même temps que celle de Roma. Le sang cesse de couler. La peau se reforme. Blanche. Lisse. Comme si rien ne s'était passé.
J'avance la main vers le projecteur. Mon index se fige sur le bouton de mise à l'arrêt.
Jackson est en train de parler aux policiers.
— C'est normal, ment-elle. Ça lui arrive souvent.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu sa voix.
J'éteins le projecteur.
Je me lève. Je passe une autre chemise. Je vais à la cuisine. Je lave la fourchette. Je lave mes mains. Je retourne dans la chambre. Je change les draps. Je vais devoir les brûler.
Je suis le clone de Roma. Cela veut dire que notre ADN est à cent pour cent identique. Comme des jumeaux. Mais ce qui vient de se passer n'est pas censé arriver. Nous partageons des gènes. Rien d'autre.
Pour la première fois, je me demande pour quelles raisons de nombreux gouvernements interdisent le clonage. Et s'il y avait autre chose que leur prétendue « éthique » ?
Je me rassois sur le lit.
Si Roma meurt, est-ce que ça me tuera aussi ?
Je n'ai pas envie de mourir. Je n'ai pas envie de vivre non plus. Mais je dois faire de mon mieux pour survivre. C'est l'idée fixe que Thétis a implanté dans ma tête. C'est la raison d'être d'Akhilleús.
Baklang m'attend.
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Evasion (Cass-tome 2)
Fiksi Ilmiah⚠️ Si vous n'avez pas lu le tome 1, n'hésitez pas à aller le retrouver sur montre profil ! Attention, spoilers dans ce résumé... Thétis est morte. Akhilleús a été définitivement détruit. Cass Jackson ne souhaite qu'une chose : tourner la page, et v...