Chapitre 5-2

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J'étais peut-être morte de peur, mais il était hors de question que je lui révèle quoi que ce soit. Je réprimais donc férocement mon instinct qui me poussait à m'éloigner et à fuir son regard inquisiteur le plus vite et le plus loin possible, ce qui aurait sans l'ombre d'un doute confirmé ses soupçons, et me forçais à continuer à lui faire face. J'espérais que ma posture voutée et tremblante, ainsi que mon regard paniqué et rempli d'incompréhension réussiraient à le berner, bien que j'aie de plus en plus de doutes.

— Qu'avez-vous fait exactement cette nuit ? Qu'avez-vous appris ?

— Vraiment Monsieur...je ne comprends pas de quoi vous voulez parler, arrivais-je à bégayer piteusement et d'une voix tremblante.

— Arrêtez donc votre cinéma, s'énerva-t-il soudain tout en se redressant énergiquement. Désolé de vous dire ça mais vous n'êtes pas très bonne actrice ! Votre comportement vous a presque immédiatement trahi...surtout que vous sortiez de l'aile Nord.

Ils savaient. Ils avaient compris que j'avais surpris leur conversation ou dans le meilleur des cas ils s'en doutaient fortement. Que faire...Tout avouer ou continuer à jouer la nunuche paniquée qui ne comprend pas ce qui lui arrive ? On ne savait jamais et si tout cela n'était que du bluff, après tout je les avais bien entendu dire qu'ils voulaient voir comment j'allais réagir...c'était peut-être un test ?

— À votre tour de m'écouter Monsieur, commençais-je en me redressant et d'une voix que j'espérais plus assurée. Je n'ai rien fais de particulier cette nuit à part dormir et aller aux toilettes, je ne comprends donc pas ce que v...

Je fus brusquement interrompue par la sonnerie annonçant le début du cours, suivit presque immédiatement de l'arrivée de mes camarades de classe qui entraient bruyamment dans la salle. Je sentis un intense soulagement m'envahir, je n'étais plus seule. S'il voulait tenter quelque chose, il devrait attendre et je serais sur mes gardes. Je n'avais jamais été aussi heureuse de les voir qu'à cet instant. Le joyeux brouhaha s'arrêta presque instantanément au moment où elles s'aperçurent de la présence du professeur Lynch et elles se figèrent toutes dans un bel ensemble. Voyant qu'il ne leur faisait aucune remarque, elles allèrent s'installer à leurs places en silence, mais non sans nous jeter des regards interrogateurs et surpris. J'en profitais pour m'éclipser et rejoindre ma paillasse discrètement. Je n'eus même pas le temps d'arriver jusqu'à ma place et de m'y installer, que sa voix retentit à nouveau dans mon dos, me crispant instantanément et me donnant la chair de poule.

— Ne vous sauvez pas Hayden ! Comme vous avez eu la gentillesse de m'aider à installer le matériel, j'aimerais que vous soyez mon assistante sur ce cours...et probablement sur les autres aussi, dit-il d'un ton exagérément jovial et moqueur (à moins que ce soit moi qui le perçoive de la sorte).

Un hoquet de stupeur général parcourut la salle, aussitôt suivi d'un silence assourdissant semblant épaissir l'air. Je me figeais, hébétée, à deux pas de mon tabouret. Il venait de me piéger en beauté, le salaud !

Il savait très bien que je n'avais jamais été sur les rangs pour ce poste, cela ne m'intéressait absolument pas. J'étais loin d'être assez sociable pour ça. Contrairement à la dizaine de prétendantes qui avaient travaillé dur pour tenter de l'obtenir. C'était l'un des moyens efficaces qu'avaient trouvé les professeurs pour motiver les troupes. Nous savions qu'il y avait un poste par matière et que celle qui l'obtenait, était quasiment sûre de devenir enseignante à son tour, si c'était ce qu'elle souhaitait. Ce qui dans notre société était un poste prestigieux et très convoité. Mais ils n'étaient presque jamais pourvus, principalement en sciences. En fait, je crois bien que c'était une première historique. D'où la stupeur envieuse de mes camarades, assortie de regards hostiles et dégoutés, qui me mettaient terriblement mal à l'aise et me donnaient la sensation d'être transpercée de toute part. Déjà que je n'étais pas des plus populaires...là j'allais carrément passer au stade de pestiférée.

Ce qui était sans aucun doute le but recherché, me dis-je aigrement tandis que j'avançais d'une démarche raide et crispée vers l'estrade où le professeur m'attendait, un grand sourire satisfait plaqué sur le visage. Il avait de quoi jubiler après tout, car il fallait le reconnaître...c'était bien joué ! Même si cela me faisait mal de l'avouer. Je n'arrivais pas à déterminer si j'étais morte de trouille ou dans une colère noire. Vu ce que je ressentais, vraisemblablement un subtil mélange des deux. La question cruciale à présent était : comment devais-je me comporter ? Jouer franc jeu avec lui et voir sa réaction ou continuer à feindre l'incompréhension et continuer ce petit jeu du chat et de la souris ? Alors que j'atteignais son bureau, je n'étais toujours pas plus avancée et avais la sensation désagréable d'avoir de la gelée à la place du cerveau.

— Très bien. Comme tout cela est un peu soudain et que nous n'avons pas eu le temps de préparer ce cours ensemble, installez-vous donc au premier rang. Je ferais appel à vous dès que j'en aurais besoin, dit-il brusquement avant de commencer son cours dans la foulée, sans même me laisser le temps de m'installer.

Eh bien, si c'était sa manière de traiter ses assistantes ça allait être joyeux ! Même si je n'avais sans doute aucun souci à me faire à ce sujet. Cette histoire d'assistante n'était qu'un prétexte pour me mettre la pression et me faire comprendre qu'il ne lâcherait pas l'affaire si facilement. J'allais donc m'assoir, de plus en plus inquiète et déprimée, à la seule place encore vacante au premier rang et qui se trouvait être...à côté d'Elana ! Décidemment le destin avait décidé de nous rapprocher ma parole. J'étais à peine assise, que l'on frappa à la porte de la salle. Le professeur alla ouvrir et sortit dans le couloir pour parler avec une personne que nous ne pouvions voir.

— Alors ça ! Comment as-tu fais pour qu'il te choisisse, me demanda Elana dans un souffle. Je ne savais pas que ça t'intéressait...

— Écoute ce n'est pas le moment de parler de...

— Avec toi ce n'est jamais le moment de parler de rien apparemment...

La porte qui claquait violemment pour livrer passage à un prof visiblement en rogne, l'interrompit efficacement.

_ Hayden j'ai besoin de vous pour expliquer la prochaine expérience, aboya-t-il soudainement dès qu'il eut posé un pied sur l'estrade.

Je me levais, légèrement tremblante et intriguée par son comportement, et le rejoignis sur l'estrade. Je me sentais gauche et empruntée debout devant mes camarades sans avoir la moindre idée de ce que je devais faire. Il commença à déplacer divers instruments sur la paillasse et ce faisant, en profita pour se pencher vers moi et me murmurer à l'oreille,

_ C'est trop tard. Ils en ont trop vu. Si vous voulez avoir une chance, vous allez devoir me faire confiance.

Isolated SystemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant