Chapitre 4

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Quelques minutes plus tard, deux autres policiers entrent dans la salle d'interrogatoire et me forcent à me lever. Le monde tourne autour de moi, mes jambes flageolent. Je suppose que l'on ne peut pas chuter sur plusieurs dizaines de mètres, affronter une explosion, puis se faire plaquer au sol et assommer sans conséquences.

     Les deux agents me traînent dans un couloir aux murs bleu-gris, jusqu'à une série de cellules. Toutes sont vides, sauf une. Ross s'y trouve, assis en tailleur par terre, le dos appuyé contre le mur. Pourquoi il ne s'est pas installé sur la couchette, lui seul le sait. Il lève la tête à notre arrivée et me sourit à travers les barreaux. Il a l'air plutôt en forme, comparé à moi. Sa capacité à guérir instantanément de n'importe quelle blessure doit aider...

     On me jette dans la cellule en face de la sienne. Les policiers claquent aussitôt la porte grillagée ; le son a quelque chose de lugubre. 

     — Eh ! leur lancé-je tandis qu'ils s'éloignent. Qu'est-ce qui va nous arriver ?

     L'un des agents se retourne.

     — Vous serez transférés demain matin. 

     — Où ça ?

     Il sourit.

     — À la prison de Baklang. Et vous n'êtes pas près d'en partir. 

     Je n'arrive pas à interpréter les émotions qui surgissent en moi à cette nouvelle. C'est ce que je voulais, pourtant. Ce pour quoi j'ai entraîné Ross et Tyler avec moi dans ce cambriolage.  

     Baklang. La prison qu'on surnomme « Zéro », et dont personne ne s'échappe. Celle où sont enfermées depuis peu les criminelles Madlyn et Jane Aebby.

     Mes mères. 

     Dans ma tête, je revois leurs photos. Jane et ses cheveux blonds coupés court, si semblable à moi ; Madlyn, ses cornes, sa peau bleue et ses yeux sans pupilles. Surtout, je revois le sourire rebelle qu'elles adressaient toutes deux à la caméra juste avant de se faire arrêter. 

     Soudain, je ne sais plus pourquoi je suis si déterminée à les retrouver. Je ne les connais pas, elles ne me connaissent pas. Nous ne sommes pas une famille, juste trois étrangères, et au fond, qu'avons-nous à gagner à nous rencontrer ? Je m'imagine les aborder pour la première fois. Elles sont là, dans la cantine de Baklang, ou dans la cour peut-être. Je les aperçois ; mon cœur s'emballe. Je me force à avancer. Elles me regardent sans comprendre, à la fois méfiantes et intriguées. 

     — Bonjour, leur lancé-je. 

     Bonjour...bonjour, et quoi ? Bonjour, je m'appelle Cass, je suis votre fille ?

     Bon sang, mais qu'est-ce qui m'a pris de me lancer là-dedans ?  

     Cass ?

     La voix de Ross me tire de mes pensées. Je réalise que je suis à présent assise par terre, comme lui, le dos contre le mur. Je me tourne vers lui.

     Arrête de t'inquiéter comme ça, le rabroué-je. Je te rappelle que je perçois tes émotions, et c'est épuisant.

    Oh, tu peux parler. Tu crois que je ne t'ai pas senti angoisser depuis ton arrivée dans cette cellule ?

    Mm. Eh bien, tu me connais. J'ai jamais été fan des espaces clos.

    Mais ça c'est amélioré depuis la mort de Thétis, pas vrai ? Il y a autre chose.

     Je soupire. Cette cellule n'est pas sale, loin de là. Elle a plutôt un côté stérile, qui me rappelle désagréablement une salle d'opération ou un laboratoire. Les murs et le sol sont faits d'une sorte de plastique blanc ; elle comporte pour tous meubles une étroite couchette, ainsi qu'un toilette et un lavabo dissimulés derrière une cloison. 

     J'essaie de ne pas penser au fait que je vais passer des semaines, voire des mois, dans une cellule sans doute pire que celle-ci. Cette seule idée suffit à affoler mon rythme cardiaque et à me brouiller la vision. 

     Malgré tous mes efforts, je sens la panique monter de plus en plus. Un étau se referme sur ma poitrine. Autant pour l'amélioration de ma claustrophobie depuis la mort de Thétis...

     — Où on est, d'après toi ? demande Ross à voix haute. 

     Je me tourne de nouveau vers lui, reconnaissante pour la distraction. 

     — La PI a des bâtiments un peu partout dans l'univers. Ils nous ont sans doute amenés sur la planète la plus proche du CSM...Merkil 8, je crois.

     — Dommage, on n'aura pas le temps de faire du tourisme. 

     J'esquisse un sourire. 

     Personne ne vient nous poser plus de questions. Il n'y aura pas d'enquête, pas de procès. Exactement comme je l'avais prévu. 

     Personne ne peut savoir si Ross et moi avons ou non consulté les informations du carnet-quelles qu'elles soient. Il est inutile de nous interroger : dans tous les cas, ils ne peuvent pas nous laisser repartir. 

     Je regrette un peu de ne pas avoir jeté ne serait-ce qu'un coup d'œil à l'intérieur du livre. Je me demande bien ce qui peut s'y trouver, pour susciter un tel niveau de protection. 

     Soudain épuisée, je vais m'affaler sur la couchette. Je sais pourtant que je n'arriverai pas à dormir. Malgré la fatigue, mon cerveau fonctionne à plein régime, ressassant encore et encore les mêmes angoisses. 

     Je tourne la tête pour regarder Ross dans la cellule d'en face. Il est toujours assis par terre, ses yeux gris m'observent. Je me glisse dans sa tête, et j'ai l'impression de sentir sa présence à mes cotés-son bras par-dessus mes épaules, la chaleur de son corps contre le mien. Mon souffle s'apaise.

     Merci, lui dis-je. D'être venu avec moi.

     Cass Jackson a dit merci. C'est, quoi ? La troisième fois de ta vie ?

    T'as raison. C'est toi qui devrait me remercier.

    Mais bien sûr. Je peux savoir pourquoi ?

    De t'avoir laissé venir. Et, de manière générale, d'exister.

    Voilà. Ça, ça te ressemble plus.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant