Chapitre 34

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Je suis violemment arrachée à l'esprit de Rémond. Pantelante, je m'affale contre le mur dans l'obscurité. Il me faut quelques secondes pour me rappeler où je suis, et qui je suis.

Ce que je découvre dans la tête des autres est rarement beau. J'ai eu mon lot de souvenirs perturbants. Mais ça...

Bon sang, c'était quoi, ça ?

Tout ce temps que j'ai passé à me demander ce qui était arrivé à Ross sur ce spatioport...à craindre que ça recommence...

Depuis le début, c'était la faute de son clone. J'aurais dû m'en douter.

— Alors, Mlle Jackson. Ça vous a plu ?

Je lève les yeux. Rémond a repris connaissance ; il se dresse devant moi de toute sa hauteur.

Un instant, je m'imagine refermer le poing sur sa silhouette tremblotante, la faire disparaître entre mes doigts.

Je ne suis plus un hologramme miniature qui avance péniblement sur son lit ; pourtant, j'ai l'impression qu'il pourrait me faire disparaître tout aussi aisément. Jamais je ne me suis sentie aussi fragile. 

Visiblement, Rémond s'est fait la même réflexion.

Ses mains se resserrent autour de ma gorge. La panique déferle tandis qu'il me soulève du sol ; mon cou est déjà couvert de bleus, et la douleur manque de me faire perdre connaissance. Apparemment, m'étrangler est devenu une mode. Je commence à perdre le compte des tentatives que j'ai subies depuis hier. 

Pourquoi semblent-ils tous persuadés que je vais me laisser faire ?

Rémond croit peut-être que je suis faible, et certes, j'en ai moi-même l'impression. Mais je sais que ce n'est rien de plus que ça : une impression.

Puisant dans mes dernières forces, je bondis de nouveau dans son esprit. Il sait comment me tenir à distance de ses souvenirs, mais je n'ai pas besoin d'y avoir accès pour lui faire mal-je l'ai déjà prouvé. J'attrape sa conscience et je tire, et je tord. Même si je n'arrive pas à lire ses pensées, elles sont là, entre mes griffes, je les lacère et les déchire.

Le clone me relâche avec un grognement. 

Je ne lui laisse pas le temps de se remettre. La vue brouillée, les jambes flageolantes, je trébuche hors du placard. 

— Qu'est-ce que vous fabriquez là-dedans ? nous fustige un gardien.

Il a la soixantaine, des sourcils broussailleux, et trois paires de bras qui le désignent comme originaire de la galaxie Tripplurion. 

Il faut que je trouve une excuse, que je me sorte de là. Mais mon cerveau refuse de fonctionner ; je suis à deux doigts de m'effondrer. Les doigts de Rémond ont quitté ma gorge, pourtant je n'arrive toujours pas à respirer.

— Qu'est-ce que vous croyez qu'on faisait ?

Il me faut quelques secondes pour comprendre que c'est le clone qui vient de prendre la parole. Le gardien avise nos vêtements froissés, nos joues rougies et nos cheveux ébouriffés, et lâche un soupir exaspéré.

— Les jeunes, peste-t-il. Vous voyez pas que c'est pas le moment ? Retournez au travail !

Dès qu'il s'est détourné de nous, je m'éloigne précipitamment de Rémond. Celui-ci me suit en silence, son balais à la main. Comme s'il ne s'était rien passé.

Tu crois tout savoir, hein, Cass ?

Non. Je ne crois rien, je ne sais rien. Je voudrais juste oublier ce que je viens de vivre. Oublier pour toujours comment c'était de poignarder ma propre chair, ce petit bruit que la fourchette faisait en s'enfonçant, un bruit de succion répugnant, et ce vide, ce vide affreux dans ma poitrine-pas d'émotions, pas d'humanité : rien qu'une douleur aseptisée.

Evasion (Cass-tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant