5.

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On aurait pu croire que cette soirée n'était que trop ordinaire. Que rien d'anormal n'était venu abîmer la corde de la routine qui me serrais.

On aurait pu croire, en effet, que je quittais discrètement l'entrepôt après le boxeur, comme d'hab.

Que je rentrais à la Zone, essorée et flapie par ce cours. Comme d'hab.

Qu'une fois arrivée, j'allais soigneusement cacher mon sac qui portait mes gants. Comme d'hab.

Et que j'allais masquer les plus profonds timbres de ma voix encore épris de la fièvre de ce sport.

Comme d'habitude.

Seulement, ce bras viril qui m'accrochait violemment et qui me tirait d'une rapidité inouïe au sein de la foule me faisait durement redescendre sur terre pour me rappeler que ma partie de cache-cache qui avait duré trois ans venait de prendre fin.

Définitivement, éternellement fin.

Mon regard s'humidifiait toujours un peu plus à chaque seconde qui passait à l'instar de gouttes venant progressivement irriguer la terre. La brutalité avec laquelle il me traînait écrabouillait ma fierté, mon honneur, et mon cœur, dont les quelques bribes s'envolaient face au vent qui venait se rosser contre nous.

J'implorais, à travers mes expirations saccadées, la rue afin qu'elle camoufle aux yeux d'autrui cet état d'horreur au travers duquel je me noyais publiquement. Mes poumons devaient de toute évidence être devenus bleus, aussi bien de peur que de manque d'oxygène. Le choc avait eu la capacité de me faire oublier les gestes vitaux de la vie. Ses pas étaient si inimitiés et se préoccupaient si peu - pour ne pas dire aucunement- des miens que j'en vins à ne plus être en mesure de suivre la cadence.

Mes jambes boursouflées de piques éreintantes cédèrent subitement comme de la neige au contact du soleil. Moi qui pensais avoir été vaccinée contre les douleurs corporelles, cet homme venait de réveiller ce que j'avais crue scellé à tout jamais.

Pour la première fois depuis notre course animée et remplie d'hostilité, il se tourna vers moi. Son regard se condensait alors que le mien se glaçait face à tant de fureur. Ne pouvant supporter une telle aigreur, je fus dans l'obligation de détourner mes pauvres yeux tremblants et secoués de sanglots.

Merde...

Je me rendis alors compte de l'endroit où nous étions. Comme si cet instant n'avait pas déjà été assez catastrophique, comme si je n'avais pas eus encore atteint l'abysse de la douleur cardiaque, je ne pus que m'accrocher à son bras et essayer de le stopper alors qu'il continuait de me traîner malgré le fait que j'étais à demi-assise sur le trottoir.

— ...Attends...je t'en supplie, attends, commençais-je en bégayant.

Ma langue était comme cimentée, à mon plus grand désarroi.

Il m'éloigna de lui sans crier gare et d'une manière foutrement blessante. Puis alors qu'il s'abaissa à ma hauteur afin de prendre mes joues rougies entre ses paumes acrimonieuses, je me mis à me demander s'il se rappelait encore de la rue bondée ou bien si son aversion l'avait enveloppé dans une bulle aux parois invisibles.

Au contact de son épiderme sur le mien qui me corroda toute entière, je sentis mes forces s'évanouirent et s'écouler le long du goudron. C'était sa peau brûlante contre mon épiderme glacé, c'était une collision démesurée.

— C'est...c'est complètement dingue ce qu'il est en train de se passer, murmura t-il d'une voix nerveusement incontrôlée. La semaine dernière encore, j'te connaissais pas et voilà que maintenant je te croise dès que je cligne des yeux !

Mille coups d'Amour [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant