Chapitre 5-1

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C'est avec une très grande réticence et l'impression que le ciel allait me tomber sur la tête que je franchis  précautionneusement le seuil et m'arrêtais net aussitôt la porte franchie. C'était l'un des endroits que je préférais d'ordinaire. Pourtant aujourd'hui je me sentais mal à l'aise dans cette pièce tout en longueur et très haute sous plafond, qui tenait plus de la bibliothèque gothique que de l'idée que l'on pouvait se faire d'un laboratoire de physique. Presque tous les murs disponibles étaient recouverts par d'immenses étagères poussiéreuses, encombrées de livres et de papiers mal rangés. Les hautes fenêtres anciennes, qui d'ordinaire laissaient abondamment entrer la lumière, étaient à moitié occultées par de lourds rideaux d'un rouge passé, qui plongeaient la pièce dans une atmosphère sombre et étouffante...me rendant presque claustrophobe.

Plantée sur le seuil, je scrutais nerveusement la pièce, cherchant une forme dissimulée dans chaque ombre et chaque recoin sombre. Mais où était-il passé ?! Mon imagination en surchauffe le visualisait très bien caché quelque part et attendant le meilleur moment pour me tomber dessus...Moi, à sa place, c'est ce que j'aurais fait. Mais j'eus beau m'user les yeux à scruter les moindres recoins. De l'endroit où je me trouvais, je ne voyais rien d'autre que de vieux meubles fatigués, des paillasses vides et des tabourets mal rangés. Mon cœur emballé se calma un peu. Bien, il n'avait apparemment pas l'intention de me sauter dessus pour m'enlever ou me questionner, mais je n'étais pas pour autant tirée d'affaire. Il devait sans doute être allé chercher du matériel dans l'une des pièces attenantes qui servaient de débarras, mais que se passerait-il lorsqu'il reviendrait ? Le mieux serait que je ne sois plus là pour le savoir, me dis-je brusquement dans un éclair de lucidité. C'était le moment ou jamais de m'éclipser discrètement, au lieu de rester là, à attendre que le ciel me tombe sur la tête. J'avais à peine commencé à esquisser mon demi-tour salvateur en direction de la porte, qu'une autre s'ouvrit en grinçant et que sa voix retentissait de nouveau à travers la pièce froide, me  faisant violemment sursauter et me coupant dans mon élan.

— Fermez la porte et venez m'aider à transporter ces boîtes de matériel au lieu de bailler aux corneilles, me dit-il d'un ton ne souffrant aucune réplique, bien que curieusement il me sembla y déceler une pointe d'amusement.

Je traversais la pièce un peu comme dans un rêve...ou plutôt un cauchemar où les ombres auraient pris vie pour me tourmenter. Malgré mon stress et ma peur irrationnelle, je continuais malgré tout à mettre un pied devant l'autre, même si il ne fallait pas être devin pour se rendre compte que c'était une mauvaise idée !  Mais que pouvais-je faire d'autre ? Je continuais donc à avancer avec la désagréable sensation d'être un automate sans aucun libre arbitre. Lorsque j'arrivais enfin à l'entrée de la remise, je le trouvais-là qui m'attendait, appuyé nonchalamment contre l'une des étagères, un sourire goguenard sur les lèvres. Apparemment jouer avec mes nerfs semblait énormément le divertir !

— Ah enfin ! Je croyais ne jamais vous voir arriver. Rassurez-moi, vous vous étiez bien portée volontaire ? Me demanda-t-il d'un ton sarcastique, tout en se dégageant de son support d'un coup de bassin fluide et assuré, qui à mes yeux avait plus du prédateur que du  prof de sciences. Ce qui, vu le coup d'œil qu'il me lança, était exactement le but recherché.

Voyant que je ne répondais pas et ne faisais pas mine de m'approcher, il saisit l'un des cartons posé devant lui et me le tendis d'un geste brusque.

— Tenez. Si vous ne voulez pas faire la conversation rendez-vous au moins utile, m'assena-t-il tout en me fourrant de force le carton dans les bras. Puis, il se saisit du second carton et me dépassa vivement, me bousculant légèrement dans le mouvement.

L'avait-il fait exprès ou était-il vraiment agacé par mon comportement inhabituel ? Non, il jouait un rôle. C'était bien lui cette nuit, dissimulé sous cette cagoule, j'avais bien reconnu sa voix...à moins que je n'aie paniqué pour rien... ? Après tout une voix ce n'était pas aussi fiable qu'un visage pour reconnaitre quelqu'un. Mais si, il avait été surpris de me voir et son comportement avait subtilement changé...Bien sûr, oui...C'est plutôt ta vision des choses qui est complètement faussée, pauvre cruche ! Me tançais-je intérieurement.

C'est donc complètement perdu, que j'allais poser mon carton sur l'une des paillasses et commençais à installer le matériel pour le prochain cours de physique, qui allait de toute évidence encore porter sur l'électricité...fascinant ! Nous travaillâmes efficacement et en silence, chacun à un côté opposé de la salle. Alors que nous avions presque terminé et nous trouvions à deux paillasses voisines, il reprit brusquement la parole.

— Cela m'a surpris de vous voir tout à l'heure. Vous êtes une très bonne élève mais vous ne vous portez jamais volontaire pour aider à préparer les cours ou les salles. À quoi doit-on ce subit revirement, me demanda-t-il gentiment.

Il avait beau paraître sincèrement intéressé par ma réponse, quelque chose dans sa façon de me regarder sonnait faux...un peu comme s'il me surveillait. Je feignais d'être absorbée par la tâche, extrêmement complexe, consistant à répartir différent type de câbles électriques sur les tables, pour ne pas répondre et m'éloigner un peu plus de lui. 

— Vous savez si vous avez des problèmes...vous pouvez m'en parler, me dit-il d'une voix calme et engageante sensée m'inspirer confiance.

— Non, tout va bien, répondis-je laconiquement sans le regarder et  la tête baissée. Et pour faire bonne mesure et lui signifier clairement que je ne voulais pas continuer la conversation, je lui tournais ostensiblement le dos.  

— Je n'avais jamais vraiment compris d'où vous venait votre surnom. Mais j'avoue que maintenant je comprends mieux...Whisper, termina-t-il dans un souffle à deux millimètre de mon oreille.

Je hurlais et instinctivement tentais de le repousser d'un coup de coude. Puis dans le même mouvement et  d'un bond dont je ne me serais jamais cru capable, me propulsais de l'autre côté de la paillasse. Merde, comment avait-il fait ça ? Je ne l'avais ni entendu, ni senti approcher, c'était dingue ! Mais ce n'était pas le plus dingue, constatais-je avec ahurissement lorsque mes yeux se posèrent sur le matériel intact posé devant moi sur les carreaux mal ajustés. Comment était-il possible que je n'ai rien fait tomber en sautant par-dessus ?

— Alors ça, c'était...inattendu ! Me lança-t-il en grimaçant légèrement tout en se frottant les côtes.

Puis il s'approcha lentement sans jamais me quitter des yeux et s'arrêtant juste en face de moi, posa ses deux mains à plat sur le carrelage recouvrant le plateau de la table et me fixa d'un regard dur.

— Si nous arrêtions ce petit jeu et que nous mettions cartes sur table, me demanda-t-il d'une voix froide et impérative, sans doute destinée à me faire avouer tous mes secrets sur le champ.

Isolated SystemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant