Chapitre 23-1

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Je restais interdite quelques secondes espérant, contre toute attente, à une nouvelle farce de Lynch. Mais quand la pénombre s'accentua, je dus bien me rendre à l'évidence...c'était tout sauf une blague. J'avançais machinalement d'un pas, vers l'ombre menaçante du bâtiment délabré avant de m'arrêter. Alors c'était ça leur test ! Traverser ce champ de ruines parsemé de débris. Mais en quoi cela pouvait-il les renseigner sur la nature et la force de nos pouvoirs ? À moins que ce ne soit une version spéciale rien que pour toi, me railla ma conscience. N'importe quoi. Il fallait que j'arrête d'être aussi égocentrique. Tout ne tournait pas autour de moi et il ne m'en voulait pas personnellement. Il devait y avoir une bonne raison à tout cela, alors autant en finir le plus vite possible, me convainquis-je en m'engageant d'un pas plus assuré, mais néanmoins prudent, dans ce nouveau labyrinthe insolite.

Durant quelques minutes, je progressais sans trop de problème. N'ayant rien de plus compliqué à faire que de cheminer au milieu de murs à demi-effondrés, passer sous des arches branlantes couvertes de lierres et enjamber quelques carcasses rouillées. Néanmoins, l'atmosphère me semblait de plus en plus pesante à mesure que j'avançais. La luminosité diminuait, me faisant trébucher de plus en plus fréquemment, si bien qu'à un moment, je fus contrainte de m'arrêter. Mais pourquoi faisait-il si sombre soudainement, me demandais-je en clignant plusieurs fois des yeux, espérant que cela rendrait ma vision plus claire...ce qui évidemment, ne fût pas le cas.

À moins qu'ici le temps ne passe différent, nous devions être en début d'après-midi. Donc ce crépuscule n'avait pas de sens, à moins que...ce ne soit quelqu'un qui le provoque ? Un autre changeant comme moi...mais avec des pouvoirs psychiques. C'était peut-être ça l'épreuve après tout ? Identifier les autres pouvoirs à l'œuvre et dénicher les changeants qui en étaient responsable. À moins que nous ne soyons plusieurs à passer le test en même temps ? Chacun pensant que les autres étaient leurs ennemies ? Oui, cela ressemblerait assez bien à une idée  sortant de l'esprit tordu de Lynch.

— Il y a quelqu'un ?! Appelais-je à tout hasard d'une voix incertaine. Me rendant compte que c'était une erreur stupide à la seconde où les mots avaient quitté mes lèvres.

La centaine d'échos lugubres qui se répercutèrent instantanément autour de moi, crevant le silence oppressant comme un coup de tonnerre, confirmèrent cette impression.  Je grimaçais devant ma bêtise. Eh bien bravo, si tout ce cirque était une compétition entre changeant, je venais de préciser ma position à cent mètres à la ronde. Je n'avais pas plutôt pensé cela, qu'un cri inhumain retentit de quelques part sur ma gauche, me faisant violement sursauter et inondant immédiatement mon dos de sueurs froides. Je ne savais pas quel animal ou...chose avaient pu le pousser, mais une chose était sûr, je n'avais aucune envie d'attendre là pour le découvrir ! C'est alors qu'un second cri retentit à quelques mètres de moi, me faisant remonter le cœur dans la gorge. La terreur me donna des ailes et je partis en trombe, sans même regarder dans quelle direction j'allais.

Je courrais comme ça, quasiment à l'aveuglette, pendant ce qui me sembla un long moment. Jusqu'à ce qu'un point de côté ne m'oblige à ralentir mon allure, pour finalement me stopper. Je m'appuyais contre un pilier en pierre, pliée en deux et hors d'haleine, ma main pressant convulsivement mon flan droit. Lorsque ma respiration fût un peu moins laborieuse, je relevais la tête et regardais enfin autour de moi. Si ma situation n'avait pas été aussi précaire, j'aurais presque pu apprécier la vue. La petite cour pavée, au centre de laquelle je me trouvais, semblait ne pas avoir souffert de la décrépitude ambiante. Hormis le lierre et les plantes grimpantes omniprésentes, rien ne semblait abimé. Le pilier contre lequel je m'appuyais faisait en fait partie d'une structure décorative entourant une petite fontaine. Une eau pure et claire en jaillissait, me rappelant instantanément la soif qui rendait ma bouche sèche et pâteuse. Je m'approchais, comme hypnotisée par le son cristallin et recueillis un peu d'eau au creux de mes mains en coupe.

— À ta place je ne ferais pas ça, m'interrompis quelqu'un d'une voix forte et assurée.

La surprise m'arracha un petit cri et je me redressais brusquement, laissant l'eau que j'avais recueillie s'écouler par terre. Je sortie de sous le dais de lierre et cherchais d'où pouvait venir la voix. Partout où se posait mon regard, ce n'était que de la pierre lisse et froide, il n'y avait aucune cachette ici, me dis-je interloquée.

— Comment as-tu fais pour arriver jusqu'ici ?

— Si tu veux que je te réponde, montres-toi ! Lui ordonnais-je d'un ton que j'espérais rendre aussi assuré que le sien. J'en profitais pour ramasser discrètement un morceau de pavé descellé sur le sol...on ne savait jamais.

— Comme tu m'as trouvé, tu en as le droit. Cependant j'aimerais beaucoup savoir comment tu as fait, me répondit-elle en apparaissant au sommet de l'un des murs enceignant la cour.

C'était une jeune femme d'environ une vingtaine d'années, bien que cela soit difficile à affirmer catégoriquement d'aussi loin. Elle portait un pantalon moulant, un pull à col roulé et des bottes lacées, le tout intégralement noir. Sans parler de ses cheveux, tirant sur le bleu tellement ils étaient sombre, attachés en une tresse épaisse retombant sur son épaule. Elle ne portait aucune arme et ne semblait pas du tout inquiète de cet état de fait.

— Alors ?! Demanda-t-elle d'un air impatient en sautant brusquement du mur pour atterrir, avec la souplesse d'un chat, juste devant moi.

— Alors quoi ? Lui rétorquais-je, en reculant d'un pas par reflexe.

— Comment as-tu fais pour arriver jusqu'ici ? Répéta-t-elle d'un ton appuyé, comme si elle me trouvait un peu lente à la comprenette.

— Et bien...en courant, répliquais-je sur le même ton. J'en avais marre à la fin, des gens qui me reprochaient de ne rien comprendre, mais ne voulaient rien m'expliquer !

— En courant ?! Mais bien sûr ! Et tu serais arrivée par quelle porte dis-moi ?

— Et bien par...

Je me tus...interdite ! J'avais beau regarder encore et encore, autour de moi, ne se dressait que des murs de pierres sans aucune ouverture.

— Mais...je...ce n'est pas possible ! Je m'en souviendrais si j'étais tombée d'un de ces murs, murmurais-je en réfléchissant à voix haute.

— Je pense plutôt que tu as dû sauter par-dessus.

— Quoi ! Mais non, c'est impossible, c'est beaucoup trop haut...

— Écoutes, c'est la seule solution ! S'énerva-t-elle soudain en me jetant un regard blessé que je ne compris pas. Pourquoi t'évertues-tu à me mentir ! Je ne suis pas ton ennemie.

— Ah oui et comment le saurais-je ? Répliquais-je en élevant la voix et en avançant d'un pas vers elle tellement j'étais énervée. Tu es peut-être là pour me mettre des bâtons dans les roues ? À moins que ce ne soit un nouveau piège tordu ou je ne sais quoi d'autre...Comment veux-tu que je le sache ? Et je ne te mens pas...oh et puis...peu importe, terminais-je en lui tournant le dos dans un mouvement d'humeur.

— Tu veux dire que...tu ne sais pas en quoi consiste le test, me demanda-t-elle l'air abasourdi.

— À ton avis ?!

Mon ton mordant et cynique ne dû pas lui échapper, mais mis à part une petite grimace, elle ne fit aucun commentaire. Nous restâmes là, un petit moment, à nous observer. Moi avec des yeux qui devaient lancer des éclairs, quant à elle, elle paraissait surtout perplexe et...intriguée.

— Tu ne me demande pas de t'expliquer, rompit-elle le silence d'un ton surpris.

— Parce que tu me répondrais ?

— Bien sûr ! Je ne comprends pas pourquoi Gabe ne t'a...

— ...Évites de prononcer son nom devant moi, grinçais-je entre mes dents pour éviter de crier.

Il fallait que je parte d'ici. Que je trouve Lynch et que je lui colle mon poing dans la figure une bonne fois pour toute. Vu le niveau de rage que j'avais atteint, je crois qu'il n'y avait que cela qui pourrait me soulager !

— Comment fait-on pour partie d'ici. Lui demandais-je, tout en examinant les murs à la recherche d'aspérités ou de branches solides auxquelles s'accrocher pour pouvoir grimper.

Avant qu'elle n'ait eu le temps de me répondre, l'obscurité s'épaissit encore et trois hurlements sinistres résonnèrent au-dessus de nous.

Isolated SystemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant